Du 25 au 28 octobre, Essaouira a accueilli la 15e édition du Festival des Andalousies Atlantiques. Une programmation fidèle à l'âme du festival qui a su toucher tous les festivaliers presque venus en pèlerinage plonger dans l'histoire de la musique andalouse qui fédère juifs, chrétiens et musulmans. Zoom au coeur du festival du «Vivre ensemble». Depuis le jeudi 25 octobre, le temps semble s'être arrêté à Essaouira. La ville respire les belles ondes, l'amour du prochain, le vivre ensemble, le tout sublimé par des notes de musiques, des mélodies originales, des chansons populaires, des voix incroyables. Le tout dans une ambiance méditerranéenne. Des femmes en foulard lancent des «youyous» à la diva Raymonde El Bidaouia, des hommes en kipa sont fascinés par le charisme de Hajja Hamdaouia, des enfants et des adolescents chantent les chansons populaires d'antan comme s'ils se souvenaient de vies antérieures, les Marocains juifs du monde retrouvent le parfum de leur maison qu'ils ont quittées souvent malgré eux. Le 15e anniversaire des Andalousies Atlantiques a donné une belle leçon d'humilité et d'humanité au monde entier en rassemblant deux peuples frères que la politique fait tout pour séparer. Heureusement que l'histoire est là pour rappeler les liens fraternels, la musique étant la preuve irréfutable que nous ne faisons qu'un. Retrouvailles de divas Un des temps forts de cette édition est sans aucun doute ce duo incroyable de Raymonde El Bidaouia et de Hajja Hamdaouia ce samedi soir en clôture d'un festival aussi important que nécessaire. «Lalla l'Hajja, c'est la colonne vertébrale de la chanson populaire marocaine», scande une Raymonde El Bidaouia émue par un public chaleureux. «Sans elle, je ne serai pas devant vous aujourd'hui, c'est grâce à elle que je suis devenue Raymonde», continue la chanteuse juive marocaine qui reprend les chansons du patrimoine marocain avec un supplément d'âme. Avec sa voix profonde et sa générosité sans faille, cette interprète incroyable, marocaine d'abord avant d'être juive, se sent revivre à chacun de ses retours à Essaouira. «Merci pour cette opportunité et ce public magnifique, je continuerai à revenir même avec une canne à la main», plaisante celle qui n'hésite pas à aller vers son public comme nourri par son énergie. Celle qui comme son concert, par des chansons de Abdelhadi Belkhayat et Abdelouahab Doukkali, met toute la salle dans sa poche avant de laisser la voix à la plus charismatique des chanteuses marocaines, à l'icône de la Aita moderner : Hajja Hamdouaia. Du haut de ses 88 ans, la chanteuse populaire marocaine ne semble pas avoir pris une ride. Sa voix est toujours la même, sa puissance d'interprétation intacte. «Raymonde est ma grande amie, le jour où elle est venue me demander si je voulais bien qu'elle reprenne mes chansons, je lui ai dit : «prends ce que tu veux et laisse-moi le reste !», confie l'icône de la chanson marocaine qui a beaucoup appris de Salim Lahlali, le judéo-algérien qui a fait les belles années du Coq d'or. «Il m'a appris à me tenir sur scène, à bien prendre mon bendir, c'était un grand». Et quand les deux divas se retrouvent pour partager un moment de scène presque surréaliste, le public se lève et chante en «cœur» tellement l'émotion est grande, tellement l'évènement est à marquer d'une pierre blanche. Essaouira aura encore une fois réussi l'impensable, rassembler de grandes artistes marocaines au passé commun, aux parcours différents mais avec la même passion pour la scène. D'Andalucious à Hapiyout ou le bonheur du vivre ensemble Avec leur énergie débordante, deux groupes ne sont pas passés inaperçus à Essaouira. Le premier a été fondé par un virtuose de la musique et violoniste de talent : Elad Levy qui est aussi compositeur, auteur et arrangeur. Lorsqu'il crée Andalucious en 2015, il souhaite véhiculer un message de paix avec des musiciens juifs qui explorent leurs origines marocaines. «Nous sommes tellement heureux d'être au Maroc, à Essaouira, dans ce festival magnifique où juifs et musulmans cohabitent, chantent et dansent ensemble. On ne voit ça nulle part ailleurs !», confie l'un des chanteurs du groupe en une darija parfaite. Avec deux Luths, le ney, les percussions, les violons, la basse, un piano, c'est un ensemble incroyable qui va chercher des sonorités nouvelles pour des chansons anciennes. Ils n'hésitent pas à reprendre du Mohamed Fouiteh en marocain et en hébreu, parcourent le répertoire judéo-andalou tout en proposant des chansons originales. Rejoint par les Hapiyout ce samedi soir, le concert avait des airs de chorale heureuse à la joie de vivre contagieuse. Le message était clair : «Musulmans et juifs, vivons en paix !». Des Rossignols du Maghreb à une danse flamenca habitée Comment penser Andalousie sans rendre hommage au flamenco et à sa grande capacité à émouvoir. Ce vendredi soir de Chabat, la soirée promettait fête et amour avec Curro Piñana et la grande Nadia Marquez ! Le chanteur, le guitariste et le percussionniste reprennent des chants du répertoire flamenco anciens, presque disparus du répertoire minero au chant de Curro, avec une maîtrise et une passion à en donner la chair de poule mais quand ces chants sont sublimés par la danse endiablée de Nadia Marquez, l'émotion est à son comble. Une danse exécutée à la fois avec fougue et assurance à laquelle la danseuse semble ajouter une petite version moderne entre le tango et les claquettes. Un voyage au cœur de l'Andalousie qui continuera en Afrique du Nord. Parce que les Andalousies, c'est aussi les grandes voix du Maghreb qui interprètent le patrimoine andalou comme personne. L'ouverture du festival a permis aux festivaliers d'apprécier les capacités vocales de Benjamin Bouzaglo et Sanaa Marahati avant de découvrir trois grandes voix du Maghreb ce vendredi soir. La Tunisienne Syrine Ben Moussa s'empare du patrimoine Maalouf avec grâce et donne un aperçu de son héritage et de la beauté de ses origines avant de laisser place à la diva de Haouzi, l'Algérienne Rym Hakiki. Figure emblématique de la scène algérienne, la diva à la voix multidimensionnelle a impressionné le public avec une maîtrise du répertoire et une fluidité d'interprétation incroyables. La dernière, mais pas des moindres, a rejoindre la scène a envoûté par une belle présence qui rappelle les grandes cantatrices d'antan comme Oum Keltoum ou Warda. En ne faisant presque aucun geste, que par la puissance de sa voix, Hayat Boukhriss revient sur le patrimoine Chadiyatto tourath et reprend les chants traditionnels marocains avec grâce. Ce sera sur «Ya bent bladi» que le trio du Maghreb terminera le concert sous le regard bienveillant d'Enrico Macias qui viendra interpréter quelques tubes. En somme, la quinzième édition des Andalousies Atlantiques, entre concerts intimistes, grands spectacles, débats du matin où l'on échange avec sincérité sur les parcours de chacun, a permis aux festivaliers de mieux comprendre l'histoire du Maroc en musique, l'histoire de ses peuples que les ouvrages veulent bien oublier. Les Andalousies Atlantiques est un festival de musique certes mais c'est surtout un livre d'histoire qui continue à s'écrire au fil des éditions, à laisser aux générations à venir du monde entier.