En l'espace de quinze ans, le Maroc a ratifié le protocole de Kyoto, mis en place son Autorité nationale désignée de certification, et lancé plusieurs dizaines de MDP dont seule une douzaine a été enregistrée par le comité exécutif du MDP de l'ONU. Pourquoi ? L'AMI n°01/PMR/2016 devrait permettre d'apporter des réponses. Pour réussir son entrée sur le marché carbone, le Maroc mise sur son expérience en MDP (Mécanisme de développement propre). C'est ce qui ressort des termes de référence du Cahier des prescriptions spéciales élaboré par le ministère délégué auprès du ministre de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement chargé de l'Environnement dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt N°01/PMR/2016 qu'il vient de lancer pour l'élaboration d'une étude d'analyse des différents instruments d'atténuation des gaz à effet de serre. Le ministère y demande explicitement au futur bureau d'études adjudicataire du marché de fournir quatre livrables dont un sur «l'évaluation des différents dispositifs de création de crédits d'émission, en s'inspirant de l'expérience MDP» du royaume. De quelle expérience parle-t-on? De celle qui remonte à janvier 2002, où le Maroc, pays membre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), avait ratifié le protocole de Kyoto en nourrissant discrètement de très grandes ambitions pour le marché des MDP. À cette époque, le royaume se voyait déjà vendre des crédits carbone à la pelle aux 37 pays industrialisés qui ont souscrit l'engagement de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. L'Autorité nationale désignée du Maroc (AND MDP Maroc) avait alors été mise en place au sein du ministère de l'Environnement également en 2002. Le premier projet MDP approuvé, enregistré et lancé fin 2005 a été celui, privé, du cimentier Lafarge pour satisfaire 50% des besoins électriques de son usine locale. Il s'agit précisément d'un parc éolien à Tétouan produisant 38 gigawattheures d'électricité par an, ce qui a permis à l'industriel d'éviter l'émission de 28.700 Teq C02 (tonnes équivalent CO2) annuellement à partir de fin 2006. Par la suite, d'autres institutions se sont engouffrées dans la brèche. Parmi elles, on peut citer OCP, l'ONEE, la Cosumar, ECOMED -la société gestionnaire de la décharge contrôlée de Fès- certaines régies autonomes de distribution d'eau et d'électricité, etc. Même la CDG s'est associée à la Banque européenne d'investissement (BEI) et à la Caisse française de dépôts et de consignations pour lancer le Fonds capital carbone Maroc (FCCM), doté d'un budget de départ de 300 MDH et qualifié de premier fonds africain francophone spécialement dédié à la finance carbone au Maroc. Le royaume a alors commencé à créer par dizaines des projets orientés crédits carbone. Des projets parmi lesquels une douzaine ont pu franchir l'étape d'enregistrement par le comité exécutif du MDP. Dans ce lot, c'est le projet du parc éolien de Melloussa de l'ONE (de 140 Mégawatts) qui fait figure de meilleure vente sur le marché international. En effet, à la place de la Bourse carbone, l'ONEE a préféré vendre ses 256.000 Teq C02 sur le marché primaire, c'est-à-dire directement à un consortium international, ce qui lui rapporte annuellement une moyenne de 20 MDH par an. Abderrahim Boutaleb Directeur général d'EcoProgress Les Inspirations ECO : Que pensez-vous des appels à manifestation d'intérêt lancés par le Secrétariat d'Etat à l'environnement pour préparer l'entrée du Maroc dans le marché carbone ? Abderrahim Boutaleb : Cette initiative s'inscrit parfaitement dans le sens des réflexions et surtout des actions du gouvernement marocain pour l'intégration du pays dans le marché international du carbone. Elle va très probablement aussi dans le sens des engagements pris par la partie marocaine dans le cadre de l'accord de Paris, notamment par rapport aux contributions prévues et déterminées au niveau national par les Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Pour respecter ces engagements, il est effectivement nécessaire que des lignes de base ET et des systèmes MRV soient calculés et convenus pour les secteurs choisis, à travers des systèmes de monitoring, de reporting et de vérification garants d'une gouvernance claire, transparente et efficace. Que vaut l'expérience marocaine en matière de MDP ? Le MDP est à la finance carbone ce que la démocratie est à la bonne gouvernance. Je veux dire qu'à ce jour, on n'a pas encore inventé mieux que le MDP, malgré toutes les critiques et déviations qu'a connues ce mécanisme. Ceci étant, l'AMI lancé par le ministère est une excellente occasion pour le Maroc de savoir pourquoi sa grande ambition en matière de MDP n'a pas été satisfaite. Notamment pourquoi, sur plusieurs dizaines de projets MDP élaborés, seule une douzaine a finalement été enregistrée par le comité exécutif du MDP ? Combien parmi ces projets enregistrés sont à ce jour parvenus à valoriser leurs crédits carbone sur le marché international? Faut-il privilégier le marché primaire par rapport à la Bourse carbone? Etc, etc... Justement, faut-il obliger les détenteurs de projets marocains enregistrés à vendre systématiquement leurs URCE sur le marché primaire, plus sûr ? Il est prématuré de répondre à cette question car de nouveaux instruments de marchés sont en construction. Toutefois, je pense qu'il est crucial de bien former les acteurs potentiels de ce marché, notamment en les dotant des compétences et savoir-faire nécessaires pour une intégration réussie au marché carbone. En effet, dans un avenir proche, les URCE (Unités de réduction certifiées des émissions) seront très probablement au cœur des investissements nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique, et le Maroc doit également se doter de «bons vendeurs» qui sauront choisir les schémas de valorisation les plus adéquats.