Depuis le 14 décembre dernier, date du rejet par le parlement européen de la prorogation de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union Européenne, les milieux professionnels de la pêche, que ce soit au Maroc ou de l'autre côté du détroit de Gibraltar, sont en effervescence. Mais pas pour les mêmes desseins. Les représentants de la profession au Maroc, du moins dans leur plus large majorité (on reviendra plus bas sur la plus étroite minorité) ont applaudi à tout rompre, et le vote du PE et la décision des autorités marocaines qui en a suivi, à savoir l'expulsion manu militari de la flotte communautaire des eaux territoriales marocaines. Du côté de l'Espagne et à un degré moindre du Portugal, les professionnels de la pêche sont en train de remuer ciel et terre pour ramener leurs bateaux dans les eaux marocaines. Ils ont été même jusqu'à nous rappeler le fameux « diktat européen » en faisant brandir des menaces sur la tomate marocaine. Le lobby des agriculteurs espagnols est entré en scène et essaye de bloquer la ratification de l'accord de partenariat agricole maroco-européen au même parlement de Strasbourg. Désormais, les relents de 1993 fusent de nouveau pour acculer le Maroc à un autre protocole de pêche. Le problème est qu'une certaine partie marocaine semble avoir le même penchant. Depuis l'expiration de l'accord en février 2011, certains membres de la Fédération de la pêche maritime et de l'aquaculture (FPMA) de la CGEM ont constitué avec des « homologues » espagnols une association avec pour objectif de plaider pour la reconduction de l'accord. L'abrogation de ce dernier par le PE les a pris de court et leur a coupé l'herbe sous le pied, illustrant par la même occasion l'échec de leur lobbying en faveur de la prorogation de l'accord. Le fait est que désormais ils ne peuvent faire volte-face et applaudir le départ de la flotte communautaire, à l'instar de la majorité des professionnels marocains de tous les segments de la pêche. Au contraire, dans une fuite en avant, ils annoncent dans un communiqué leur voeu d'«aboutir à un plan d'action pour préserver les intérêts de notre pays conformément aux divers accords d'association et de partenariat» liant le Maroc à l'UE, à même de «préserver les intérêts du secteur». La messe est dite. La Fédération de la pêche maritime et de l'aquaculture (FPMA) de la CGEM annonce, en des termes à peine voilés, qu'elle est pour la reconduction de l'accord de pêche avec l'UE. Ce n'est pas le cas pour le « Collectif Pêche et développement durable » pour qui la décision du parlement européen est venue à point pour ses membres qui ne demandaient pas tant pour réitérer leur opposition à tout accord de pêche avec quelque partenaire que ce soit, du moins dans sa formule basée sur l'extraction contre l'indemnisation pécuniaire. Le même jour où la MAP publiait le communiqué de la FPMA, le collectif pêche organisait un point de presse dans lequel il a présenté sa vision des choses. Et tous les segments du secteur ont répondu à l'appel. Ce jour-là étaient présents le président de la Fédération des Chambres maritimes du Maroc, le président de l'APAPHAM, le président de la Confédération nationale de la pêche côtière au Maroc, le président de la Chambre maritime d'Agadir, le représentant de la Fédération des pêches maritimes affiliée à la CGEM, le président de l'association des propriétaires des barques artisanales de Dakhla et enfin le SG du syndicat des officiers et marins de la pêche maritime. Et tout ce beau monde n'a pas été avec le dos de la cuillère pour stigmatiser le protocole de pêche. Des insuffisances à la pelle D'ailleurs, ils n'avaient pas à critiquer le protocole de pêche puisqu'un rapport d'un expert européen s'est chargé de mettre en évidence les déficiences de l'accord en soulignant que « les problèmes que pose cet accord ne sont pas imputables au pays partenaire (NDLR : Le Maroc) mais bien à l'accord lui-même ». Parmi les insuffisances de ce protocole, il y a lieu de citer la clause d'emploi obligatoire de la main d'oeuvre marocaine à bord des bateaux communautaires. Si le rapport mentionne que « la clause d'emploi obligatoire a été respectée par les navires de l'Union », il ne manque pas de souligner qu'en cinq ans, elle « n'a pas permis de créer pas plus de 170 emplois pour les ressortissants marocains, ce qui représente 0,04 % du nombre des marinspêcheurs du pays ». Et encore, d'après le SG du syndicat des officiers et marins pêcheurs, il s'agit d'émigrés marocains embarqués à partir des ports espagnols. Autrement dit, voilà une clause qui n'a servi aucunement à l'embauche de la main d'oeuvre locale. Plus, les 170 emplois cités ne concernent que les