Rassurez-vous, malgré mes frasques habituelles et mes délires continuels, la campagne électorale, si courte et si humide, étant déjà définitivement achevée, je vais respecter le silence de rigueur en pareil jour. Je suis peut-être un mauvais citoyen qui n'adhère pas toujours aux processus imposés, fussent-ils «démocratiquement» labellisés, et qui ne répond presque jamais aux appels trop criards ou trop bavards, mais je tiens absolument à ne pas perturber une journée qui n'est déjà, vous en conviendrez avec moi, pas très bien barrée. Les règles de bienséance en la matière m'interdisent d'écrire quoi que ce soit qui serait susceptible d'influencer, dans un sens ou dans un autre, les choix des électeurs ou des électrices. Pour des raisons disons philosophiques, je ne fais partie ni des premiers ni encore moins des secondes, mais ce n'est pas une raison de mettre mon grain de sel, tardif en plus, dans un plat où il y aurait pourtant bien à boire et bien à manger pour tout le monde ; du moins, si on laissait chacun y mettre des siens et chacune y poser les siennes. Cela ne m'empêche pas de m'intéresser à ce grand jour et, surtout, aux lendemains qui vont le suivre. Comme me le rappelait encore hier une de mes nouvelles amies candidates désespérée de me voir m'isoler dans mon boudoir, ce jour est un grand rendez-vous avec l'histoire, mais, comme je lui ai répliqué, un rendez-vous, ça ne se décrète pas, ça ne s'ordonne pas, ça se désire ardemment, et, surtout, surtout, ça se prépare. Cela dit, il y a sûrement des rendez-vous arrangés qui finissent par donner des couples heureux, mais là, ici et maintenant, on parle d'avenir de tout un peuple, pas du petit ménage des voisins. En tout cas, les jeux étant faits, rien ne va plus, et on verra dès le soir de ce vendredi plus sacré que jamais, combien j'avais tort ou, pourquoi pas, combien j'avais raison. Non, je n'ai parié avec personne. Comme un petit peu tout le monde, j'ai ma petite idée qui sera forcément fausse tellement les choses sont compliquées chez nous, bien plus qu'ailleurs. Nous avons beau être un pays «exceptionnel», on n'en est pas moins imprévisibles. Bien malin et bien maligne celui ou celle qui serait capable de savoir, même très approximativement, combien il y aura de votants et de votantes, ou bien le nombre des abstentionnistes, ou, encore, celui de nos pires ennemis, les forces «boycottantes». Quant aux futurs heureux élus et futures heureuses élues, je les plains, les pauvres, car je suis sûr qu'ils vont rester sur des charbons ardents jusqu'à la proclamation finale des résultats finaux lesquels -c'est mon petit doigt subversif qui me le souffle- ne vont pas être donnés de sitôt. Ne me demandez pas pourquoi, je suis comme vous, je ne sais pas, mais, à la différence de vous, je n'en pense pas moins, mais je n'en dirai pas plus. D'ailleurs, pour éviter un dérapage incontrôlé qui pourrait m'être reproché par mes proches ou par mes boss, je vais arrêter là mes pérégrinations sémantiques vaseuses, et je vais vous parler d'absolument autre chose. La semaine dernière, j'ai été invité à ce qui a été appelé si joliment et si pertinemment les «Rencontres cinématographiques» où, en plus des magnifiques rencontres que j'y ai faites, j'ai pu voir un film fabuleux, bouleversant et plein d'enseignements. Je ne vais vous raconter l'histoire, mais je vous dirai qu'elle parle de ce magnifique petit pays, le Liban et de la cohabitation pas toujours facile entre musulmans et chrétiens. On y apprend, disais-je, beaucoup de choses et notamment, contrairement à toutes les fausses idées reçues, que les deux communautés font, chacune de son côté, et souvent aussi, ensemble, des efforts surhumains pour vivre en bonne intelligence, c'est-à-dire, dans le respect le plus absolu possible, des croyances et des certitudes de l'Autre. En gros, l'Autre, c'est Moi, et pour que Moi, je puisse vivre en paix, il faut que je laisse l'Autre vivre sa vie comme il l'entend, et, ça serait encore mieux, que je la vive à côté de lui et avec lui. L'histoire se déroule dans un petit village, avec un imam avec sa mosquée d'un côté avec ses fidèles, et d'un prêtre dans son église de l'autre avec ses paroissiens. Je crois que si on agrandit ça, ça ferait ce que, peut-être, on appelle un «Etat civil». Et vous savez quel est le titre de ce film : «Et maintenant, où on va ?». Nadine Labbaki, tu ne croyais pas si bien dire. Quant à nous, on attendra demain pour savoir si oui ou non, il y avait bien une volonté de ne pas rater notre grand rendez-vous avec Notre Histoire. D'ici là, je vous souhaite un bon week-end et, quels que soient les résultats du scrutin, vivement le changement et vivement vendredi prochain.