Le visage pâle, l'air fatigué et le sourire toujours aux lèvres, Mohamed Rouicha est entouré des médecins qui ont supervisé son opération du cœur à l'hôpital Cheikh Zayed à Rabat. Cette photo, prise quelques heures après l'opération, fait depuis une semaine le tour des journaux et des réseaux sociaux. Il faut dire que la maladie du célèbre chanteur amazigh a suscité la curiosité de ses nombreux fans au Maroc et à l'étranger. La page créée sur Facebook, juste après l'annonce de sa maladie, a regroupé en quelques jours seulement, 9.920 internautes. Ce n'est point étonnant si l'on sait que l'artiste qui s'est remis de cette crise, est considéré comme l'un des artistes les plus populaires au Maroc. Originaire des Zayane, Mohamed Rouicha, ou la voix de l'Atlas comme certains préfèrent l'appeler, a redoré le blason de la chanson et de la musique amazighe. Du haut de ses 61 ans, le maître de «l'outar» (instrument traditionnel) sillonne depuis de longues années les différentes villes marocaines et mondiales, chantre d'une musique amazighe engagée, créative et innovante. Tout a commencé en 1964. Rouicha n'avait que 14 ans. Il quittait alors sa Khénifra natale, intègre la division amazighe et arabe de la Radio et télévision marocaine (RTM) et enregistrait sa première chanson «Afak ya l'kia». Ce premier tube cartonne. Il lance ainsi la carrière de Rouicha et lui permet surtout de se faire connaître auprès du grand public. Quelques années plus tard, Rouicha produit une autre chanson aussi réussie que la première «Ya l'hbiba, bini w'binek darou l'hdoud». Ce tube permet, en effet, au jeune artiste de se faire une place sur la scène musicale nationale. À la fois parolier, compositeur et interprète, Rouicha est devenu la coqueluche du public durant cette période. Influencé par les grands maîtres de l'outar tels que Mostapha Naïniâ, Kachbal et Zeroual, il décide, au fil des années, de se forger son propre style et de ne pas se contenter de «singer» les maîtres de cet instrument. Il se lance donc un défi, celui d'introduire des rythmes orientaux sur l'outar sans pour autant le dénuder de son authenticité marocaine. Une orientation légitime si l'on sait que l'artiste est un grand fan de la musique arabe, celle de Said Darwich et de Mohamed Abdelwahab. «J'ai beaucoup d'estime, de respect et de considération pour le grand Abdelwaab», avait-t-il déclaré. En attendant le musée ! Autodidacte, Rouicha qui s'installe à Mohammedia à l'âge de 18 ans (il intègre une usine de textile) continue d'explorer les musiques arabe, marocaine et amazighe. Sollicité par les organisateurs des concerts et des festivals, il se produit dans différentes régions du royaume consolidant ainsi son succès. Prolifique, il produit bon nombre d'albums devenus aujourd'hui des références en la matière. «Inas, Inas» par exemple, a conquis les cœurs. La poésie du texte, la composition originale et le timbre unique que dégage la voix de Rouicha ne laissent personne indifférent. Loin des rythmes répétitifs, la musique de Rouicha transporte dans un univers onirique, celui du Moyen-Atlas. Il faut dire que le chanteur est devenu avec le temps, l'ambassadeur de la chanson amazighe marocaine. Il a réussi, en effet, grâce à son talent, à moderniser cette musique pour qu'elle puisse plaire aux jeunes, habitués à des rythmes plus rapides. Un travail qui lui a valu des prix décernés par des organismes marocains et étrangers. Ce sont plus de 140 prix que l'artiste a ainsi reçu durant son long parcours. Père de quatre enfants, Rouicha n'a jamais été aussi dynamique que ces dernières années. Très sollicité, il a animé les soirées de bon nombre de festivals notamment celui de Casablanca, celui des musiques sacrées de Fès ou encore Timitar à Agadir. D'ailleurs, un concert, qui sera désormais animé par son propre fils, doit se produire cette semaine à Paris. Après un parcours aussi riche, Mohamed Rouicha surnommé également «Farid Al Atrach de l'Atlas», n'a qu'une seule idée en tête : transformer sa propre maison située au centre de Khénifra en musée afin de mettre son patrimoine au service du grand public. Un rêve qui, espérons le, se concrétisera un jour, car la musique de Rouicha fait bel et bien partie du patrimoine de ce pays !