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Les défis et les ambitions de la supervision et de l'audit de conformité sharia (2/2)
Publié dans Les ECO le 05 - 01 - 2017


L'obligation des avis :
Le terme «avis» mentionné dans le dahir N°1-15-02 portant la création du Comité sharia pour la finance participative a créé une confusion probante chez le lecteur marocain en constatant que son rôle est purement consultatif voir même facultatif alors que les avis prononcés par ce comité sont opposables et décisionnels aux structures participatives et à toute autre institution financière offrant des produits ou des services conformes à la sharia. Ils prévalent sur toute interprétation contraire.
L'indépendance et l'audace :
La supervision et l'audit de conformité sharia auprès des hautes instances nationales comme le cas du Conseil supérieur des oulémas est un modèle saluable car c'est plus efficace et moins coûteux par rapport aux rémunérations hyper importantes des shoyoukhs (savants) des comités sharia privés au sein de certaines institutions financières islamiques comme le cas des pays du Golfe et d'Asie persique...et plus réel et transparent car les opérations bancaires et financières sont plus connues et typiques. D'autres gages importants attendent le Comité sharia central pour gagner plus de crédibilité auprès du public : le degré de son indépendance dans la prise de décisions et son audace face aux diverses parties prenantes du secteur financier marocain (BAM, ACAPS, AMMC...). Le dahir N°1-15-02 portant la création du Comité sharia pour la finance participative est plus clair en matière d'incompatibilité d'adhésion des membres du Comité sharia central dans d'autres institutions mentionnées dans ledit dahir (Bank Al Maghrib, Autorité marocaine des marchés de capitaux, Autorité de contrôle et de prévoyance sociale, ainsi que les banques et les assurances participatives de la place).
La crédibilité du Comité sharia est un fruit de plusieurs facteurs clés suivants :
*L'instance de fatwa doit être dotée d'un statut privilégié, d'un poids lourd institutionnel et d'un staff d'érudits (Oulémas) honnêtes et vertueux.
* Le degré d'autonomie du Conseil supérieur des oulémas dans ces avis et ses activités de recherches (indépendant ou obéissant), c'est-à-dire y aura-t-il ou non des directives, des instructions ou des pressions de l'extérieur comme de l'intérieur de l'instance ?
*Être plein d'audace pour défendre et dire la vérité avec une sagesse et une sincérité au mépris des obstacles et des dangers est un devoir incontestable vis-à-vis de Dieu comme vis-à-vis de la société, l'évocation de ce critère noble et grandiose est un signe clair de l'indépendance du Comité sharia central.
L'efficacité et la réactivité :
L'organe de supervision va s'assurer de la conformité des activités financières marocaines à la sharia, l'ampleur du secteur bancaire participatif, d'assurance Takaful et Re-Takaful ainsi que le marché des capitaux islamiques engendre une hésitation auprès du public en matière d'efficacité et de réactivité nécessaire pour prendre en charge toutes les demandes et les exigences des parties prenantes du secteur en temps réel et d'éviter la perte des opportunités aux acteurs financiers participatifs face au risque des délais de prise de décision par le Comité sharia central.
Une supervision entière ou incomplète :
Les lois relatives au secteur financier participatif marocain («loi 103-12», «loi 119-12»,«loi 59-13») accordent un rôle primordial au Conseil supérieur des oulémas, qui se voit attribuer le rôle de sharia board national. Cet organe ne devrait pas être une simple «boîte à lettres» fonctionnant à distance, par l'émission d'avis conformes sur les produits et services financiers participatifs ainsi que la réception des rapports d'évaluation annuels adressés par les parties prenantes du secteur. Pour une bonne gouvernance shariatique, les habilitations du comité devraient aller au-delà de ces deux aspects, certes importants mais insuffisants, à notre sens, cet organe ne doit pas se limiter à un regard «externe» sur l'activité participative, il devrait être investi d'une mission plus étendue et disposer des pouvoirs d'investigation et d'audit «sur place» comme «sur pièces» à travers une cellule d'auditeurs spécialisés en audit et conformité sharia au sein du Conseil supérieur des oulémas.
