Au regard des recruteurs, l'enjeu majeur de l'enseignement supérieur est d'être en phase avec les besoins de l'entreprise et donc, de répondre au marché de l'emploi local voire international. Evolution des besoins des entreprises, naissance de nouveaux métiers, impératifs de spécialisation des ressources humaines... autant de critères qui font que la florescence de diplômes supérieurs ne saurait être garante de la qualité de ces ressources humaines. Aujourd'hui, si l'insertion des jeunes diplômés du privé montre quelques signaux positifs, les lauréats issus de l'enseignement public, eux, peinent réellement à intégrer le marché de l'emploi. Fait paradoxal, pourtant, ce ne sont pas les opportunités qui manquent. S'agit-il d'une mauvaise perception des diplômes par les DRH, ou d'un échec de la réforme universitaire ? Les deux hypothèses sont en effet valables, selon que l'on se place du côté des jeunes diplômés ou de celui des DRH. Les recruteurs se méfient... Du côté de ces jeunes en quête d'emploi, l'ont reproche aux DRH et notamment à ceux des grandes entreprises, d'écarter leurs candidatures dès la réception des dossiers. Certains recruteurs confirment d'ailleurs ce «préjugé», tout en le nuançant. Le «désintérêt» pour les lauréats des universités et établissements de formation professionnelle publics s'explique selon eux par l'inadéquation de la formation aux besoins de l'entreprise marocaine. Selon Halima Benaseur, manager à Manpower, «il ne s'agit pas d'un désintérêt. Toutefois, quand une entreprise recrute un lauréat, elle cible avant tout un potentiel qualifié. Son choix va s'orienter vers des lauréats ayant les atouts pour réussir leur intégration et grandir dans l'entreprise». Et en parlant d'atouts, l'experte cite le savoir-être, le sens développé de la communication, l'ouverture d'esprit, le dynamisme, l'autonomie, la prise d'initiative et un brin de sens des responsabilités. «Malheureusement, les lauréats du secteur public et en particulier des universités ne sont pas formatés dans ce sens», tranche Halima Benaseur. Cet avis est partagé par Essaid Bellal, directeur général de Diorh. «Généralement, l'entreprise cherche des profils associant à la fois des compétences techniques, génériques, comportementales, communicatives et identitaires. C'est ce qui fait en réalité le décalage entre les besoins des entreprises et les outputs de l'université», souligne-t-il. L'université publique serait-elle la seule responsable de cet état de fait ? La faute à qui ? Il est en effet admis qu'une mise à niveau de l'enseignement public s'impose, pour donner la chance à tous de réussir. Néanmoins, certains analystes précisent que certains aspects tels que l'éthique du candidat, son comportement, et son niveau de communication ne sont pas liés d'une façon directe au programme universitaire, car la mission de l'université est de donner le savoir scientifique. Cependant, «par manque de moyens des universités publiques, et en l'absence d'implication de l'entreprise, nous restons incapables de créer un environnement apte à développer les compétences de ces jeunes lauréats», explique Essaid Bellal. Dans ce cadre, «le corps enseignant a aussi son rôle à jouer», précise-t-il. Et d'ajouter : «Aujourd'hui, nous n'avons pas de professeurs universitaires formés pour encadrer et accompagner leurs étudiants dans la recherche d'emploi. En effet, c'est là où les universités doivent procéder à une réforme». C'est justement là un atout majeur de la formation supérieure privée. Les étudiants y disposent en effet de l'encadrement, la formation et la proximité avec le monde de l'entreprise. Ces avantages les rendent exigeants, au point de refuser dans certains cas un premier emploi pour une différence de salaire de 500 DH net. Les diplômés du public, eux, se montrent plus ouverts généralement et acceptent de commencer à des salaires plus modestes. Il faut dire, que «malgré les conditions sociales très difficiles pour quelques uns, le premier poste se veut une continuité de leur formation», commente Bellal. Pour preuve, la majorité des universitaires sondés dans la cadre de la dernière étude de Amaljob sur «l'emploi pour les jeunes», ont confirmé que le premier avantage qu'ils attendent de leur recruteur, c'est la formation. Malgré le fait que ces lauréats du public pourraient représenter une valeur intéressante pour l'entreprise, de nombreux DRH les excluent car ils n'arrivent pas à cerner l'évolution de la formation universitaire au Maroc. En effet, la plupart de ces recruteurs étant des «produits» des écoles privés ou d'universités étrangères, se retrouvent plus facilement dans les cursus développés par ces établissements. C'est un avis confirmé par Essaid Bellal. Ce dernier trouve que «les recruteurs voient le générique. Un diplômé de grande école a toutes les chances d'être vendu dès le premier coup, ce qui n'est pas le cas du lauréat de l'université. La raison est simple : ce dernier revient plus cher pour l'entreprise, qui doit lui assurer après le recrutement une période de formation». Selon lui, «l'entreprise doit être consciente qu'elle a une responsabilité citoyenne vis-à-vis de ces jeunes. Elle doit savoir également que quelqu'un qui a fait l'université demande un salaire inférieur à celui qui a fait une école. C'est cette différence qui doit être investie dans la formation, car généralement, ce type de profil est plus loyal et fidèle à l'entreprise». Lire aussi : Jeunes diplômés, entre ambitions et contraintes Point de vue: Tijania Birouk Thépegnier, Directrice des ressources humaines Groupe Accor À mon avis, l'emploi est conditionné en premier lieu par la qualité de la formation. Toutefois, les critères de choix des nouvelles recrues varient en fonction des profils recherchés par les entreprises. Pour notre cas, nous recrutons pour le créneau des cadres, les lauréats des écoles de commerce marocaines et étrangères. En ce qui concerne les petits profils opérationnels ou encore les profils qualifiés, nous recrutons les diplômés de l'ESITH et de l'OFPPT. Aujourd'hui, quelques établissements ont réussi à répondre à nos besoins. En effet, la plupart d'entre eux ont revu totalement leurs programmes. Malgré cela, nous avons trouvé plus bénéfique de créer une académie qui forme à peu près 400 personnes annuellement. Nous avons un cycle de formation complémentaire et un autre de formation continue. Le premier est consacré aux diplômés des écoles et formations qualifiantes tels que l'OFPPT. Ces derniers ont une formation de base, mais ils nécessitent une formation complémentaire. La formation continue quant à elle, a pour but d'assurer des sessions d'apprentissage pour les jeunes qui n'ont pas réussi à faire des formations.