Deux ans de négociations et de lobbying intenses viennent de tomber à l'eau. La proposition de renouvellement de l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre le Maroc et l'Union européenne, n'aura finalement pas survécu à l'étape du Parlement européen (PE). Le «non» l'a emporté hier, à Strasbourg (326 voix contre, 296 pour et 58 abstentions), et marqué du coup l'échec des négociations pour le renouvellement de ce partenariat. La décision a été aussi prompte que surprenante, et tombe dans un contexte de transition gouvernementale peu favorable pour le Maroc. Sur le coup, l'effet de «surprise» a été le plus largement partagé, sur ce côté-ci du détroit de Gibraltar. Si la réaction officielle du ministère de tutelle se faisait encore attendre au moment où nous mettions sous presse -transition gouvernementale oblige- les professionnels et parlementaires se sont montrés plus prolixes, dans la réactivité. «Je reçois cette nouvelle avec beaucoup de surprise, par ce que je pense que nous avons fait tout notre possible pour obtenir des votes en faveur de l'accord», assène d'entrée Omar Akouri, le président de la Fédération de la pêche maritime et de l'aquaculture (FPMA), et aussi membre de la Commission mixte des professionnels maroco-espagnols de la pêche. Rappelons que la dernière action de lobbying de cette commission remonte à il y a juste quelques jours, lors d'un rencontre avec Maria Damanaki, la présidente de la Commission de la pêche au Parlement européen. Le lobbying aura finalement été vain. «C'est un rejet que nous déplorons vivement, et qui remet en cause tous nos efforts vis-à-vis de nos partenaires européens dans le cadre global du Statut avancé», nous déclare Hassan Oukacha, le président de la Fédération de la pêche maritime. Par ailleurs, pour d'autres acteurs du secteur, la position en défaveur par rapport à cet accord n'est guère inattendue. C'est en tout cas l'avis du représentant syndical Abderrahmane Yazidi, qui se veut intransigeant jusqu'au bout. «C'est une décision qui était prévisible depuis longtemps, même si l'on sait que nous n'avons réellement pas besoin de cet accord de pêche. J'aurais aimé même que ce rejet se fasse de notre initiative. C'est au futur gouvernement maintenant de prendre ses responsabilités». On remet tout à zéro Ces responsabilités, justement, mènent à soulever plusieurs interrogations, notamment sur le rôle -pleinement joué ou pas ?- du lobbying marocain. Là, les avis se rejoignent quelque peu. «Le lobbying institutionnel a pourtant été à la hauteur. Les instructions ont été appliquées à la lettre, aussi bien au niveau diplomatique que ministériel. Le Maroc n'était pas du tout en position de faiblesse», estime Omar Akouri. «Nous avons proposé une offre minimale et très équilibrée, où les deux parties trouvaient leur compte», ajoute cet autre membre marocain de la commission mixte des professionnels maroco-espagnols, qui ont ces deniers mois multiplié les réunions avec l'actuel ministre, Aziz Akhannouch. Le but étaient en effet de coordonner les actions des professionnels et celles de la tutelle administrative. Par ailleurs, du côté européen, il faut savoir que l'Espagne était le seul pays à avoir un grand intérêt en jeu dans cet accord (100 sur les 119 navires qui devraient bénéficier de l'accord) -et donc à le défendre aux côtés du Maroc- sur le total des 27 composant l'Union. Le poids des décisions était déjà déséquilibré à ce stade. Le rejet de l'accord de pêche remet tout à zéro. Les négociateurs marocains et européens devront revenir à leurs attachés-cases, pour élaborer une nouvelle forme de partenariat, en espérant cette fois-ci qu'elle sera au goût des eurodéputés. «De toute façon, il n'ya plus aucun recours possible. Le rejet une fois consommé, les deux parties devront par la suite renégocier un nouvel accord avec de nouvelles clauses», nous explique cette ancienne parlementaire marocaine, habituée aux coulisses du PE. Quoi qu'il en soit, le contexte de transition gouvernementale dans lequel se trouve le royaume, risque fort de peser sur la réactivité des autorités de tutelle. Les raisons du «non» Les raisons apparentes et officiellement avancées, pour justifier le «non» majoritaire du PE est résumé dans le rapport d'évaluation de l'eurodéputé finlandais Carl Haglund, qui dresse le bilan des quatre premières années de fonctionnement de ce partenariat avec le Maroc. Les arguments font notamment allusion à des pertes économiques cumulées. Le rapport coût-bénéfice ne serait pas favorable en raison de la sous-utilisation des possibilités de pêche négociée, selon la partie européenne. «Les Européens essaient de tirer le maximum de profits financiers. Ils n'hésitent donc pas à instrumentaliser tous les sujets pour y parvenir», explique Yazidi. À cela s'ajoute le dossier de la profitabilité des retombées de l'accord aux populations du sud marocain. «C'est un argument incompréhensible. Le Maroc a fourni toutes les preuves requises par rapport à ce sujet», estime Oukacha, le président de la FPM. Pour couronner le tout, l'argument écologique est aussi mis en avant. «Sur les onze espèces démersales pêchées dans les eaux marocaines, cinq apparaissent surexploitées (merlu commun, pageot acarné, poulpe, encornet, crevette rose), quatre sont pleinement exploitées (pagre, denté à gros yeux, dorade, diagramme burro) et deux n'ont pas pu être analysées convenablement, en raison du manque de données (merlu noir et calmar)», explique-t-on dans le texte du rapport d'évaluation.