La compétence et le professionnalisme :
L'un des défis les plus importants à relever est celui auxquels devraient faire face nos oulémas et nos experts, qui est de s'adapter de manière continuelle aux changements et évolutions des produits financiers et de la réalité économique, tout en étant très prudents car la moindre erreur ou information erronée pourrait faire tomber le système dans son ensemble. Ils se doivent aussi de trouver le bon moyen pour concilier entre le religieux (Al Fiqh) et la réalité du terrain. Pour certains académiciens du domaine, «l'instauration du Comité de la sharia n'est pas un luxe, c'est une condition sine qua none de l'existence d'une institution financière islamique. Le label islamique est désormais reconnu sur un plan international et est supposé répondre à des normes internationales». La maîtrise des normes juridiques et comptables, en particulier celles de l'AAOIFI, appliquée à Bahreïn et en Malaisie, représente un défi majeur pour nos membres du Comité sharia, ce qui confirme le recours à l'expertise externe à travers les cinq membres supplémentaires dans les domaines complexes de l'économie, du droit, de l'assurance et de la finance.
L'évaluation de performance :
Un autre défit préoccupant en matière de gouvernance shariatique centrale est la soumission du comité à l'évaluation de performance. Certes, cet outil de performance est indispensable pour récompenser la réussite et améliorer la performance du comité, elle est faite pour évaluer à la fois la performance générale et mesurer la progression sur certains objectifs tout au long de l'année. L'évaluation de performance donne l'opportunité de reconnaître le travail du comité, voir les axes d'amélioration et identifier le développement professionnel et la formation requise pour progresser. Et compte tenu de l'indépendance du Comité sharia envers les parties prenantes du secteur financier et envers tout contrôle externe (Parlement, Cour des comptes...), ce qui écarte toutes les possibilités de critiques probables, c'est le Conseil supérieur des oulémas qui va prendre l'initiative de l'accomplissement de ce diagnostic et veillera à bien munir cette démarche primordiale.
1. Les défis et les ambitions pour la fonction de conformité sharia interne au sein des structures participatives marocaines. La fonction de conformité sharia interne doit faire face aujourd'hui à un défi réel pour bien répondre à la législation, aux exigences et aux standards élevés en matière shariatique, juridique et technique provenant des régulateurs centraux (CSO, BAM, ACAPS, AMMC) d'une manière rigoureuse afin d'éviter d'éventuels risques et pertes, notamment le risque d'image et la réputation ainsi que de sévères sanctions des autorités régulatrices pouvant entraîner des pertes considérables pour les acteurs de la finance participative. La bonne réponse à ces exigences est l'existence des structures participatives dotées des potentialités humaines hybrides nécessaires en finance comme en sharia, honnêtes, justes et croyants, en économie et finance islamique à travers l'élaboration des programmes de formations spécifiques animés par les experts et les oiseaux rares de la finance islamique au niveau international.
D'après le projet de circulaire relative aux conditions et aux modalités de fonctionnement de la fonction de conformité aux avis du Conseil supérieur des oulémas, on constate un niveau hiérarchique hyper important accordé aux comités d'audit et de gestion des risques au détriment de la fonction de conformité sharia sachant pertinemment que le régulateur international de la finance islamique, l'AAOIFI stipule dans sa troisième norme de gouvernance que le degré hiérarchique du Comité d'audit sharia interne (appelé aussi service de conformité sharia par IFSB) ne doit pas être inférieur au niveau hiérarchique accordé au comité d'audit classique, selon la même norme, la structure participative et son conseil d'administration devront offrir un soutien complet et permanant à l'équipe du service conformité sharia en leur offrant un accès direct pour signaler des questions et recommandations importantes d'une façon concomitante afin de garantir l'indépendance et l'objectivité du service au profit de l'établissement pour ces parties prenantes.
