C'est l'histoire d'un village dont le destin a toujours été lié au poisson marocain. Barbate, la petite localité d'environ 23.000 habitants, située dans la province de Cadix n'a toujours pas retrouvé ses esprits après l'amère pilule administrée par les eurodéputés. En cette matinée hivernale, le port de pêche baigne dans un calme trompeur. «Une semaine auparavant, cet endroit fourmillait de pêcheurs et de poissons. Aujourd'hui, on dirait un cimetière», commente, affligé, Juan Manuel, en tirant une bouffée de sa cigarette. Debout sur le quai, il contemple son bateau, «Raquel y Sheila». Quelques marins astiquent le pont, d'autres rapiècent un filet. Ils sont sept personnes à s'affairer sur cette embarcation artisanale. «Les eurodéputés nous ont asséné un coup fatidique. Je suis un simple marin qui ne s'est jamais intéressé à la politique, mais je comprends mal comment une institution qui devrait veiller sur les intérêts de ses citoyens, nous porte préjudice». Juan manuel a dédié sa vie à la mer. Pêcheur de père en fils, il connaît les eaux marocaines comme sa poche. D'ailleurs tous les marins de cette localité côtière ne jurent que par le poisson marocain. Le golfe de Cadix, la côte sur laquelle se trouve Barbate, n'est plus en mesure d'absorber l'ensemble des chalutiers de pêche côtière en activité dans la région. De ce fait, les prises réalisées dans les zones avoisinantes couvrent à peine les dépenses. Comble de la mauvaise fortune, la suspension de l'accord coïncide avec le période de repos biologique du golfe de Cadix. «Si l'activité cesse dans les eaux marocaines, nous sommes ruinés», se lamente Juan Manuel. Son bateau s'apprêtait à prendre le large, direction le Maroc. Une ultime sortie avant les vacances de Noël. D'ailleurs, un grand nombre des embarcations étaient armées, prêtes à larguer les amarres. «Je ne vois aucune alternative à cet arrêt imposé par des députés européens qui, je le parie, ignorent où se trouvent Barbate et combien de familles vivent grâce à cet accord suspendu». Son compagnon, Saïd, un Marocain, vit aussi grâce au poisson du large des côtes marocaines. Il reconnaît que ce n'est pas la première fois que les pêcheurs sont acculés à un arrêt technique, mais à l'en croire, cette fois-ci, la donne est différente, à cause de la crise économique. «C'est une surprise pour tous les pêcheurs, personne ne s'y attendait», explique Said, désenchanté. Un peu plus loin, Salvador, le propriétaire de Charpimar, cache à peine sa colère. Son équipage est composé de 17 marins, mais pour ce patron armateur, les conséquences de cette décision dépassent les murs du port. «Tout le village se nourrit des prises des eaux marocaines. Nous faisons fi des subventions, nous voulons un accord et non des aides qui dureront trois mois et après nous serons livrés à notre sort». Quant à la question de la non-rentabilité du pacte, soulevée par les eurodéputés, Salvador est catégorique. «Ils prétendent qu'il n'est pas rentable,mais pour nous, il l'est. Il nous donne de quoi subvenir à nos besoins, à ceux de nos familles, sans parler des emplois indirects qu'il crée». Ce matin de vendredi, pêcheurs et armateurs se sont réunis pour décider des mesures à prendre. Quelque 43 armateurs et marins débattent dans une salle où une ambiance survoltée règne. L'inquiétude se lit sur les visages. Des voix s'élèvent exigeant du gouvernement ibère des négociations bilatérales avec le Maroc. Les représentants des associations freinent l'élan des assistants et évoquent un empêchement d'ordre technique à cette proposition. D'autres déçus par la découverte de ce handicap, s'agitent. Le ton monte. «À quoi nous sert cette appartenance à l'Union européenne si cela nous apporte que ruine. Tout au long de notre vie, nous avons subsisté grâce au Maroc», nous confie, amer, ce syndicaliste. À la fin de la réunion, les marins ont tranché: «Si l'Europe nous a tourné le dos, nous nous tournerons vers le Maroc», ont-il décidé en chœur.