La 11e édition du Festival des Andalousies atlantiques a été l'occasion de revenir sur les bijoux du patrimoine de la musique andalouse, judéo-musulmane, mais pas seulement. Elle a permis au patrimoine de prendre un coup de jeune, avec plusieurs chantiers en cours. Quand culture et développement de la ville vont de pair, cela se passe forcément à Essaouira. Rencontre avec André Azoulay et Françoise Atlan pour en parler. Marcher dans les rues d'Essaouira et ressentir tout le pouvoir d'un passé à la fois riche et omniprésent. C'est là l'essence même de la 11e édition du festival d'Essaouira, qui se voulait cette année, la vitrine d'un patrimoine se devant d'être revisité par la jeunesse. De Dar Souiri à la Salle omnisport, les moments précieux des colloques du matin sont l'occasion de discuter et de débattre, avant de profiter des moments de musique de l'après-midi et du soir. L'occasion d'assister aux retrouvailles de Abderrahim Souiri et de Haim Louk, voix emblématiques de cette «Convivencia» ou d'admirer le talent des jeunes voix de Dinar Hicham Souiri, des frères Avraham et de Gabriel Ohayon, de Benjamin Bouzaglo, de Sanaa Marahati, de Zaynab Afailal ou encore de Abir El Abed. Il y a également des moments de qualité avec des musiciens comme Shadi Fathi et Fatine Garti, et des moments forts comme ceux proposés par Neta Elkayam et Maher Deeba qui, à chacun de leurs passages, donnent l'impression d'avoir résolu le conflit israélo-palestinien en musique. Le tout, sans oublier un habitué du festival, non des moindres: Jalal Chekara, dont les passages sont festifs et plein d'allégresse. Ce festival est unique et authentique, comme le rappelle le conseiller du roi, mais surtout natif et amoureux d'Essaouira, André Azoulay: «C'est le seul endroit au monde où juifs et musulmans chantent et dansent ensemble en paix». Le festival est un évènement qui fête un passé glorieux d'identités communes. «C'est l'occasion de fêter nos identités communes et additionnées, en les donnant à voir et à entendre dans un espace géographique défini, Essaouira, dans un espace-temps limité», explique Françoise Atlan, directrice artistique du festival et chanteuse d'exception, qui n'hésite pas à faire des préludes musicaux en plein débat pour adoucir les mœurs. «Je trouve qu' il y a un bel équilibre entre tradition et modernité, avec la conscience très vive du fait que si l'on on peut créer et inventer de nouvelles choses, de nouvelles expressions, on ne peut faire l'impasse sur ceux qui nous ont précédés, sur la tradition qui a été enseignée, apprise, intégrée, et puis finalement sublimée». Chanter le passé en construisant l'avenir La 11e édition de ce festival a permis de mettre en place des chantiers pour restaurer le patrimoine, de sorte à ne pas se contenter de célébrer ce dernier en chanson. Jeudi, afin d'inaugurer l'évènement comme il se doit, l'Alliance française est devenu l'Institut français d'Essaouira. Une nouvelle ère commence pour la ville. «Nous avons fait coïncider l'ouverture de l'institut avec l'édition de cette année des Andalousie atlantiques. L'institut français d'Essaouira sera comme tous les autres du réseau, une institution à part entière avec la programmation qui suit», explique André Azoulay qui se réjouit de cette initiative, bénéfique en tous points. «Nous avions besoin de cette institution. Cela va conforter le choix d'Essaouira comme «étape-escale» et cité de la culture. Chez nous, tout passe par là. Notre raison et notre renaissance passent par la culture sous toutes ses formes», continue le fervent défenseur de sa ville. Une ville qui continue sur un chemin qu'elle s'est tracée il y a plusieurs années, toujours animée par la même volonté: faire de la culture un levier de développement. Un façon également de faire un clin d'œil à l'histoire puisqu'un des moments forts de cette édition est la restitution d'un morceau joué pour une délégation française conviée par le Sultan Moulay Abderrahmane, dans son Palais royal de Meknès en 1832. Eugène Delacroix, alors présent, immortalise ce moment et peint un tableau qu'il intitulera «Les Musiciens juifs de Mogador». Une consonance historique non concertée, ni organisée qui a également permis de lancer trois chantiers importants, vendredi en début d'après-midi, en présence du ministre de la Culture, Mohamed Amine Sbihi. En effet, une vieille bâtisse de la Place Moulay Hassan sera restaurée pour retrouver «sa facture originale», afin d'expliquer aux Souiris et aux amoureux d'Essaouira ce que faire partie du patrimoine universel, comme c'est le cas pour la cité des alizés depuis des années, signifie. «Il s'agit de rappeler que ce n'est pas qu'un honneur mais un contrat d'obligation qui permettra de maintenir la ville dans l'éclat, la propreté et l'intégrité», renchérit André Azoulay. Le deuxième chantier permettra de restaurer la synagogue Attia. «Il y avait 47 synagogues, on en a déjà restauré une, mais celle-là a la particularité d'être une modeste réplique de la grande synagogue sépharade de Londres», explique le conseiller du roi qui fait une ellipse sur le passé glorieux de sa ville. «La famille Attia avait immigré à Londres pour faire des affaires, et ils ont offert à Essaouira une synagogue calquée sur le modèle de celle de la ville qui leur a tant apporté». La synagogue sera accompagnée d'un espace musée, lieu de témoignage et de mémoire sur l'histoire du judaïsme à Essaouira. «Saviez-vous que le premier juif élu de l'histoire des Etats-Unis est d'Essaouira, et que c'est son père qui a publié le premier livre abolitionniste aux Etats-Unis?», rappelle le président de l'Association Mogador. «Ce n'est mentionné dans aucun livre d'histoire». Le musée pourra en témoigner. Le troisième espace qui verra le jour est un lieu de pédagogie, un espace muséal deux fois plus grand que celui de Dar Souiri où sera installé le premier centre de recherche en islam et judaïsme au Maroc et dans le monde arabe, lequel portera le nom du célèbre historien Haim Zafran. Musique, culture, patrimoine mais également sport puisque le ministère de la Jeunesse et des sports, Mohammed Ouzzine, a été vu en train de discuter de la mise en place d'infrastructures sportives qui feront du bien à la ville. En somme, la 11e édition des Andalousies atlantiques, qui a fait briller le beau soleil d'Essaouira du 30 octobre au 2 novembre dernier, a honoré le passé tout en regardant vers l'avenir. Une belle leçon d'humilité et de travail acharné qui devrait servir d'exemple aux festivals superficiels, qui ne se concentrent que sur le moment présent, parce, que selon le maître des lieux André Azoulay, «le levier culturel a été décisif à Essaouira et il continue à l'être».