Recommandations :
L'agence de notation financière Standard & Poor's a récemment appelé les pays d'Afrique du Nord à favoriser le développement de la finance islamique afin de desserrer les contraintes de financement qui pèsent sur leurs économies à travers la prise en considération des expériences étrangères tout en tirant des enseignements utiles, mais aussi en tenant compte des attentes des investisseurs étrangers et des promoteurs de cette nouvelle industrie. Le respect de la conformité aux normes et préceptes de la sharia est l'épine dorsale de l'économie et de la finance islamique et un gage de confiance pour les consommateurs, et malgré le succès étonnant réalisé par cette industrie financière participative dans une conjoncture économique morose à l'échelle mondiale, son développement au Maroc comme ailleurs doit faire face à plusieurs obstacles afin de les surmonter à travers :
*La création d'un centre d'études et de recherches en économie et finance islamique par les autorités régulatrices du secteur (BAM, ACAPS, AMMC...) à l'instar des pays pionniers dans ce domaine (Malaisie, Indonésie, Bahreïn...) pour promouvoir l'excellence en recherche et fournir des capitaux humains hautement qualifiés au marché du travail participatif, notamment le domaine d'audit de conformité sharia.
*La création par tous les régulateurs financiers (BAM, ACAPS, AMMC) d'un service dédié à l'audit de conformité sharia doté de compétences humaines talentueuses dans les domaines relais à ce nouveau métier (Sharia, Fiqh Almouamalat, économie, droit...).
*L'embauche des ressources humaines et de spécialistes de haut niveau, à cet égard, les régulateurs financiers doivent imposer aux structures participatives la mise en place d'un budget de recherches et de formation en faveur de leurs ressources humaines en général et leurs auditeurs de conformité sharia en particulier.
* L'octroi d'un niveau hiérarchique privilégié au service de conformité sharia au sein des structures participatives.
* La création d'un portail de communication électronique multilingue du comité sharia central dédié aux opérateurs du secteur financier participatif et au public à l'instar du Haut-conseil de supervision sharia soudanais pour une forte divulgation de l'économie et de la finance islamique auprès du public.
*La collaboration entre le Comité sharia central pour la finance participative et les grandes instances shariatiques universelles comme l'AAOIFI, le Haut comité de fatwa et la supervision sharia émanant de l'Union mondiale des banques islamiques située au Bahreïn.
*La création d'un organe (association, groupement...) regroupant tous les auditeurs et les intervenants dans le domaine de la conformité sharia tant au niveau national qu'international afin de développer le métier à travers l'organisation de colloques et de réunions périodiques traitant les nouveautés du métier.
*L'élaboration d'un cadre juridique du métier d'audit sharia externe chargé d'émettre les avis neutres et indépendants de la conformité des activités des acteurs financiers participatifs aux principes de la sharia à travers des recommandations et des standards du Conseil supérieur des oulémas à l'instar du métier de commissaire aux comptes.
* L'adoption et l'application des normes comptables, de gouvernance et shariatiques émanant de l'organisation internationale de comptabilité et d'audit des institutions financières islamiques appelée AAOIFI par les régulateurs (BAM, CSO, ACAPS, AMMC) et les acteurs financiers participatifs (banques participatives, assurances Takaful, fonds d'investissements...).
*La création d'un portail électronique multilingue dédié à la fonction d'audit et de conformité sharia qui constituera un switch entre les auditeurs de conformité sharia tant au niveau national qu'à l'international via un forum de discussion intégré sur ce site.
* L'engagement et le respect des normes éthiques par les acteurs du métier de conformité sharia à travers la révélation et la divulgation des risques de non-conformité commis dans les rapports annuels des structures participatives.
*Une révision périodique de la loi bancaire pour intégrer de nouvelles mises à jour du paysage évolutif du secteur financier islamique.
Avant d'être une exigence juridique et réglementaire, la supervision et l'audit de conformité sharia est une exigence shariatique, donc le renforcement de cette fonction est fortement recommandé car un défaut de conformité sharia peut avoir des conséquences néfastes en matière d'image des structures participatives et donc de pérennité et de développement de l'industrie financière islamique marocaine.
Faissal Ouali Oubaha
Auditeur et conseiller en conformité sharia certifié par l'AAOIFI


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