Qu'elles se tiennent en octobre prochain ou à une échéance plus éloignée, les législatives prochaines sont au cœur de tous les débats politiques. L'ambiance ne trompe pas, en dépit de l'accalmie relative qui caractérise actuellement le paysage politique national, la période est celle des veilles électorales. Les tractations en coulisses sur les dispositions des nouvelles lois électorales n'occultent en rien le branle-bas de combat que se livrent les différentes formations politiques, en vue d'un meilleur positionnement dans la perspective des législatives prochaines. Avec la nouvelle donne constitutionnelle et les multiples enjeux qu'elle implique sur le terrain politique, le contexte actuel fait office de période de test pour les partis politiques, conscients de la nécessité d'opérer les ajustements nécessaires avant le jour J. Si l'heure n'est pas encore à la mobilisation des électeurs, il n'en demeure pas moins que c'est la période propice au recrutement des élites et à la consolidation des positionnements stratégiques. Depuis les législatives de 2007, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, avec la recomposition du paysage politique, grâce au phénomène de «la transhumance parlementaire», qui a beaucoup saigné certaines formations et qui en a conforté d'autres. Ce phénomène, qui a atteint son paroxysme avec l'apparition de nouvelles formations politiques et les multiples cas de débauchage qui s'en sont suivi, a fini par devenir un exercice commun à l'ensemble des partis politiques, avant que la nouvelle Constitution ne sonne la fin de la recréation. L'article 61 dispose, en effet, que «tout membre de l'une des deux Chambres qui renonce à l'appartenance politique au nom de laquelle il s'est porté candidat aux élections ou le groupe ou groupement parlementaire auquel il appartient, est déchu de son mandat». Exit donc le nomadisme, tel qu'il a été sans cesse combattu, en son temps, par la majorité des partis politiques en raison du fait «qu'il pervertit le jeu politique et désoriente les électeurs» comme le reconnaît un observateur de la scène politique. Une remarque à la limite de la métaphore, si l'on tient compte du fait, que de 2007 à aujourd'hui, près du tiers des parlementaires ont changé de camp au gré des opportunités et sans égards pour leur électorat. L'équation qui se pose aujourd'hui, c'est la position des électeurs dans ces éternels revirements qui ont tant affecté la scène politique nationale, parfois avec grand fracas. Suivront-ils ou pas ? Reconfiguration politique S'il est vrai qu'en théorie, l'article 61 met fin au phénomène de la transhumance des parlementaires, son impact ne prendra effet qu'au lendemain de l'installation du Parlement. D'ici les échéances politiques, les élites politiques et leurs structures auront, donc, le loisir de changer de veste, au gré du positionnement qu'elles estiment le meilleur. Le moment est plus que jamais celui du débauchage pour certains partis politiques, qui offrent le plus de chances de sortir gagnants des prochains scrutins et de recrutement pour d'autres, plus séduits par l'option d'ouverture et d'intégration de nouvelles élites. Cette scène ressemble, à bien des égards, à un «mercato politique», avec les procédures de sélection des candidats et de positionnement des partis. Le coup d'envoi semble déjà engagé comme en témoigne le jeu de chaises musicales qui continue au niveau du Parlement. Des agissements qui s'inscrivent, selon certains acteurs politiques, dans le cadre «des préparatifs pour les prochaines élections». «Plusieurs considérations sont prises en compte par les députés transhumants», explique un député dont le parti est l'un des rares a garder ses effectifs intacts, en dépit de la vague des départs liées à la transhumance. Les partis sont en train d'étudier de nouvelles configurations territoriales de leurs implantations, «il n'y a pas de débauchage des élus, mais il s'agit plus d'alliance de nature opportuniste, qui donne au transhumant l'occasion de renouveler son mandat et au parti qui l'adopte de remporter un siège», fait remarquer un autre