«La marche», du réalisateur belge Nabil Ben Yadir, est le film à ne pas rater. Il relate la grande «Marche pour l'égalité et contre le racisme» mené par des jeunes des banlieues françaises en 1983. C'est aussi l'histoire de Toumi Djaidja, porte-drapeau du mouvement, mais qui a préféré l'anonymat. Un livre, écrit par le sociologue Adil Jazouli, lui rend aussi hommage. Lundi 2 décembre, au Studio des arts vivants, tout le monde était «beur». Le terme ne plaît pas à tout le monde, j'en conviens, mais pour faire court, on l'utilisera pour parler de ces enfants issus de l'immigration maghrébine en France et dont je fais partie. Cette question réglée, passons aux choses sérieuses. Ce soir-là, en effet, un grand public est venu assister à l'avant-première du film «La Marche», du réalisateur belge Nabil Ben Yadir, proposée par le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger. Y avait-il foule parce que Jamel Debbouze était annoncé (mais qui a finalement été retenu au FIFM) ou en raison du sujet abordé par le film? En tout cas, de nombreuses personnes dans le public ont découvert ou revécu «La marche des Beurs», la Marche pour l'égalité et contre le racisme qui a rassemblé, le 3 décembre 1983 plus de 100.000 personnes (chiffres officiels) à Paris. Un retour en arrière vécu avec beaucoup d'émotion, durant près d'1 h 30. Dans ce film, brillamment porté par de très bons acteurs (Tewfik Jellab, Lubna Azbal, Jamel Debbouze etc.), les faits relatés, comme les personnages, sont authentiques. C'est vrai que, parfois, le réalisateur n'a pas résisté à la tentation de romancer quelque peu le sujet (c'est cela le cinéma!), mais le but final est atteint. L'histoire est menée à son terme. 30 ans après cette marche -décortiquée et analysée par les sociologues, les politiciens, etc.- justice est rendue à cette poignée de marcheurs et surtout à Toumi Djaidja qui ont ouvert les yeux de la France sur les enfants de l'immigration et sur les banlieues. L'histoire que relate le film est l'épopée d'un groupe de jeunes franco-maghrébins et de Français de souche issus des Minguettes, une banlieue «difficile» de la région lyonnaise. Ils traversent, pendant deux mois, la France depuis Marseille pour délivrer un message de paix, d'égalité et de non-violence contre les crimes racistes, l'injustice et l'exclusion. «La Marche pour l'égalité est l'expression d'une soif de justice, c'est un message de paix que nous délivrons à notre pays (ndlr: la France), une déclaration d'amour que nous lui faisons», écrit Djaidja dans son blog. Et c'est devant des millions de téléspectateurs qu'il lance «Bonjour à la France de toutes les couleurs». En clair, réveillez-vous, nous sommes là! Les enfants de la seconde génération, dont les parents ont sué sang et eau pour construire la France, veulent une place dans la société française. La France découvre une nouvelle composante de sa population et ceux qu'on appellera les Beurs (pour ne pas dire Arabes). Des jeunes qui, coupables du triple délit de faciès, de nom et d'adresse, doivent se battre trois fois plus pour trouver leur place dans cette France dite des droits de l'Homme. En ces débuts d'années 1980, la montée du Front national et du chômage aidant, il n'est pas facile d'avoir le teint basané et un nom à consonance arabe. Les ratonnades et les bavures se multiplient et restent souvent impunies. C'est une bavure policière dont il est personnellement victime qui déclenche le ras-le-bol de Toumi Tjaidja. Alors que ses camarades de la cité des Minguettes veulent «déclarer la guerre», lui prône la non-violence, à l'instar de ses modèles Ghandi et Martin Luther King et propose de marcher pour dire stop au racisme et à l'injustice. Le pari est gagné. Quand les marcheurs arrivent à Paris, c'est le triomphe. Reçu par le président François Mitterrand, ils obtiennent la carte de séjour et de travail de 10 ans. Une première dans l'histoire de l'immigration européenne. Cependant, les lendemains de la marche seront amers. Les marcheurs qui se dispersent en plusieurs associations se déchirent. Ils réclament l'arbitrage de Toumi Djaidja mais ce dernier, rattrapé par la justice pour un acte de braquage dans un supermarché, en 1982, refuse. Les différents mouvements nés de la Marche pour l'égalité et le racisme sont supplantées par SOS Racisme, qui récupère le concept à partir 1984. Harlem Désir et le slogan «Touche pas à mon pote» occupent le vide laissé par les marcheurs. Toumi Djaijda se marie et fonde une famille, tout en rejoignant dans le même temps les rangs des grands oubliés de l'Histoire. Heureusement, le film de Nabil Ben Yadir rectifie le tir, ainsi que le livre «Toumi Djaijda, la marche pour l'égalité. Une histoire dans l'histoire», du sociologue Adil Jazouli, qui vient de sortir. L'initiateur de la marche raconte pour la première fois son histoire. C'est le combat de ce fils de harki, de ce beur qui a voulu faire bouger la société française. Les jeunes générations sont-elles, aujourd'hui, conscientes des batailles menées par leurs grands frères? Rien n'est moins sûr, et c'est pourquoi Nabil Ben Yadir souhaite que la «Marche pour l'égalité et contre le racisme» soit mentionnée dans les manuels d'histoire.