Décidément, le secteur de l'immobilier semble soumis aux aléas de calculatrices à l'arithmétique déglinguée. En effet, les chiffres du secteur font l'objet de surenchères et d'interprétations plus saugrenues, le plus souvent, les unes que les autres. Et, en dépit de la dynamique qui a été voulue pour ce secteur, la partie «traitement statistique» a été omise, aidant donc à cette profusion de lectures pour l'évolution d'un secteur aussi important. Dernière débacle en date: celle d'une ONG, le Médiateur pour la démocratie et les droits de l'Homme en l'occurrence, qui publiait la semaine dernière un rapport retraçant le bilan de certains ministères sous le mandat du gouvernement actuel, parmi lesquels celui de l'habitat. Le tableau dressé est alors loin de brosser cette relance du secteur immobilier qui faisait jusque-là la fierté de la tutelle. Cette dernière n'a d'ailleurs pas attendu longtemps pour publier un communiqué dénonçant la fiabilité des chiffres contenus dans ledit rapport. Si pour l'heure, cette publication fait planer beaucoup de doutes sur ses réels objectifs (voir page 5), il n'en demeure pas moins que celle-ci vient renforcer le flou qui entoure la santé réelle d'un secteur de premier rang au niveau social. En effet, en l'absence de baromètre clair permettant de jauger sa santé, l'immobilier reste sujet à des analyses divergentes selon que l'on se place du côté de la tutelle, des professionnels ou celui des observatoires. Certes, jusque-là, le ministère de l'Habitat publiait régulièrement des indicateurs concernant le secteur. Cependant, ces données concernaient le plus souvent le bilan des actions du département au lieu de constituer un véritable baromètre du secteur de l'immobilier. À ce titre, il suffit de citer l'évolution des prix ou des ventes sur lesquels ne se prononce que rarement la tutelle. Dans cette situation, seul l'indice des prix des actifs immobiliers publié par la Banque centrale est considéré par les observateurs et les analystes comme un indicateur clé. Or, même cet indicateur est à prendre avec précaution. «L'indice tel qu'il est conçu aujourd'hui ne prend en compte que les biens immobiliers ayant fait l'objet de deux transactions au moins», explique-t-on auprès de la FNPI. Peut-on donc s'y fier pour se faire une idée globale du marché? Pour la conception de cet indice, les biens vendus dans leur état neuf ne sont pas pris en compte, ce qui limite sérieusement la représentativité de cet indice des performances réelles du secteur. Cela est d'autant plus valable que la catégorie du neuf progresse continuellement. Dans sa dernière analyse du marché, par exemple, la Banque centrale évoquait une chute des transactions avec un indice à 1,9% au troisième trimestre comparativement au deuxième, s'établissant à 23.180 transactions. Au même moment, au sein de la FNPI, on nous fait savoir que «la tendance observée dans les biens neufs est tout autre et cette baisse ne concerne pas les promoteurs immobiliers». Cet état de fait s'avère aujourd'hui problématique dans le sens où beaucoup l'ignorent et ont tendance à prendre l'IPAI comme un indicateur pour décider de leurs actes d'achats ou de ventes. Si pour les «secondes mains», le problème ne se pose pas, pour le neuf, cette mauvaise perception de l'indice peut s'avérer très préjudiciable pour le secteur. «L'immobilier est un secteur très sensible à la psychologie des acquéreurs. Quand on vient dire que les prix du secteur sont en hausse parce que l'indice de la banque centrale l'est autant, cela peut freiner les actes d'achat alors que dans la réalité, les prix du neuf n'ont pas forcément évolué de la même manière», nous explique Mohamed Koutbi, délégué général de la Fédération des promoteurs immobiliers. Cette problématique, la Banque centrale semble tout de même en être consciente. Dans un récent point de presse consacré à la méthodologie retenue pour l'IPAI, des cadres de la banque expliquaient que «l'indice est toujours sujet à des développements et des modifications. D'ailleurs, le projet de créer des sous-indices à la fois pour l'immobilier d'occasion et pour celui du neuf est en gestation». Une problématique nommée foncier En attendant, l'on ne peut que se contenter de l'avis des professionnels pour juger de la santé du secteur de l'immobilier. À ce titre, pour la FNPI, tout va pour le mieux. Cela étant, le marché aura besoin d'un minimum de 200.000 logements par an sur les prochaines années si le Maroc veut en finir avec le déficit en logements. «Nous constatons aujourd'hui une demande nouvelle de 120.000 unités en moyenne par an. Parallèlement, le marché aura besoin de créer 80.000 unités supplémentaires sur les dix prochaines années s'il veut combler le déficit de 800.000 unités relevé actuellement», ajoute-t-on auprès de la FNPI. Seul hic, il faudra mobiliser du foncier, ce qui n'est pas gagné d'avance, notamment dans les grandes villes telles que Casablanca. Pour le ministère de l'Habitat, on avance comme solution la création de zones urbaines et l'ouverture de nouvelles zones d'aménagement qui permettrait aux promoteurs d'accéder à plus de foncier, et partant, de faire baisser les prix du secteur. Or, cet avis est loin de faire l'unanimité auprès des professionnels. Selon un promoteur immobilier, «l'expérience a démontré que les prix de l'immobilier continuent à croître tant que l'économie d'un pays croît, et c'est le cas pour le Maroc». De plus, la libération des plans d'aménagement urbain n'est pas pour résoudre la problématique du foncier dans les grandes villes, à l'exemple de Casablanca. «Des villes comme la métropole s'étendent aujourd'hui dans les périphéries pour combler le manque de foncier. Or, les conditions géologiques, notamment, ne sont pas tout le temps favorables à ces extensions», ajoute le promoteur. Selon ce dernier, la problématique du foncier, ainsi que celle des prix, ne peuvent être résolues que si l'on autorise aujourd'hui les grandes villes à construire plus en hauteur. Ceci serait davantage bénéfique pour permettre de créer du logement pour la classe moyenne, cette dernière réclamant souvent des biens à proximité des centres-villes où le foncier est des plus rares. C'est dire qu'en l'absence de chiffres et de statistiques, les arguments ne manquent pas chez ceux qui plaident pour la bonne santé du secteur.