On savait beaucoup de choses sur la corruption au Maroc. On en sait davantage avec la publication du dernier rapport annuel de l'Instance Centrale de Prévention de la Corruption (ICPC) relatif à l'année 2009. Ce rapport dit tout ou presque : les causes de la corruption, ses conséquences et les remèdes éventuels. Mais nous sommes tentés de dire pour paraphraser un dicton célèbre évoqué en d'autres circonstances que les rapports passent et la corruption reste ! Car, ironie du sort, l'indice de perception de corruption s'est aggravé en dépit des mesures annoncées par les pouvoirs publics et des textes adoptés en matière de moralisation de la vie publique : loi sur la lutte contre le blanchiment de l'argent ; loi sur l'obligation de déclaration de patrimoine, réforme du décret des marchés publics …Qui plus est, depuis la création de l'ICPC en 2008, le Maroc a dégringolé de 9 points passant du rang 80 en 2008 au rang 89 en 2009 ( sur un total de 180 pays). Il a été sérieusement recalé avec une note médiocre de 3,3 sur 10 ne lui donnant même pas droit au rattrapage ! La corruption, à un tel stade de développement, est devenue une véritable gangrène qu'il faudra extraire à la racine. Nous sommes en face d'un phénomène réellement dangereux pour toute la société. La corruption pervertit les valeurs, nuit fondamentalement à la compétitivité, consacre la suprématie de l'argent sur la loi et la morale, détruit les fondements éthiques et moraux de la société, tue le travail et l'effort comme moyens d'épanouissement individuel et collectif… Au Maroc, si on veut schématiser, il ya deux types de corruption : la grande et la petite. La première porte sur les grandes affaires et met en jeu des millions de dirhams avec des ramifications tentaculaires au niveau de l'administration et des organismes publics et privés : avoir des avantages fiscaux ou échapper à une révision fiscale, décrocher un marché public en détournant les règles en vigueur, dissimuler un acte criminel. Ce type de corruption, dont on a donné quelques cas à titre d'exemple, implique les personnes bien placées dans la hiérarchie administrative et dans le secteur privé. Le deuxième type de corruption, la plus pernicieuse, est celle de tous les jours car elle « vit » avec le citoyen et fait partie de son décor quotidien. Elle porte sur des sommes variées pouvant aller de dix dirhams à quelques centaines de dirhams en fonction de la «nature de l'affaire» traitée et du rapport des forces entre les différents protagonistes. Cette corruption sert de complément de revenu pour les corrompus et de moyen de contourner la bureaucratie administrative ou de faire simplement l'économie de temps et accessoirement d'esquiver la loi pour les corrupteurs. Comme quoi, la corruption est un jeu « gagnant-gagnant » et c'est pour cela qu'elle est difficile à combattre ! C'est la collectivité dans son ensemble qui perd. Ce dont les individus, pris par des considérations égoïstes, s'en rendent difficilement compte. Alors que faire ? Le traitement à apporter diffère selon la nature de la corruption. Pour lutter contre la grande corruption, la responsabilité incombe en premier lieu à l'Etat au sens hégélien du terme en tant qu'il incarne la « légitimité de la violence ». L'Etat ne doit pas se contenter d'édicter des lois, fussent-elles les plus avancées du monde, il doit veiller surtout à leur application. Il est grand temps de mettre fin à l'impunité, à l'absence de l'interpellation, de mettre en œuvre à tous les niveaux de responsabilité les principes de transparence dans la gestion et de reddition des comptes. Traduire quelques personnes devant la justice pour faire semblant, c'est l'arbre qui cache la forêt. En pareille circonstance et vue la gravité de ce phénomène, les pouvoirs publics se doivent de « taper fort » sans chasse aux sorcières et en commençant par le commencement, à savoir la justice. Car sans l'assainissement de ce secteur vital, qui est malheureusement habité par la corruption comme tous les autres, sinon un peu plus, on continuera à tourner en rond et à verser des larmes de crocodile après la publication de chaque rapport. Pour la petite corruption, c'est notre affaire à nous citoyens. La société civile, les partis politiques, les organisations syndicales, les institutions scolaires …doivent inscrire dans leur agenda cette problématique. Il y va de la dignité humaine et de l'avenir de notre pays. Tous les moyens doivent être utilisés pour éradiquer ce fléau, ou du moins en réduire l'ampleur. Sans l'engagement franc de tous et la conjugaison des efforts de toutes les bonnes volontés, on continuera à faire du surplace sinon à avancer à reculons. L'ICPC a fait ce qu'elle pouvait faire. Le phénomène dépasse le stade de la prévention. Il nécessite un « remède de cheval ». * Professeur de l'Enseignement Supérieur