Françoise Atlan Chanteuse et directrice artistique Un festival, une rencontre, un échange, un message, de la tolérance, le tout pour comprendre que durant 4 jours, la musique sert à fédérer avant tout puisque juifs et musulmans ne feront qu'un. Le Festival des Andalousies atlantiques (FAAE), qui a commencé jeudi soir et qui se prolonge jusqu'au dimanche prochain, apporte un vent de douceur, comme pour conforter l'alizé d'Essaouira. Rencontre avec la directrice artistique du festival, la chanteuse Françoise Atlan, à quelques heures du coup d'envoi d'un évènement qui comble à sa manière les lacunes (géo)politiques... Les ECO : À quelques jours du coup d'envoi de la 10e édition, quel a été votre travail au quotidien? Comment se prépare un tel évènement ? Françoise Atlan : Un tel évènement se prépare dans la fébrilité, la joie et le désir de bien faire, et j'ai la chance d'être entourée d'une équipe magnifique. Nous sommes unis par un seul but: faire de cette édition-anniversaire un moment exceptionnel de joie, de fête et de partage. Nous travaillons tous de façon très concrète. J'assure la direction artistique; l'organisation et la production sont gérées par l'équipe de l'association Essaouira-Mogador, dirigée de main de maître par Tarik Ottmani. C'est un travail qui a nécessité de longs mois de préparation, de tractations, avec parfois des imprévus de dernière minute, mais que nous surmontons de toute façon. C'est justement la cohésion de l'équipe qui rend cela possible. Le Festival porte les couleurs de la musique andalouse mais fait passer un message de tolérance. Comment a-t-il évolué en 10 ans ? C'est justement cette musique que nous chantons et interprétons durant ces 4 jours à Essaouira qui porte ce message, un message qui dépasse de loin celui de la simple tolérance et dont je dirais plutôt qu'il est bel et bien celui du vivre ensemble. À Essaouira, c'est une parole vraie qui s'exprime. Cependant, la parole qui se donne à entendre (et à voir)et pour ce dixième anniversaire sera particulièrement forte. Il s'agit véritablement de faire se rencontrer des artistes musulmans et juifs qui, dans la prise en compte de leur spécificités à l'intérieur même de cet espace géographique commun qu'est le Maroc, se trouvent être les garants de nos identités communes et partagées. Il y a 10 ans, était-ce une évidence d'organiser un tel événement dans une ville comme Essaouira ? Je ne suis directrice artistique que depuis 5 ans, mais j'ai suivi le festival dès 2003 puisque j'y étais invitée en tant qu'artiste. Revenons un peu à l'histoire de la création de cet événement. Le FAAE a été initié il y a dix ans par l'association Essaouira-Mogador, présidée par André Azoulay, et le message du festival se confond avec l'histoire multiséculaire du Maroc, qui est celle d'une terre de partage entre plusieurs communautés, et dont le ciment est l'attachement indéfectible à l'identité marocaine, au-delà des frontières. Il a fallu toute la détermination d'André Azoulay pour faire en sorte que ce message s'exprime en offrant, ici à Essaouira, un espace et une scène exclusivement dédiés aux artistes musulmans et juifs, durant 4 jours de partage, d'émotion et de fête. Par ailleurs, ce festival, grand par son âme et le message qui est le sien mais petit par ses moyens, ne peut exister que grâce à l'étroit partenariat avec la fondation Trois cultures, ainsi que le travail de l'équipe de l'association Essaouira-Mogador dirigée par Tarik Ottmani. Il n'est pas évident d'organiser pareil évènement, mais nous y travaillons avec tout notre cœur. Nous devons faire face avec bonheur à la notoriété de plus en plus importante du FAAE, qui dépasse aujourd'hui les frontières du pays. Maintenant, on vient spécialement à Essaouira pour assister au FAAE. Quelles sont les nouveautés de cette 10e édition? Bien que le message du festival demeure inchangé, cette édition est emblématique pour plusieurs raisons. Elle l'est tout d'abord par le nombre de concerts en moins de trois jours (16 au total) et plus d'une centaine d'artistes sur scène. Cela demande une logistique et une organisation à toute épreuve et c'est toute une équipe qui travaille dans ce sens, celle de l'Association Essaouira-Mogador, menée de main de maître par Tarik Ottmani. Le challenge artistique est audacieux, puisqu'il s'agit de mettre en scène et de faire jouer ensemble des artistes partageant la même musique, mais éloignés géographiquement ... Même si le propos et le message du Festival restent inchangés depuis sa création, ce message -fort- donne à entendre et à voir qu'ici, au Maroc, à Essaouira, nos cultures et nos identités multiples se retrouvent à travers les artistes musulmans et juifs partageant la même scène, dans un espace-temps et un espace géographique qui leur est entièrement consacré. Nous essayons, en étant aussi à l'écoute du public, de varier autant que possible le contenu de la programmation. Cette année, le thème qui se dégage est la rencontre de jeunes artistes venus de tout le Maroc et d'ailleurs. Chaque année, nous mettons en lumière un point important de ce message initial, et c'est ce qui nous guide dans nos choix artistiques. Les talents sont nombreux et immenses, toutes générations confondues et particulièrement au Maroc; il est de notre devoir de tous les honorer. C'est ce à quoi nous nous attachons tout particulièrement. Comment procédez-vous à la sélection des artistes ? C'est compliqué. Les talents sont immenses ici et ailleurs, et il est important de donner la parole à chacun. Les artistes qui se produisent au FAAE ont tous une carrière internationale