● À Abidjan, la quasi-totalité des Marocains opèrent dans le commerce ● Nos compatriotes restent neutres face à la déchirure politique que vit le pays, mais s'inquiètent pour leur avenir ● Le pays est menacé par une intervention militaire dont l'issue est inconnue Il fait un temps humide, chaud et lourd où les rayons du soleil cèdent la place à un épais brouillard de pollution. Abidjan est une capitale économique qui porte les cicatrices de huit années d'instabilité politique, mais qui garde des signes de richesse d'antan. Il fut un temps où la Côte d'Ivoire était l'Eldorado de l'Afrique de l'Ouest. D'ailleurs, 26% de sa population actuelle est issue de pays voisins, notamment le Burkina Faso, le Niger, le Mali et la Guinée. Sans oublier la forte présence libanaise qui opère dans le business comme 3.500 Marocains. Ces derniers, contrairement aux Libanais qui soutiennent dans leur majorité le président en exercice, sont plutôt discrets et mènent leur business avec impartialité mais non sans inquiétudes. Les événements de 2002, où leurs commerces furent saccagés lors de la fameuse rébellion, sont toujours présents dans leurs esprits. Sur le plan politique, par contre, la situation est des plus complexes. Que s'est-il passé ? Et pourtant, tout avait bien commencé. Les deux candidats, qui ont accédé au second tour, Gbagbo et Ouattara, avaient animé un show électoral sans précédent en Afrique, une confrontation télévisée de deux heures. Ce qui préludait d'une bonne ère démocratique. Les deux hommes s'étaient solennellement salués à l'issue du débat et tout le monde croyait que la Côte d'Ivoire était en train de marquer l'histoire. Il n'en fut rien. La campagne électorale était très agressive de part et d'autre, et il y a eu même mort d'hommes. Par ailleurs, quand la Commission électorale indépendante (CEI), encadrée par des observateurs internationaux, déclarait Alassane Ouattara gagnant, le président en exercice, Laurent Gbagbo, fût porté à la présidence par le Conseil constitutionnel. Chacun des deux camps a formé son gouvernement et le pays a désormais deux têtes ! Depuis, Ouattara est retranché à l'Hôtel du Golf, au centre d'Abidjan, protégé par 800 casques bleus armés jusqu'aux dents. Ceux-là même qui nous ont d'ailleurs empêchés d'approcher «leur protégé», qui se trouve être soutenu par la communauté internationale menée par les USA et la France. Quant à Gbagbo, qui tient au pouvoir après dix années de «règne», il ressasse à longueur de journée que Ouattara a falsifié les élections dans les provinces du nord, contrôlées par les rebelles, et qu'il n'est même pas pur Ivoirien ! Un discours peu convaincant et qui le discrédite davantage. Dans la rue, les sympathisants des deux camps sont partagés. Néanmoins, Ouattara a pu aligner derrière lui toute la communauté musulmane, dont on ignore le volume réel faute de recensement officiel, et une partie des chrétiens et des bouddhistes. Lorsque nous avons posé la question au président du parti de Gbagbo et à son ex-ministre de la Défense, de savoir «dans quel intérêt tout l'Occident soutient-il Ouattara ?», la réponse tombe sur le même ton: «C'est parce que nous avons refusé de passer des marchés aux Français et concéder des services publics». Et devant une éventuelle intervention militaire, ils disent être prêts à combattre jusqu'au bout. Navrant... Un scénario classique qui nous rappelle un certain Saddam Hussein. Laisser tout un pays en proie au boycott et à la guerre pour conserver un fauteuil... éjectable. Gbagbo paraît ignorer les leçons de l'histoire, comme celle de son voisin Charles Taylor du Liberia, et paraît plus que jamais décidé à mener la Côte d'Ivoire à la dérive, à moins d'une surprise de dernière minute. Au terme de notre court séjour, le ton est monté et les tirs d'armes se sont multipliés dans les rues. Le couvre feu était déclaré mercredi dans la soirée, témoignant d'une situation qui va de mal en pis. À l'aéroport, les quelques vols prévus ont été maintenus, mais l'inquiétude était visible sur tous les visages. L'avion a décollé vers le Maroc et il ne nous restait qu'à prier pour que nos amis ivoiriens puissent trouver une issue pacifique qui mettrait fin à dix années de souffrance, d'abandon et de rébellion.