Dans un village reculé, les Libanais oscillent entre drame et joie de vivre. Un village, connecté avec le monde extérieur par un pont rudimentaire et un poste de télévision défaillant, voit son précaire équilibre menacé par le spectre de la guerre civile. Avec l'aide de l'imam et du prêtre, les villageoises, des femmes écorchées ayant toutes perdu des proches (un fils, un frère ou un mari) pendant la guerre, sont prêtes à se battre pour en découdre. Unies par une cause commune, elles s'insurgent, à coups d'inventivité, contre le sectarisme qui ronge leur petite communauté. La belle Amal, interprétée par Nadine Labaki, et ses amies, font appel à une hilarante dose d'ingéniosité pour détourner leurs fils, leurs frères, leurs époux de leurs penchants hostiles, déclenchant une série de scènes burlesques. Leurs stratagèmes se muent en des situations cocasses, émaillés de belle musicalité, et de joyeuses scènes dansantes. Une BO concoctée par le mari de Labaki dans la ville, Khaled Mouzannar, et chantée par la talentueuse libanaise Tania Saleh. Une dualité intrinsèque Entre lyrisme, humour, chansons cocasses et moments poignants, Et maintenant on va où ? cultive un curieux paradoxe, et y puise sans doute sa force. En recourant à cette double tonalité, Nadine Labaki dégaine judicieusement une drôlerie qui épouse des pics de tragédie humaine. En passant de la scène d'une mère ravagée qui empêche son fils d'aller venger la mort de son frère en braquant un fusil contre lui, à celle d'une ribambelle de bonnes femmes chantonnant allègrement en préparant des «space cake», la réalisatrice fait preuve d'une audacieuse singularité. Certains trouveraient qu'en alternant les registres, le film s'éparpille et tombe dans le chaos. Cependant, si Nadine Labaki s'est embarquée dans ce genre hasardeux, c'est bien pour toucher une corde sensible. La dualité du film apparaît comme un miroir du paradoxe libanais; une joie de vivre monumentale couplée à une névrose latente, celle du communautarisme. Un constat qui jalonne l'histoire de ce pays depuis 1975, année de l'éclatement de la guerre. De surcroît, traiter ce sujet sous forme de conte et mélanger l'humour au mélodrame titille le vécu du Libanais lambda, qui a eu son lot de versions cinématographiques ayant trait à ce fléau. L'invasion d'animaux dans la mosquée, la croix brisée, le sang de poule dans le bénitier de l'Eglise, le jeune homme tué par une balle destinée à un autre, les deux amoureux écrasés par le poids de la religion, ne sont que le reflet de l'absurdité du conflit. Nadine Labaki a tendu un miroir au peuple libanais, scandant des vérités intrinsèques, dans une esthétique kitsch et éloquente. Elle a créé un microcosme représentatif de son pays, en glorifiant ses douleurs, et a surtout rendu un vibrant hommage aux femmes, magnifiques héroïnes désabusées. Conspiration féminine Car le film est une ode aux femmes, dans une société régie par les hommes. A l'instar de La source des femmes de Radu Mihaileanu, les femmes de Et maintenant on va où ? prennent les rênes, non sans une touche d'inventivité. Le cliché de la femme arabe qui s'érige en une manipulatrice sympathique, pour déjouer les emportements, ou les ardeurs belligérantes de son homme, est emblématique de cette partie du globe. Comment contourner une montée de testostérone ? Nadine Labaki nous en donne la recette, creusant un sillon loufoque à souhait. Elle rend surtout un hommage grandiose à la mère libanaise, sans doute le véritable martyr de cette guerre ; celle qui a le plus pâti des jeunes soldats tombés lors des combats. Des voyages mérités Après le succès de Caramel, présenté en 2007 à la Quinzaine des réalisateurs, le second long-métrage de Labaki a su se construire une carrière internationale. ll a été présenté au Festival de Cannes, dans la section Un certain regard et au Festival international du film de Toronto où il a raflé le prix du public, ainsi qu'au Festival international de Doha. Au Maroc, Et maintenant on va où ? est sorti dans les salles du Megarama en décembre, et a été projeté au cinéma ABC ce week-end. Et même si la talentueuse Labaki n'en est pas à son coup de génie, elle n'en est sûrement pas à son coup d'essai.