Entre la lettre royale adressée au Sommet de Kigali et le retour effectif du royaume le 30 janvier dernier, un intense combat diplomatique a été mené avec succès. Rétrospective. L'idée de Kagame La décision du Maroc de réintégrer l'Union africaine n'a pas été prise sur un coup de tête. Ce fut le fruit d'une mûre réflexion et une manœuvre de longue haleine. Ce n'est pourtant que lors de la visite au Maroc du président rwandais, Paul Kagame, que des indices ont commencé à apparaître sur ce dossier sensible et stratégique pour la diplomatie marocaine. Paul Kagame, qui devait accueillir à Kigali le 27e Sommet de l'Union africaine, a effectué au Maroc, les 20 et 21 juin 2016, une visite historique à forte orientation économique. Pour les observateurs avertis, il s'agissait là d'un signal fort que quelque chose d'important était en cours de gestation. Beaucoup se sont limités à guetter les positions de Kigali sur le dossier du Sahara, tout en sachant que le Rwanda reconnaissait la «RASD». Or, pour Kagame, qui un mois après cette visite officielle au Maroc allait accueillir le 27e Sommet de l'UA, l'enjeu était bien plus important. Tout le monde s'en est rendu compte lorsque le roi Mohammed VI a envoyé une lettre aux chefs d'Etats africains présents au Sommet de Kigali pour leur faire part de l'intention du Maroc de revenir dans l'institution panafricaine 32 ans après l'avoir quittée. Le message avait alors créé le «buzz», d'autant plus que dans la foulée, 28 pays membres de l'UA ont adressé une motion au président en exercice, Idriss Déby, pour demander la suspension de la «RASD» de l'organisation panafricaine. Mme Zuma et la demande d'adhésion Après la passion suscitée par le message royal lors du Sommet de Kigali, le Maroc officialisera sa demande d'adhésion le 22 septembre. Une délégation conduite par le conseiller royal et ex-chef de la diplomatie marocaine, Taïeb Fassi-Fihri, rencontre alors à New York, lors de l'AG annuelle des Nations-Unies, la présidente sortante de la Commission de l'UA, Nkosazana Dlamini-Zuma et lui remet le dossier de candidature du Maroc. Selon les règles de l'UA, ladite commission informe et recueille les avis de l'ensemble des pays membres dans un délai ne dépassant pas trois mois. Ce devrait donc être une simple formalité administrative, d'autant plus qu'une majorité des Etats du continent soutiennent publiquement le retour du Maroc. Seulement, avec la Sud-africaine à la tête de l'UA, la tâche a été beaucoup plus ardue que prévue. Plusieurs mois se sont écoulés sans que le Maroc ne soit instruit de l'évolution de son dossier, ce qui a donc poussé le royaume à accuser Nkosazana Dlamini-Zuma de bloquer ledit retour. Rabat demande alors l'intervention du président Idriss Déby pour accélérer la procédure. Au finish, le Maroc n'obtiendra aucune réponse de la Commission de l'UA, contrairement à l'adhésion «expresse» du Sud-Soudan après sa scission avec le Soudan. Le dossier du Maroc est lui renvoyé devant la Conférence des chefs d'Etats, qui allaient se réunir fin janvier à Addis-Abeba à l'occasion du 28e Sommet de l'organisation. Sprint final, retour triomphal Lors de ce sommet spécial tenu les 30 et 31 janvier derniers dans la capitale éthiopienne, l'adhésion du Maroc figurait en troisième point dans l'ordre du jour. Après la réforme de l'UA et l'élection de la nouvelle équipe dirigeante de l'organisation continentale, les dirigeants africains étaient appelés à se prononcer sur le retour du royaume. Les débats étaient à huis clos, mais les indiscrétions rapportées par la presse ont montré à quel point celui-ci fut houleux entre pro et anti retour du Maroc au sein de l'UA. Comme on pouvait s'y attendre, le camp des «adversaires» du royaume, conduit par l'Algérie et l'Afrique du Sud, a profité de l'occasion pour attirer l'attention sur la question du Sahara en allant jusqu'à exiger que le Maroc modifie certaines dispositions de sa constitution. Car selon eux, en plus des risques probables de divisions au sein de l'UA, il y avait lieu de s'interroger sur la nécessité d'accueillir «un Etat qui occupe les territoires d'un autre Etat membre de l'UA». En face, le camp soutenant l'adhésion du Maroc, qui est de loin le plus nombreux, a fait jouer tout son poids pour acter le retour du royaume. Ce qui fut fait le 30 janvier 2017, qui sera désormais considéré comme une date historique dans l'histoire de la diplomatie marocaine. Un roi heureux de retrouver sa famille Dès le lendemain de cette bataille héroïque, soit le 31 janvier, le Maroc retrouvait sa place au sein de l'organisation continentale après 33 ans d'absence. Et triomphalement, le roi Mohammed VI matérialisait ce retour en conduisant la délégation marocaine dans la salle plénière, sous les acclamations du public. À cette occasion, le souverain a été invité à prononcer un discours devant les chefs d'Etats et de gouvernement présents à Addis-Abeba. D'emblée, le roi a tenu à rassurer l'Afrique sur le fait que le Maroc n'était pas revenu pour diviser, mais plutôt pour réunifier la famille africaine. Pour Mohammed VI, le Maroc est revenu pour partager son modèle de développement économique, notamment dans plusieurs secteurs stratégiques en vogue sur le continent, à l'image de l'agriculture, des finances, du tourisme ainsi que des énergies. En un mot, le royaume est décidé plus que jamais à contribuer à l'essor de ses voisins africains.