Six ans après son décès, Mohamed Choukri reste fort présent. Par ses livres, ses recueils, ses écrits. Par sa souffrance et son histoire «vulgarisée» comme jamais cela n'avait été fait auparavant. Après les Instituts Cervantès de Rabat et de Tanger, c'est au tour de celui de Casablanca de présenter une exposition de photographies relatant la vie de l'écrivain. Captures pré posthumes Prises par le journaliste photographe Luiz de Vega en mai 2003, ce sont plus d'une trentaine de photos sur le parcours de Mohamed Choukri qui seront dévoilées jusqu'au 30 novembre. Les clichés ont été pris à Larache, Tanger, Tétouan, dans le Rif, dans l'Atlas, à Rabat, Casablanca et Essaouira. En somme, dans tous les endroits qui ont jalonné la vie de l'écrivain. Tel un Petit Poucet, il a suivi les traces de l'écrivain. Tour à tour, c'est cet auteur incontournable de la littérature marocaine qui figure sur la photo ou des fragments de sa vie, illustrés par des inconnus. Si Mohamed Choukri les ignorait de son vivant, il s'apparente à eux par la misère qu'il a connue. Chienne de vie Installé à son bureau, cheveux rebelles et cigarette au bec, Mohamed Choukri a les yeux entrouverts. Comme pour éviter de déranger la fumée. Absorbé par ce qu'il regarde, c'est toute l'expression d'un homme meurtri qui se dégage de son faciès. Meurtri par son expérience, par sa capacité à dénuder de façon crue une enfance, une famille, un père. Un vécu. Bref, c'est une onde de mélancolie, de reconnaissance et de vénération qui s'empare de celui qui se trouve en face de l'oeuvre. Une envie pressante de lui demander pardon prend place et l'on porte la main sur la photographie, comme pour le toucher. Pour le découvrir de très prés. A défaut du modèle, le photographe s'est penché sur l'histoire de sa vie à travers une série d'images qui évoquent le personnage. Un gros plan montrant un nourrisson, les narines dilatées des suites d'une maladie, évoquant la petite sœur de Mohamed Choukri, morte quelques jours après sa naissance. Un portrait d'un jeune délinquant, la face couturée par une succession de points de suture. Des sniffeurs, emportés par l'effet de la colle de rustine et qui ont élu domicile au creux des tombeaux d'un cimetière. C'est de la même manière que l'écrivain échappait à l'agression, à la violence, à la prostitution et aux abus sous toutes leurs formes. Une rencontre singulière « As-tu apporté ce que il faut apporter pour m'interviewer ?», c'est par cette petite phrase que Luiz de Vega a entamé avec Mohamed Choukri une longue conversation, avant de clore sur des images photographiques. C'est donc le début de «La chienne de vie de Choukri». C'est comme ça que ce journaliste la perçoit, la nomme et l'expose. Poursuivi par l'ombre d'une enfance sevrée et brutale, et rattrapé plus tard par l'hypocrisie et plusieurs déceptions, Choukri n'a pas manqué de marteler les éditeurs et autres professionnels qu'il a croisés sur son chemin. «Avec 47 traductions du «Pain nu» dans seize langues, je n'ai même pas une voiture. Et le premier voleur a été Paul Bowles... On m'a également volé au Liban, en Italie, en France, en Amérique, au Brésil...».