De tout temps, la lutte contre la corruption a été une préoccupation des sociétés organisées. Elle est un véritable phénomène de société affectant les systèmes juridiques, la gestion économique et la fourniture des services publics. En cela, elle pervertit les motivations des citoyens, ébranle leur adhésion volontaire à l'ordre social, dissuade la prise d'initiative et l'investissement. Elle accentue le phénomène de la démission sociale et altère la confiance envers les institutions. En découle, parfois, ce «délien social » et cette prise de distance de citoyens considérant leur pays comme «confisqué ou celui des autres... ». Dans la mesure où elle revêt des formes différentes, l'ampleur et les formes de la corruption varient dans le temps et dans l'espace. Elle est plus ou moins visible ou banalisée, selon les pays. Rien que sur notre continent, l'Union africaine (UA) estime que la corruption coûte 148 milliards de dollars par an à l'Afrique, soient 25 % de son PNP. Assurément, la corruption qui sévit dans les mécanismes de gestion, de gouvernance de tout Etat l'appauvrit considérablement, entrave son progrès car elle distrait, détourne ses énergies économiques et financières d'un développement pérenne. L'Etat assiste alors au rétrécissement de son horizon politique et à l'inhibition de ses potentialités. Il ne parvient plus à affermir ses stratégies de développement ni à fournir une lisibilité socio-économique servant son attractivité. Souvent, on se contente de faire «l'économie politique» de la corruption sans s'attaquer à son «économie morale», sans comprendre les mécanismes sociaux sur lesquels elle repose et se renforce. En effet, sans compréhension en profondeur de comment et pourquoi la corruption fonctionne, toute campagne de lutte «purement technique» à son encontre est vouée à l'échec. En réalité, elle s'appuie, dans certains pays, sur des normes et des logiques sociales au point qu'elle s'insère commodément dans leurs coutumes locales. En plus de l'indigence matérielle, la pauvreté morale y est aussi déterminante et ce, dans une atmosphère caractérisée par un pouvoir sans contrepoids ni comptes à rendre, par une confusion entre la chose publique et la chose personnelle, par une configuration sociale valorisant l'ostentation et la sacralisation de l'argent... Il s'agit, entre autres, de cette volonté mégalomaniaque «d'exister au superlatif» qui élucide la propension à l'appropriation et au pouvoir. Le dénuement humain et la déliquescence citoyenne muent en une compulsion d'accumulation et de puissance. Inévitablement, en l'absence de tout pacte social et moral, la valeur de l'Homme est pervertie. Elle s'évalue en fonction de la richesse et de la puissance. D'où ces logiques «d'accumulation re-distributrice» et d'arborer ostentatoirement les signes visibles de la fortune. L'enrichissement illicite et le népotisme sont donc bel et bien sous-tendus par des «valeurs incitatives», poussant à utiliser toute opportunité qui permette de servir des vertus cardinales, «valorisées dangereusement» que sont la largesse, la reconnaissance... Face à cette généralisation des sphères de corruption, les Etats se sont rendus compte de la nécessité de contrer ce phénomène afin de renforcer leurs institutions, de réduire le champ des tensions sociales, des récupérations politiciennes et des entraves économiques qui en découlent. Pour autant, une volonté politique sans faille est nécessaire. Elle inclurait l'établissement d'un programme stratégique définissant les secteurs de lutte prioritaires, la réinstauration de valeurs authentiques ainsi que leurs appropriations sociologiques. D'autre part, la corruption ne peut être réduite sans que la volonté de l'éradiquer ne soit généralisée à tous les organes de l'Etat. La création de corps spécialisés de magistrats et la coopération entre les différentes administrations sont les conditions nécessaires à la pérennisation de cette lutte et à l'optimisation de ses effets. Mettre l'accent sur le rôle de la presse dans le processus est aussi crucial. La liberté d'expression est un corolaire indispensable de ce combat. L'insertion de cours d'éducation civique dans le cursus scolaire est également l'une des armes nécessaires en ce qu'elle permet d'enseigner aux futurs citoyens que l'intégrité doit être le comportement naturel, responsable dans les relations avec l'administration et dans tout projet d'évolution sociale. L'objectif est de mettre en œuvre et d'affermir des principes favorisant l'adhésion, la participation de l'ensemble des forces vives sur une base d'équité et de justice sociales efficientes...