Khalid Chegraoui : Professeur à l'Institut des études africaines En attendant que le processus de (ré)intégration du Maroc à l'Union africaine connaisse son épilogue, le professeur Khalid Chegraoui liste les gains économiques que ce retour pourrait engendrer. Dans cette interview, le spécialiste du continent appelle également à revoir la «stratégie communicationnelle» du royaume vis-à-vis du continent. Les Inspirations ECO : Vers où s'achemine-t-on dans les relations Maroc-Afrique, après la demande du royaume de (ré)intégrer l'Union africaine ? Khalid Chegraoui : Je pense que nous allons droit vers un véritable retour du Maroc dans les institutions panafricaines. C'est un retour qui a été mûrement pensé et surtout concerté avec les amis du Maroc sur le continent. L'épisode de Kigali a été bien mené, mais il faut attendre de voir ce qui va se passer à Addis-Abeba, lors du prochain Sommet de l'UA en janvier 2017. Nous sommes actuellement dans une optique procédurale, mais il est certain que la demande de retour du Maroc sera acceptée du moment qu'une majorité de pays membres de l'UA la soutient. Cela s'est notamment traduit par la présentation, par 28 pays membres, d'une motion demandant la suspension de la «RASD» de l'instance panafricaine (www.leseco.ma). Une fois ce retour accepté, quels seront les défis à gérer ? Le grand défi du Maroc sera de gérer la période post-retour au sein de l'UA. Depuis son départ de l'OUA en 1984, le royaume a pu développer des relations bilatérales et multilatérales solides, loin de la bureaucratie des instances panafricaines. Malgré cela, il y avait quand même un certain manque, car sa présence dans l'UA peut faciliter ses contacts avec d'autres structures et parties sur le continent. Cela permet aussi de rapprocher les vues avec certains blocs régionaux, notamment en Afrique anglophone et orientale. Le moment est bien choisi pour faire comprendre au reste du continent que le Maroc ne nie pas son africanité. Mais une cohabitation avec la «RASD» au sein de l'UA est-elle pensable ? La procédure d'exclusion du Polisario de l'UA semble improbable. Le règlement de l'UA prévoit une suspension d'un Etat membre dans deux cas seulement: soit par l'auto-suspension, soit suite à un coup d'Etat anticonstitutionnel. Donc une fois de retour, le Maroc est appelé à gérer momentanément cette phase de transition. Je ne pense pas que cette cohabitation se fasse au détriment du Maroc. Au contraire, le royaume pourra défendre ses intérêts de l'intérieur avec le soutien de ses amis. À ce propos, il faut avouer que la situation est plus favorable pour le Maroc qu'elle ne l'était il y a 32 ans. Quelle ligne de conduite adopter alors avec les soutiens de la «RASD» ? Par rapport aux autres pays «opposés» à la position du Maroc comme l'Algérie et l'Afrique du Sud, nous constatons un début de changement dans les relations. Je suis convaincu que les choses vont changer ainsi que les équilibres. Dans le cas de l'Afrique du Sud par exemple, la réouverture d'une ambassade à Pretoria est un bon signe. De plus, les contacts n'ont jamais été interrompus, notamment au niveau universitaire. Avec le Nigeria, l'arrivée du président Muhammadu Buhari a permis de réchauffer les relations bilatérales, d'autant plus que chacun des deux pays a besoin de l'autre sur plusieurs plans, notamment économique. Qu'en est-il de l'Algérie ? Des contacts ont repris récemment. On attendra de voir si cela mènera à quelque chose. Seulement, rien n'est gagné vu la situation politique dans ce pays. De toute évidence, un règlement sur le dossier du Sahara et la fin de la relation conflictuelle entre Rabat et Alger pourrait donner plus de poids à l'Afrique du Nord sur l'échiquier du continent, notamment face à des blocs puissants comme l'Afrique australe. Sur le plan économique, quels sont les gains attendus après ce retour ? En réalité, toutes les parties ont à gagner de ce retour du Maroc au sein de l'UA. L'Afrique est un marché extrêmement important, encore exploité et dominé par des puissances étrangères. Le continent peine à parvenir à une intégration économique réelle. Le commerce intra-africain tourne encore autour de 11%. Malgré la percée des entreprises marocaines sur le continent, beaucoup de secteurs restent à exploiter. Parallèlement à cela, l'arrivée au Maroc d'entreprises subsahariennes se fait attendre. Il y a donc un gros potentiel pour booster les échanges économiques de part et d'autre. Par ailleurs, le partage d'expérience peut s'élargir à de nombreux autres domaines, notamment la formation. Enfin, ce sera une occasion pour l'Afrique de se doter d'une stratégie cohérente et homogène, notamment dans ses rapports avec ses partenaires étrangers. Sur le plan interne, comment ce retour doit-il être préparé ? Le Maroc doit revoir sa stratégie communicationnelle vis-à-vis du continent en général. Ici, on sent encore que tout le monde n'est pas à jour par rapport aux évolutions intervenues ou en cours sur le continent. Beaucoup pensent que l'UA est toujours ce qu'elle était dans les années 70 et 80. L'Afrique, dans son ensemble, a changé, notamment dans sa partie anglophone. Ce sont des transitions importantes que les officiels et le secteur privé marocain doivent prendre en compte. De même, l'expertise marocaine doit être adaptée en fonction des pays africains, car beaucoup d'entre eux ont réalisé des pas importants dans plusieurs secteurs.