parlementaire. La partie ne semble pourtant pas facile, surtout pour les transhumants, tellement le champ politique paraît assez trouble à l'heure actuelle. Les partis politiques sont, en effet, partagés entre la volonté de se refaire une certaine «virginité politique», afin de restaurer leur crédibilité et la logique de mobilisation, avec l'adhésion de nouveaux militants. Du coup, entre choix des alliances ou stratégies communes, les partis politiques manquent de visibilité sur les options stratégiques à privilégier. Ce jeu arrange bien celui des alliances «contre-nature», au grand dam de la rationalisation du champ politique, qui aurait été plus bénéfique et mieux adaptée au nouveau cadre législatif marocain. Sophistication du jeu politique Ce qui est sûr, estime l'universitaire Najib Mouhtadhi, professeur de sciences politiques, «c'est qu'on assistera à une certaine sophistication des règles du jeu politique». À quel prix ? Il est clair que dans cette tentative de recomposition politique et d'émergence de nouvelles élites, certaines formations risqueront de laisser des plumes et d'autres gagneront en crédibilité. Pour ne rien arranger, la conjoncture actuelle n'est pas favorable aux errements, comme cela a été le cas par le passé où les partis politiques n'étaient tenus que par leur seul intérêt. À présent qu'il faut tenir compte de l'opinion publique, les partis semblent patauger dans une zone d'incertitude et même de turbulence, rendant tout pronostic à l'heure actuelle prématuré. Beaucoup de partis politiques semblent encore nostalgiques de la vieille époque, en espérant insuffler de nouvelles dynamiques aux alliances traditionnelles, ce qui n'est pas gagné d'avance, tellement la prudence est plus que jamais de mise. Pour d'autres, l'heure est à l'exploration de nouvelles alliances stratégiques. Un horizon qui inaugure d'heureuses perspectives pour les formations centristes (RNI, MP, UC,...) qui seront, dans un cas comme dans l'autre, certainement appelées à jouer «les faiseurs de rois». C'est d'ailleurs pour cette raison que les tractations politiciennes peinent encore à converger sur certains points. Alors que certaines formations politiques sont à pied d'œuvre pour les législatives anticipées, d'autres qui se veulent plus sereines, s'activent à garantir l'effectivité des conditions pour la régularité et la transparence des élections, qui restent la condition sine qua non pour donner sens au processus de réforme en cours. C'est le cas du PJD, comme en témoigne l'avis d'un des membres du bureau politique, pour qui «la question qui doit être plutôt posée est celle de la crédibilité des prochaines élections, durant toutes les étapes de l'opération». Pour cause, souligne Saâd Eddine El Othmani, parlementaire et ex-secrétaire général du parti de la lampe, «les pratiques qui ont été enregistrées durant les législatives de 2007 et des communales de 2009 ont eu un impact certain sur le taux de participation. Ceux qui optent pour que des élections prématurées soient vite tenues doivent savoir que la logique de la réforme, qui est enclenchée ne tolérera plus ce genre de déséquilibre, notamment la balkanisation de la carte politique». Du coup, au PJD comme à l'USFP, on est d'accord sur le fait que les quatre prochains mois ne seront pas suffisants pour que les textes d'application des nouvelles dispositions constitutionnelles soient promulgués. «Il ya deux importantes dispositions contenues dans les articles 71 et 11, qui vont instaurer de nouvelles règles pour le découpage territorial et électoral», souligne Othmani, avant d'ajouter que la mise en place d'une instance indépendante chargée de l'observation des élections nécessite pour sa part «de sérieuses discussions avant de se mettre d'accord sur un organe qui serait conforme à l'article 11 de la nouvelle Constitution». Cet attentisme risquerait de prolonger la période de grâce des «élites nomades» et permettrait sans aucun doute aux partis d'avoir plus de visibilité pour ce qui est des alliances et de leur positionnement. La transhumance a encore de beaux jours devant elle, et d'ici