moussaillons et la clause n'a concerné aucun officier marocain. Autre déficience de l'accord, celle relative à la clause de débarquement obligatoire de leur capture. Déjà, l'accord dispensait près des deux tiers des bateaux communautaires de débarquer leurs captures dans les ports marocains. Pour le tiers restant, les bateaux étaient tenus de débarquer entre 25 et 50%. Voilà des dispositions qui empêchent tout contrôle de l'activité de cette flotte ibérique. Cela déteint d'abord sur la préservation des espèces. Ce que corrobore le rapport de l'expert européen qui affirme (entre autres) que « sur les onze espèces démersales pêchées dans les eaux marocaines, cinq apparaissent surexploitées (merlu commun, pageot acarné, poulpe, encornet, crevette rose), quatre sont pleinement exploitées (pagre, denté à gros yeux, dorade, diagramme burro). Le même rapport ajoute que « l'épuisement quasi total de ces stocks conduit à se demander si le principe selon lequel les navires européens ne doivent pêcher que des stocks en excédent est bien respecté ». Et de conclure ce volet de surexploitation en soulignant que « les évaluations indiquent que l'effort de pêche a atteint un seuil maximal dans le nord du pays et doit être limité dans certaines pêcheries. Sans omettre que l'industrie locale de transformation n'a pu bénéficier d'aucune valeur ajoutée à cause justement du non respect de la clause de déchargement obligatoire. La menace sur la ressource interdit tout accord léonin Bref, la situation est telle « que la flotte communautaire entre directement en concurrence avec le secteur local de la pêche pour chaque espèce. Et si les navires de pêche européens poursuivent leurs activités, les pêcheurs marocains perdront leurs revenus et leur emploi » tant que « les voyants demeurent au rouge et indiquent que l'effort de pêche a atteint un seuil maximal et doit être limité dans plusieurs pêcheries. Même son de cloche, entend-on à l'unisson, auprès du collectif de pêche et de développement durable qui rejette toute renégociation d'un autre accord qui s'inscrit dans la même philosophie basée sur le principe de l'extraction contre l'indemnisation. Pour les membres de ce collectif qui réunit la quasi majorité des opérateurs du secteur, les bateaux de pêche de l'UE constituent une menace pour nos ressources halieutiques et portent atteinte aux intérêts des opérateurs nationaux car la baisse des stocks rend la situation difficile pour nombre d'armateurs marocains, ont-ils poursuivi, appelant le Maroc et l'UE à initier une nouvelle démarche pour satisfaire les besoins du marché européen et développer le secteur de la pêche dans le Royaume. Une démarche qui consiste à un partenariat à terre et qui annihile l'extraction et privilégie l'investissement européen dans la valorisation des produits de la mer et le développement d'industrie en aval (chantier naval, équipements, matériel de pêche, etc.), la recherche scientifique, entre autres. Avant de conclure que la préservation des ressources halieutiques nationales exige l'implication et la collaboration de tous. Mais le plus dur reste à venir. Car si le parlement européen a voté contre la prorogation de l'accord de pêche, cela ne veut pas dire que les Européens ont craché dans la bouillabaisse. Au contraire, tout indique qu'ils vont revenir à la charge pour un arracher un accord plus avantageux et dans le temps et pour ce qui est de leurs intérêts. Car il ne faut pas oublier que l'UE est tenue de trouver des pêcheries, pour la flotte espagnole en particulier. Une flotte un peu trop friande des pêcheries marocaines. Et pour ce faire, tout arbore que les Européens et particulièrement les Espagnols useront (et usent déjà) de tous les moyens qu'ils peuvent avoir entre les mains pour faire plier le Maroc à leur desseins. Surtout qu'il y en a même ici, heureusement qu'ils ne sont pas si nombreux que ça, qui ne demandent qu'à leur ouvrir, pour une raison ou pour une autre, les eaux marocaines. Mais puisque, le cas échéant, ce sont les Européens qui sont demandeurs d'un nouvel accord, et comme la situation des stocks de la majorité, pour ne pas dire de toutes les pêcheries, est plus qu'alarmante et qu'aucune espèce n'offre d'excédent, c'est l'occasion pour le Maroc d'imposer ses conditions pour le mieux de ses intérêts et d'exiger un partenariat qui doit dépasser la pratique de l'extraction des ressources halieutiques en s'orientant vers une coopération intégrée et à grande valeur ajoutée. Et pour ce faire, la vigilance et la mobilisation de tous les acteurs marocains du secteur sont de mise pour épargner au Maroc encore un autre protocole léonin. Mais surtout passer outre ceux qui nagent à contre courant.