et j'en rencontre souvent lors de mes propres concerts... Je peux les voir travailler, imaginer de quelle façon ils peuvent s'intégrer dans une programmation qui est celle de l'esprit d'Essaouira, de celui du festival, et qui est aussi celui de la transmission. Les talents sont immenses au Maroc, et immense est la conscience (aiguë) de l'identité marocaine dans sa pluralité, portée par notre «ici» et nos «ailleurs», qui ont choisi Essaouira pour en témoigner ensemble. Chaque jeune artiste, chaque chanteur ou musicien qui se produit ici à Essaouira dans le cadre des Andalousies atlantiques est conscient de sa responsabilité quant à son rôle de «passeur», rôle qui leur a été appris par leur maître, maître dont il se réclame avec fierté. Cependant, se réclamer d'une tradition musicale ou d'un répertoire ne signifie pas seulement s'y conformer, c'est aussi se les réapproprier et tenter de nouvelles choses... Il faut venir sur place constater le regard attentif et protecteur de nos «Usted», lorsqu'une chanteuse ou un violoniste entame un Inshad ou une Touchya, et en retour, le questionnement du regard du jeune artiste une fois terminée sa prestation. Il s'agit d'une collaboration affectueuse, accomplie dans le respect et le partage. Tous les artistes qui se produisent à Essaouira, au Festival des Andalousies atlantiques, sont ici car ils sont solidaires musicalement et historiquement, c'est notre histoire commune et partagée, qui nous permet d'envisager l'avenir. Les concerts se font à Dar Souiri et à la grande scène. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les publics... Oui. C'est la raison pour laquelle le FAAE est unique, tous les concerts et colloques sont gratuits. Avec 16 concerts, 3 matinées-colloques et la diffusion de 3 films de 50 minutes chacun de la cinéaste marocaine Izza Genini, entre le jeudi 31 octobre et le dimanche 3 novembre, nous pouvons dire qu'il s'agit d'une édition particulière. Il y aura plus de 100 artistes sur scène! Une grande scène pour les concerts du soir, qui verra entre autres se produire ensemble Estrella Morente «La Flor de Gharnata»- qui rendra un hommage appuyé à son père Enrique Morente- en compagnie de Jalal Chekara, qui, lui, rendra hommage à son oncle Abdessalam Chekara, ou encore Abderrrahim Souiri, l'enfant chéri d'Essaouira, les jeunes chanteurs Marouane Hajji et Benjamin Bouzaglo, Mohamed Briouel pour l'école de Fès et Mohamed Amine El Akrami pour l'école tétouanaise et bien d'autres encore, Dar Souiri pour les matinées-colloques qui seront menées par André Azoulay et dont le thème sera «L'importance du lieu, l'importance du lien». Quoi de plus légitime et de plus exaltant que de se retrouver à Essaouira au carrefour de nos histoires et de nos mémoires? Il y aura également un forum des Andalousies atlantiques, qui débutera par la diffusion de 3 des films emblématiques d'Izza Genini. Des moments précieux s'enchaîneront à Dar Souiri les vendredi 1er et samedi 2 novembre de 15h30 à 19h avec 4 concerts .... sans oublier les rendez-vous, au-delà de minuit, avec les Confréries d'Essaouira, dont la spiritualité forge elle aussi l ́identité d'Essaouira. En plus de la musique, il y a des moments d'échange et de réflexion avec les colloques, mais également des moments de cinéma. Pouvez-vous nous en parler davantage ? Le Festival des Andalousies atlantiques d'Essaouira est un lieu où l'on entend (au sens premier du terme) de la musique, mais aussi un lieu dans lequel se retrouvent intellectuels, artistes et public, un peu à l'image d'un «diwan»... Dans le cadre du forum des Andalousies atlantiques, nous nous interrogerons sur «L'importance du lieu, l'importance du lien», puisque c'est à Essaouira que nous mettrons en perspective le lien dans le sillage de nos Andalousies, revisitées chaque matin à Dar Souiri. C'est dans ce contexte qu'Ami Bouganim, grand écrivain et Souiri d'exception, nous présentera son ouvrage «Es-Saouira de Mogador»: autant de moments partagés et authentiques ponctués par des intermèdes musicaux offerts par les artistes d'ici et diailleurs... Il nous semblait évident de rendre hommage à Izza Genini, qui a inspiré et continue d'inspirer toute cette jeune génération de cinéastes marocains pour laquelle elle demeure une pionnière dans ce genre. À la fois rigoureusement documentés et sans se départir d'une poésie jamais mièvre, ces petits chefs-d'œuvre de 50 minutes nous entraînent dans la compréhension et la mise en lumière de nos histoires communes, à travers les expressions musicales, poétiques et historiques qui tissent nos liens. Ainsi, «Nûbâ d'or et de lumière» nous raconte l'histoire de la musique arabo-andalouse, dont la Nûbâ serait la symphonie... À travers «Cantiques brodés», Izza fait de nous les témoins privilégiés de la rencontre de deux grands maîtres, Abdelsadek Chekara et Haïm Louk, brodant les paroles de leurs chants en un matrouz (une broderie) qui nous inspire encore aujourd'hui. «Tambours battants», à travers les percussions omniprésentes pendant la fête d'Achoura et l'évocation des Hmadchas d'Essaouira, s'accompagne d'un récit personnel d'Izza Génini et interroge la place que la musique tient dans l'identification d'un être à ses origines sociales et culturelles. Par quel secret la musique -profane ou sacrée- relie-t-elle un être à son monde et parfois à lui-même? Quel est le lien entre ces 3 films qui seront diffusés juste avant le début des colloques? Une grande spiritualité... Pour finir, pourquoi venir aux Andalousies atlantiques cette année ? Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer ! Nous vous attendons ...