Un amour de Mogador Mogador, Tassourt, Essaouira... l'Image. Une cité mythique que bercent, depuis la nuit des temps, les vagues océanes et les vents des Alizés. Mogador, un port, rythmé par l'envol des mouettes, où Sidi Mohamed Ben Abdallah, un roi visionnaire, a installé une mosaïque humaine des plus fécondes. Berbères, Arabes, Africains et Européens. Musulmans, Juifs et Chrétiens. Civilisations, cultures et religions plurielles. Cosmopolite, métisse et prospère, la cité a connu une histoire glorieuse et des heures fastes avant d'être oubliée. Mais ses enfants et amis, éparpillés dans les villes du royaume et les capitales du monde, la ressuscitent en faisant le choix audacieux et pionnier de la culture comme levier de son développement. Réunis au sein de l'Association Essaouira-Mogador, créée par André Azoulay, ils lancent maintes études et initient des festivals au rythme des quatre saisons. Outre «les Gnaouas et Musiques du Monde», célébrés chaque été, «le Printemps Musical des Alizés», programmé au printemps et dédié à la musique de chambre, en 2003 fut créée la première édition du «Festival des Andalousies Atlantiques». Rencontre automnale exaltante au concept original faisant l'éloge des cultures andalouses, plurielles et intemporelles. Un patrimoine commun que nous partageons avec nos voisins proches et lointains, l'Espagne et les pays d'Amérique latine. Aux fracas du monde, aux identités meurtrières, Essaouira oppose les identités multiples, le partage et l'ouverture sur le Différent, sur l'Autre. Ainsi sont les Andalousies Atlantiques, la résurrection de cet espace de modernité éclairé par la culture de l'altérité pour que coexistent dans l'harmonie et la symbiose, les religions du Livre, les peuples de l'Un. Au-delà de toute nostalgie passéiste, de tout folklore touristique, les Andalousies Atlantiques, ont choisi de dédier leur scène aux poètes, chanteurs et musiciens, Musulmans et Juifs, pour que leurs retrouvailles, leurs débats et leur parole libre, restent ancrés dans le monde d'aujourd'hui dont elles interpellent les archaïsmes pour réfléchir à des lendemains qui chantent... la convivialité et la paix. Le Cheikh Jacques Berque n'appelait-il pas «...à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelées et l'inlassable espérance... » Et le président du gouvernement autonome andalou, Manuel Chaves Gonzales, ne considérait-il pas ce festival comme «un instrument privilégié de diplomatie culturelle». Les Andalousies entre fiesta et agora «Colloques, conférences, expositions pour séduire l'intellect. Concerts de salsa, flamenco, Gnaoua, arabo-andalou, temps afro-cubains pour taquiner les sens... Les arguments du Festival des Andalousies Atlantiques sont imparables», écrivait mon défunt ami Et-Tayeb Houdaifa en 2004. Tant de souvenirs émouvants, d'images inoubliables, d'amitiés ficelées et de rencontres ô combien enrichissantes. Dés l'édition inaugurale avec, comme invité d'honneur, le Mexique, quintessence des cultures andalouses et latines, le festival annonçait la couleur. Un colloque sur la dimension atlantique des Andalousies, une exposition sur l'art architectural mauresque et une profusion de concerts avec, entre autre, la troupe mexicaine son de madera aux rythmes des terres chaudes de Veracruz. La musique andalouse, à travers ses différentes variations (Al-âla, Sanaâ, Maalouf, Gharnati, Matrouz, Ladino...) est le thème fondateur et fondamental du festival. Tout au long de ces 10 années, les grands maîtres, les meilleures formations et les jeunes générations ont défilé sur les scènes de la place Moulay Hassan, Bab Menzah et Dar Souiri : Mohamed Briouel et l'orchestre Abdelkrim Rais de Fès, Mohamed Amine Akrami et l'orchestre Larbi Tamsamani de Tétouan, qui célébra le vibrant hommage à Abdessadek Chekara, l'orchestre Zyriab d'Oujda, Chabab Al Andalus de Rabat accompagnant la dernière étoile du gharnati, Ahmed Pirou à qui le festival a rendu un hommage mérité... Comment oublier les prestations des Baha Ronda, Hayat Boukhris, Samira Kadiri, Françoise Atlan, Touria Hadraoui et Sanaa Marhati ? Celles de Ba Jaddoub, Haim Louk, Abderrahim Souiri, Maxime Karoutchi, Ben Aomar Ziani,Jalal Chekara, Abdelfattah Bennis... ? Les Andalousies, c'est tout à la fois le flamenco puro, les nouvelles tendances, le flamenco-rock ou le flamenco Gnaoua. Les festivaliers et les Souiris ont eu le privilège d'apprécier les grands noms du genre. La ville a accueilli José Fernandez Torres, alias Tomatito, El Librejano, le libertin et engagé Paco Ibanez, ainsi que les divas Marina Heredia, Valeria Saura, Bettina Castano, Pasion Vega, la reine de pay pay, et l'incontournable Estrella Morente. Sa beauté et sa voix à nulle autre pareilles vont cette année encore illuminer les nuits de Mogador. Difficile d'oublier les concerts de nos amis algériens Fouad Didi, Naima Dziria, Bahidja Rahal et surtout El Gusto. Ce groupe phénoménal, réuni par Safinez Bousbea, s'est produit, dans son ensemble, pour la première fois dans un pays arabo-musulman, à Essaouira. Longtemps avant les autres scènes marocaines et internationales ! Moments jubilatoires qui ont fait titrer à Kenza Alaoui son article de couverture, «Voir El Gusto et mourir» ! Comment aussi ne pas se souvenir des vocalises du palestinien Moneim Adwan, épaulé par Leila Chahid. Les Andalousies ce sont de grands colloques, dont l'un consacré à l'emblématique Haim Zaafrani, et une série de forums ouverts aux intitulés évocateurs : «mémoire reconquise, nostalgie ou promesses pour d'autres lendemains», «identités multiples et musiques métisses». Des débats conviviaux, portés par des chants à capella et des intermèdes musicaux. Les Andalousies ce sont les vibrants hommages à Salim Halali, Samy Elmaghribi, Zohra Elfassia et Albert Suissa. Des noms qui évoquent le patrimoine musical judéo-arabe, partie intégrante de notre culture, mémoire et imaginaire. Spécificité de ce festival et sa marque de fabrique qui en font le rendez-vous unique dans le monde arabo-musulman qui pense et met en valeur cette dimension de notre identité. Un legs que les nouvelles générations de nos musiciens, juifs et musulmans, se réapproprient, revisitent et réinventent à Essaouira pour notre plus grand plaisir. Quant aux jeunes Souiris qui s'approprient le festival, on ne peut que leur souhaiter bon vent... des alizés ! Le vent qui rend fou d'Essaouira, fou de Mogador !