Ahmed Ghayet. Militant culturel Président de l'Association Marocains pluriels et militant culturel, Ahmed Ghayet sort un nouvel ouvrage intitulé «Des jeunes, des cris» aux Editions Le Fennec. Rencontre. Pourquoi «Des jeunes, des cris» ? Je ne suis pas journaliste, mais je tiens une chronique hebdomadaire dans Aujourd'hui le Maroc qui me permet de partager mes expériences, mon vécu, les initiatives du terrain. Pareillement, je ne revendique pas le titre d'écrivain, mais celui d'auteur. J'écris régulièrement des ouvrages (j'en suis à mon sixième) qui sont un reflet de ce que je vis, ressens, organise concrètement; reflet d'un moment, d'une jeunesse, de notre société… J'y fais passer mes émotions, mes craintes, mes espoirs, mes propositions, mes «alertes», toutes tirées du terrain… Quelle est la genèse du projet ? Quel en a été le déclic ? Grâce au «Café Politis», agora mensuelle organisée par les associations Marocains Pluriels et Sqala, nous donnons la parole à un grand nombre de citoyens, les jeunes en particulier. Là, j'ai voulu «donner la plume» à 20 jeunes pour qu'ils nous disent quel Maroc ils voulaient, quel Maroc ils souhaitaient voir émerger. Et comment ils entendaient y contribuer. Nombre de jeunes s'expriment, oralement ou sur les réseaux sociaux, mais ils sont encore peu nombreux à écrire. Trop de barrages, de tabous, d'obstacles. J'ai voulu ouvrir une voie. Les témoignages que j'ai reçus et qui sont compilés dans le livre sont très révélateurs d'une jeunesse, d'une époque… Qu'est-ce qui a changé depuis «Génération Mohammed VI», «De l'autre côté du soleil» ou «Mots pour Maux» ? Beaucoup de choses ont changé car le monde a changé entre 1997 et 2019 et, bien évidemment, le Maroc n'a pas échappé à cela. Puis, en 20 ans, une génération a changé: les jeunes, les ados d'aujourd'hui sont «les enfants du web» alors que nous nous étions «les enfants de la télé». L'ouverture n'est plus la même, les frontières ne sont plus les mêmes et, bien entendu, les envies, les espoirs, les besoins mais aussi les maux, les fléaux ne sont plus les mêmes. J'ai la chance, en agissant avec, par et pour la jeunesse, de vivre ces changements en temps réel, en tant que partie prenante, et non de les subir comme quelque chose «d'extérieur». Quel travail de fond a nécessité l'écriture de ce livre ? Il m'a fallu une année pour concocter ce livre. J'ai eu la grande chance de bénéficier de la confiance de ces jeunes qui ont accepté de me livrer leurs états d'âme, de se confier, d'accepter que leurs propos soient livrés au public. Ce n'est pas si facile d'obtenir la confiance de jeunes, il faut «être à la hauteur». J'ai aussi eu la chance que Layla Chaouni, DG des Editions Le Fennec, accepte le pari. Enfin, travailler en équipe avec la jeune photographe Karen Assayag, qui a déjà une belle renommée en France (elle a réalisé pour le livre une galerie de 30 superbes portraits) et «gagner» la collaboration de Younes Boumehdi, DG de Hit-Radio, qui a tant à dire mais qui est d'une discrétion absolue… tout cela a demandé du temps, de l'énergie. Mais je suis heureux et fier du résultat. Quelles sont les principales préoccupations des jeunes aujourd'hui ? Pas si différentes des préoccupations de la jeunesse à travers le monde. Nos jeunes sont véritablement livrés à eux-mêmes. Hormis le roi, personne ne s'adresse à eux, et rares sont ceux qui font l'effort de «s'immerger» dans leur monde pour appréhender leur mode de vie. Pour résumer, je dirai qu'ils ont soif de respect, de dignité, de reconnaissance… qu'ils ont besoin «d'amour». Ils sont à la recherche d'espoir, de perspectives, d'ouverture et cela passe bien évidemment par une éducation et une formation dignes de ce nom, par un emploi, par l'accès à la culture… Contrairement à d'autres pays où la culture, les arts, les loisirs, le sport sont des éléments d'épanouissement qu'ils trouvent aisément, ici c'est plutôt le désert. Les talents sont là, la demande est forte, les actions menées par les associations sont multiples et innovantes mais, hélas, ils demeurent les parents pauvres de la politique gouvernementale sur les plans national, régional et local. Enfin, je dirai que nos jeunes sont à la recherche d'interlocuteurs, et là… Êtes-vous optimiste concernant ces nouvelles générations ? Je suis d'un naturel optimiste, sinon il y a longtemps que j'aurais jeté l'éponge. Puis il faut être honnête, il y a des personnes formidables qui croient en mon action et sont de vrais soutiens. Je crois que les nouvelles générations se feront une place dans notre société. Je dis «se feront» car rien ne leur sera donné; ils devront s'accrocher et y croire. Bien sûr, il faudra du temps, mais voyons le chemin déjà parcouru. Il y a encore du «boulot», mais la jeunesse convaincra. Comment peut-on sauver la jeunesse en dérive, selon vous ? La réponse à cette question est en fait la somme de tout ce que je vous ai dit dans les questions précédentes: par l'amour, l'écoute, le dialogue, la présence, la transmission, les valeurs et les règles… la génération précédente a des devoirs envers les jeunes: à nous, adultes, d'assumer nos responsabilités, et aux jeunes de savoir saisir les opportunités, de sortir -pour certains d'entre eux- d'une léthargie peut-être «confortable» mais suicidaire.