Ahmed Ghayet : Militant associatif C'est en rentrant au Maroc en 2003 qu'il se trouve confronté de plein fouet avec les attentats de 2003. Il decide de créer Marocains Pluriels pour aider la jeunesse à ne pas s'éloigner du chemin. Ahmed Ghayet vient de sortir un ouvrage qui résume ce qu'il fait au quotidien, qu'il baptise : Mots pour maux. Les ECO : Vous écrivez une chronique sur la jeunesse et ses maux depuis des années. Pourquoi ? Ahmed Ghayet : En fait, j'aime écrire et aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit, si je n'ai pas la prétention de revendiquer le titre d'écrivain, je me reconnais dans celui d'auteur. Lorsque je vivais en France, j'envoyais déjà des tribunes au journal Libération Maroc. J'ai publié mon premier livre en 1997 «La saga des beurs Marocains de France», puis «Génération Mohammed VI» en 2002, j'écris beaucoup plus maintenant : «De l'autre côté du soleil» en 2014 puis aujourd'hui «Mots pour maux», sans oublier ma participation à 2 ouvrages collectifs «Tcharmil» et «Ce qui nous somme»...Dans 15 jours, je participerai à un nouveau livre collectif «101% auteurs», avec une nouvelle que j'ai baptisée : «Moi Younes, 20 ans». Avec ma chronique hebdomadaire, je suis devenu un accro à l'écriture, c'est un complément indispensable à mon action sur le terrain et un moyen de communiquer sur ce travail au quotidien, afin de partager mon expérience, ce que j'en tire et mes «alertes». Pour «Maux pour mots», j'ai justement voulu faire un bilan d'étape, nous traversons une période où notre jeunesse et notre population bougent, changent : il y a certes des aspects positifs mais aussi des turbulences, des risques, j'ai ressenti le besoin de mettre des mots sur nos maux : exclusion, racisme, radicalisation...mais pas en «spectateur», bel et bien en tant qu'«acteur», en m'efforçant aussi de proposer des pistes, des solutions via la culture, la jeunesse, le vivre ensemble ! Quel est le mal dont souffre la jeunesse marocaine ? Notre jeunesse a énormément d'atouts, de qualités intrinsèques mais si je ne devais citer qu'un seul des maux dont elle souffre, je dirai le mépris. Notre jeunesse n'est pas prise en compte, elle est isolée, délaissée, livrée à elle-même, négligée. Hormis le souverain qui a une conscience aigüe de l'absolue nécessité d'associer la jeunesse à la vie de la nation et la met au cœur de tous ses discours, force est de constater que sur le terrain les jeunes restent «orphelins» d'une ligne politique digne de ce nom. Vous parlez souvent de culture comme remède à ces maux..... La clé absolue de l'insertion sociale est la formation et l'emploi...Mais faut-il parce que le chômage touche tant et tant de jeunes (et de moins jeunes) considérer que toute vie sociale, culturelle est impossible et/ou inutile ? L'oisiveté tue, or la culture est ce qui nous donne cet indispensable supplément d'âme, cet épanouissement de notre personnalité, cette foi en la vie. On souffre tout autant d'une misère culturelle, intellectuelle que l'on peut souffrir de pauvreté ! Hélas oui ! En partant de l'idée que la culture est superflue, qu'elle serait un luxe, on va droit dans le mur. La culture est tout aussi vitale que l'éducation, la formation, l'emploi...La culture, c'est la connaissance, c'est l'ouverture sur l'autre, c'est la richesse de l'esprit, c'est un moyen de se positionner dans l'échelle des valeurs, de se repérer, d'avoir une mémoire...de faire vivre l'humanité qui est en chacun de nous. Nos jeunes en sont assoiffés, or à tous les échelons - gouvernemental, régional, local - la culture est le «parent pauvre» : budgets dérisoires et élus désintéressés, hermétiques à la culture. Pourtant le pays regorge de talents dans tous les domaines de la culture, c'est de mains tendues, de coups de pouce, de moyens qu'ils ont besoin... Qui sont vos modèles ? Sur le plan de l'engagement, j'ai une grande admiration pour les personnes impliquées concrètement, qui ont un idéal, qui y croient et se battent pour lui. Au Maroc je citerai aujourd'hui André Azoulay, Feue Mama Assia, Driss El Yazami...en France des personnes comme Coluche, Daniel Balavoine ou actuellement Lilian Thuram sont des modèles. Comment êtes-vous sorti de votre livre ? Y a-t-il un avant et un après ? Retracer sur le papier 10 années d'engagement, de terrain, n'est pas simple mais cela permet de faire le point avec soi-même et en même temps de partager, les réactions des lecteurs en une semaine sont très positives, très motivantes. J'y puise une nouvelle énergie et surtout j'ai compris une chose : la plus grande leçon que j'en tirerai est que lorsque l'on est convaincu, lorsque l'on croit en une cause, alors il faut l'incarner : concrètement, sur le terrain, «aller au contact»...il faut «donner de sa personne». Les réseaux sociaux ont beaucoup de qualités, notamment celles d'abattre les frontières mais ils ont leurs travers : trop souvent aujourd'hui on pense que parce que l'on a liké un post, on a signé une pétition en ligne, ou l'on s'est fendu d'un commentaire, nous sommes quittes envers la cause que l'on défend...Non ! Tout cela est nécessaire mais non suffisant, il faut incarner la cause que l'on porte, sinon cela restera lettre morte. Pour intéresser, pour faire passer le message, pour impliquer les autres, il faut soi-même incarner ce que l'on défend : incarner une cause est le vrai moyen de convaincre et d'instaurer la confiance !