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Hajja Hamdaouia, diva aux mille vies
Publié dans Les ECO le 02 - 11 - 2018

L'icône de la chanson populaire marocaine a donné un concert plein d'émotions, le week-end dernier à Essaouira lors de la 15e édition des Andalousies Atlantiques. Hajja Hamdaoui a été magistrale aux côtés de Raymonde El Bidaouia en prouvant qu'à 88 ans, elle était encore et toujours la diva des trois rois. Rencontre.
Le pas déterminé, la tête haute et la démarche féline, elle déambule sur scène comme elle a traversé les générations : avec assurance et passion. Hajja Hamdaouia a marqué la 15e édition des Andalousies Atlantiques en partageant la scène avec Raymonde El Bidaouia. «Elle m'a un jour demandé de reprendre mes chansons, je lui ai dit : «prends tout et laisse-moi le reste !», s'amuse la chanteuse au répertoire connu des grands et des petits. «Je suis toujours émue quand je vois des enfants ou des jeunes chanter mes chansons, je me dis que j'ai réalisé quelque chose dans ma vie, je crois», confie la diva de l'aïta moderne à la vie tumultueuse. Et pourtant elle ne se souvient que du bon.
Pionnière et militante
Véritable monument de la chanson marocaine, Hajja Hamdaouia a connu la colonisation et l'indépendance. Résistante, elle se donne à la musique et au théâtre presque par hasard. «Je ne savais pas vraiment où j'allais, on m'a proposé de jouer et de chanter, j'y suis allée les yeux fermés», avoue la diva qui a été bercé par un père mélomane toute sa vie. «C'est mon père qui m'a donné le virus de la musique et de la danse, il me demandait de faire des numéros de chant et de danse tout le temps». Paradoxalement, son père sera le premier à s'opposer à sa carrière. «Il avait peur pour moi !», confie la diva qui défie sa famille au risque d'être reniée. Elle se souvient de l'intervention de sa tante pour la laisser exprimer son talent. Pourtant la musique n'est pas venue en premier. C'est le théâtre. Native de Derb Sultan, Hajja Hamdaouia est remarquée très jeune et se voit proposer un rôle par une troupe arabe. «Je ne savais pas parler en arabe classique, je me suis ridiculisée ! Mais j'ai été remarquée par la troupe du quartier et j'ai continué à jouer». Presque sans faire d'efforts, elle sera l'une des premières femmes au théâtre au Maroc puisqu'à l'époque même les rôles de femmes étaient joués par des hommes. En avance sur son temps, «l'Hajja» jouait même au football et était une très bonne attaquante ! À la même époque, elle se souvient avoir traversé les villes en voiture, armes cachées sous ses caftans pour défendre le pays. «Je ne savais pas ce que je faisais mais cela semblait nécessaire. Avec du recul, je sais que je risquais ma vie mais je ne me suis jamais posée la question, je fonçais !». C'est dans une chanson politique où elle dénonce le colonisateur français qu'elle se retrouve en prison pour quelques jours avant d'être libérée. Elle connaîtra l'exil avant de faire son grand retour au Maroc afin de marquer la chanson marocaine à jamais.
Aïta moderne
Hajja Hamdaouia a donné à la aïta une nouvelle couleur. Elle est la première à la mélanger au châabi et à y incorporer des instruments modernes tels que le clavier, la basse, la guitare. Elle en fait une sorte de pop marocaine accessible à tous. «Je ne saurai pas faire de la aïta traditionelle, j'ai fais de la musique comme je le sentais, à ma sauce», confie celle qui s'est formée au Coq d'or et a connu les jours heureux de Mohamed Fouiteh et Maâti Belkacem, aux côtés du célèbre Salim Hilali. «Il m'a appris à me tenir sur scène !», se souvient la chanteuse qui a créé son orchestre en 1959 sous le regard bienveillant de son mentor Bouchaib Al Bidaoui. Avec des paroles percutantes qui dénoncent, elle exprime ouvertement sa féminité et parle de sexe et d'amour ouvertement. Une femme qui s'assume et qui gagnera le cœur du public dans les années 60-70 avec des chansons comme «Daba Yji», «Jiti majiti», «Dada ou hiyani», «Mal hbibi'liya» ou encore «Hna mada bina». Les années 80-90 sont difficiles, le diva semble tomber dans un anonymat dont elle a du mal à sortir. Elle se retrouve dans une chambre de bonne à Paris et les dates se font rares. C'est une maladie qui allait lui coûter la vie qui la sauvera. Le Roi Mohammed VI la sort de la misère. «Toute expérience est bonne à prendre. J'ai connu des hauts et des bas, de grands hauts et de très grands bas, mais c'est ce qui fait de moi la femme forte que je suis !». Sur scène, celle qui semble immortelle, chante comme elle respire. D'un naturel déconcertant, l'icône de la chanson marocaine âgée aujourd'hui de 88 ans, enchaîne les morceaux avec sa voix authentique. Celle qui a inspiré des générations se voit bien se retirer de la scène dans deux ans. «Si j'y arrive», confesse-t-elle avant d'ajouter : «J'ai vécu tant de choses, j'ai tellement à dire, mon rêve serait de laisser un livre sur ma vie ou un biopic aux générations à venir». Avis aux cinéastes et aux écrivains…


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