Les Marocains d'Espagne observent avec méfiance la victoire probable du Parti populaire. Le panorama social et économique, déjà peu prometteur, risque de tourner au cauchemar pour la première communauté hors-européenne présente sur le sol espagnol si le PP met à exécution toutes les promesses électorales qu'il formule durant sa campagne électorale. L'angoisse est-elle justifiée ou s'agit-il d'une crainte héritée de l'ère du gouvernement Aznar? De prime abord, les actes et les déclarations du parti conservateur n'augurent rien de bon. Dans la région de Catalogne, où vit la plus grande communauté marocaine, le PP a annoncé la couleur. La responsable catalane du parti conservateur a dévoilé son projet de mettre fin aux contrats de travail dans le pays d'origine. Sous le slogan, «les gens de la maison premièrement», Alicia Sanchez, la présidente du parti conservateur en Catalogne, préconise la mise en place d'un système basé sur les points et prenant en considération la qualification de l'employé, son expérience et sa disposition à respecter les coutumes du pays lors d'un recrutement. Ce discours caressant dans le sens du poil l'électeur espagnol s'est révélé payant pour le parti de l'opposition lors des dernières élections municipales, quand le PP a réalisé son meilleur score, jamais obtenu dans cette terre peu acquise aux chants de sirènes du PP. Le parti de Mariano Rajoy n'a pas tardé d'ailleurs à mettre à exécution ses promesses. Preuve en est la décision des gouvernements locaux de plusieurs provinces agricoles, sous le contrôle du parti conservateur, de ne plus recourir à la main d'œuvre saisonnière recrutée dans le pays d'origine. Le dernier exemple en date nous vient de la province de Cordoue où, contre l'avis favorable des agriculteurs qui ne cessent de réclamer des saisonniers, le gouvernement local a annoncé le gel des recrutements de cette catégorie d'employés, vu que les demandes d'embauche reçues par le secteur dépassaient de loin l'offre. Cela sans oublier les immigrés au chômage qui se sont rués vers le secteur agricole, afin de joindre les deux bouts et d'échapper à la précarité galopante. Comme en attestent les chiffres, les contrats des saisonniers se réduisent comme une peau de chagrin. Selon un rapport de l'Observatoire permanent de l'immigration, les visas de travail délivrés en 2010 ont atteint à peine 37.688 contre 135.460 documents remis en 2007. Cette chute se consolidera assurément durant les prochaines campagnes agricoles, puisque le nombre des chômeurs en fin de droits ne cessent de grimper, surtout si l'on sait que depuis le mois de septembre, 1,5 million de chômeurs ne bénéficient d'aucune prestation, après avoir épuisé leurs droits au chômage. La victoire de l'opposition conservatrice n'est plus discutée. De fait, le PP affûte d'ores et déjà les ciseaux des coupes budgétaires et l'on s'attend à un recul au niveau des lois favorisant l'intégration des immigrés, fruit de huit ans de gouvernance des socialistes. Pour El Hassane Jafali, acteur associatif, la méfiance se lit sur les visages. «Le PSOE a toujours été un allié de la communauté immigrante, contrairement aux populaires lesquels, durant les deux législatures d'Aznar, ont durci la loi régulant la présence des étrangers pour freiner leur arrivée. À cela s'ajoutent les mesures adoptées par son ex-ministre du Travail, visant à favoriser l'arrivée de travailleurs latino-américains au détriment des Maghrébins, sous prétexte qu'ils partagent avec l'Espagne des liens linguistiques et historiques». Mais Kamal Benbrahim, le président d'Atimca, Association des travailleurs marocains en Catalogne, ne partage pas cet avis. Selon lui, le PSOE, sous ses faux airs de gardien naturel des droits des immigrés, cumule quelques faux-pas en matière de promotion des droits de la communauté étrangère. De plus, et crise économique oblige, tous les partis se valent à présent en Espagne, estime Benbrahim. «Il n'y a plus de ligne de démarcation entre les grands partis dits de gauche ou de droite. Le plus important en ce moment pour les principaux courants politiques est d'équilibrer les finances et d'assainir les budgets. L'immigration n'a pas une place dans cette campagne et aucun parti politique ne s'aventure à ouvrir cette boîte de Pandore, de crainte de déplaire à ses électeurs», tranche t-il. Il est vrai que la question est absente durant la campagne électorale et aucun des deux prétendants à la présidence du gouvernement ne l'a abordée lors du face-à-face télévisé. Mais selon Kamal Benbrahim, il est encore trop tôt pour se prononcer sur les intentions des populaires et à en juger par la désastreuse situation que traverse le pays, Espagnols ou immigrés, tout le monde est sur le même navire.