Si l'Egypte, la Syrie et la Tunisie ont été les porte-flambeaux du cinéma africain et moyen-oriental ces dernières années, c'est au tour de l'Iran, de la Turquie et du Maroc de se démarquer en 2011. Une année singulière pour l'industrie cinématographique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il faut dire que le vent de la révolution a essouflé l'industrie du 7e art dans cette région du globe. Les trois pays pionniers dans ce domaine — dont les cinéastes sont souvent représentés dans les festivals régionaux et internationaux —, à savoir l'Egypte, la Syrie et la Tunisie, ont produit peu de films commerciaux ou indépendants cette année, se cantonnant aux documentaires. De surcroît, le pilier du circuit des festivals de cinéma, le Festival international du film du Caire, n'a pas eu lieu en 2011. La scène cinématographique arabe a été dominée par un Maroc hautement créatif, certaines pépites de Jordanie et quelques films libanais à l'esthétique visionnaire. Plus loin sur la carte du Moyen-Orient, l'Iran et la Turquie ont, eux aussi, brillé par un cru substantiel. Success-story libanaise Le succès commercial de l'année reste sans conteste celui de la Libanaise Nadine Labaki Et maintenant on va où ? Après Caramel, premier film sur la psychologie féminine, tourné dans un salon d'esthétique pour femmes, Labaki nous emmène dans un village isolé où les résidents parlent le dialectal libanais, et sont divisés entre musulmans et chrétiens. Une guerre civile vient juste de prendre fin et les villageois, en butte à un nouveau monde, ont du mal à se détacher de leurs vices sectaires. Et maintenant on va où ? sonde la violence sectaire, et ponctuée curieusement d'envolées comiques et de passages musicaux dansants. Toujours au Liban, le film le plus controversé reste Beirut Hotel présenté au Festival du film de Locarno. Si Nadine Labaki s'avère l'étendard des films sociétaux intelligemment ficelés, la place de Danielle Arbid dans le cinéma contemporain libanais est celui de la sœur rebelle, qui semble se rebiffer contre tout consensus. Son troisième long-métrage est un film d'espionnage, sur fond d'histoire d'amour. Interdit au Liban, le film brise certains tabous de la société libanaise, et évoque le récent assassinat du Premier ministre millionnaire, pimenté d'un soupçon de relations sexuelles extra-conjugales. Une autre success-story libanaise : Trois disparitions, le premier film de Rania Stephan, connue pour ses documentaires intelligents, est un film à mi-chemin entre le documentaire et la fiction narrative, superposant les personnages filmiques de l'actrice égyptienne Souad Hosni, à la manière d'un collage atypique et un montage synthétique des versions VHS des films de l'actrice. Non loin du Liban, Aspirin and a Bullet (Aspirine et cartouche) du plasticien et cinéaste syrien Ammar El Beik, projeté en avant-première au Festival international du film de Dubaï, estun des meilleurs longs-métrages réalisés dans un pays arabe en révolution. Le documentaire qui s'est démarqué par son esthétique graphique, son regard intellectuel et son humour réaliste, déploie des anecdotes puisées dans les jeunes années parisiennes d'un bourgeois syrien, ses interactions avec sa petite amie, truffé d'une remarquable série de portraits vidéo des cinéastes favoris du réalisateur. Aspirin and a bullet reformule d'une manière intrigante la phrase culte de Godard : « Pour faire un film, il faut obligatoirement une fille et un pistolet ». Le Maroc prolifique Prolifique à souhait, le Maroc est passé de 3 à 25 films en quelques années. Plusieurs films sont sortis du lot, récoltant prix et critiques favorables dans les festivals de la région. Citons l'audacieux L'Amante du Rif de Narjiss Nejjar, les films noirs Sur les planches de Leila Kilani, et Mort à vendre de Fouzi Bensaidi, les bouleversants Free men d'Ismail Farroukhi et Omar m'a tuer de Roshdi Zem et l'urbain et expresionniste The End de Hicham Lasri. Le meilleur cru du Moyen-Orient reste l'iranien Une séparation, Ours d'or au Festival international du film de Berlin, et le turc Il était une fois en Anatolie, en compétition au Festival de Cannes. Les derniers films d'Asghar Farhadi et Nuri Bilge Ceylan ont repoussé les limites du cinéma du Moyen-Orient, dégainant deux styles distincts. Farhadi flirte avec le mélodrame, superbement exacerbé par les prouesses des acteurs, la force de la narration et un réalisme sidérant. Il était une fois en Anatolie, sombre et dense à l'image de son réalisateur, est, au vu de plusieurs critiques de cinéma, son chef-d'œuvre le plus accompli, titre occupé auparavant par son décapant Uzak.