les législatives, le «mercato politique» peut battre son plein, avec certainement des recrutements qui feront sensation... Course contre la montre La fin de l'actuelle session printanière du Parlement n'a pas dérogé à la règle. Les membres du Parlement ne semblent pas encore prêts à abandonner leurs vieilles pratiques, dont certaines ont repris de plus belle. Le bureau de la Chambre des représentants a été notifié de la démission de 4 députés : Mohamed Yahou, et Mohamed Azalmate qui on claqué la porte du PAM, tandis que le groupe du Mouvement Populaire a renforcé ses rangs par l'arrivée du député Mohamed Lahmouche. L'Alliance des forces progressistes et démocratiques(FFD) a bénéficié également de ce changement de camp de dernière minute avec l'arrivée de Abderrahmane El Mtioui, lui aussi ayant déserté le PAM. Leur adhésion a déjà été acceptée par Mohamed Moubdiâ et Mustapha El Ghazoui, respectivement les présidents des groupes parlementaires du MP et de l'alliance des Forces progressistes. Tout porte à dire que l'heure est à la course contre la montre, bien que, de toute évidence, cela ne sera pas le dernier rassemblement. Des sessions extraordinaires sont à envisager, il va sans dire que le temps est désormais compté pour nos parlementaires, pas encore bien assis «sur leurs sièges». Une véritable course contre la montre qui risque de s'intensifier les prochains jours... Tous les coups sont permis... Le PAM à la croisée des chemins Le PAM est à la croisée des chemins. C'est en effet, son premier grand test puisque la création du parti est postérieure aux législatives de 2007. Du coup, c'est l'occasion plus que jamais pour le parti de confirmer sa percée inaugurée lors des communales de 2009 où il a raflé la mise. C'est la formation qui a le plus bénéficié de la transhumance politique. Rien que cette année, le parti de Mohamed Cheikh Biadillah a attiré une vingtaine de nouveaux parlementaires provenant d'autres partis. Parti de rien, le PAM a pu ravir de nombreux postes qui lui ont permis, à son apogée, de ravir la présidence de la deuxième Chambre du Parlement. Conjoncture oblige et pour diverses raisons, le parti a dû faire profil bas. Ces derniers mois, le PAM a commencé à saigner. Certains parlementaires ayant préféré quitter le parti du tracteur pour de nouveaux horizons. Le PAM risque de payer cher le recrutement à grande pompes de nombreuses élites qui difficile à «caser» lors du processus de sélection des candidats. Il n'est pas à écarter que certains mécontents désertent sans pour autant impacter le parti qui a démontré en 2009 qu'il a plus d'un tour à jouer dans son sac. Au RNI, on ratisse large Le parti de Salaheddinne Mezouar fait parti des grands bénéficiaires de la transhumance. Mais il a perdu aussi quelques grosses pointures tout en relevant le nombre de ses parlementaires de quelques pouces limitant ainsi la casse. L'effectif du RNI est ainsi passé de 39 à 45 députés, ce qui le classe parmi les formations qui pourront espérer une place au soleil après les prochaines législatives. Une position qui sera confortée avec son rapprochement consommé avec l'UC qui a fait les frais également de «la razzia du tracteur», en perdant 9 députés dont 6 au profit du PAM. Les perspectives d'alliances avec le PAM ou même le PJD inaugurent, également, de nouveaux espoirs pour les centristes. Avec la nouvelle orientation stratégique du parti, opérée depuis l'arrivée de l'actuelle ministre des Finances à sa direction, le parti de la colombe veut ratisser large. Dans sa quête d'élargissement de sa base électorale, le RNI a pu intégrer de nouvelles élites, notamment certains membres de l'actuel gouvernement qui font désormais figure d'égérie pour le parti (Belkhayat, Benkhadra, Znagui, ...). Le RNI a également engagé une véritable OPA sur les jeunes depuis 2010. Une opération qui semble marcher mais qui se confirmera lors des élections prochaines. En tout cas, au RNI, l'heure est à la grande mobilisation comme en témoignent les campagnes médiatiques et de marketing politique que ne cessent d'engager Mezouar et Cie. 2012 sera –telle la bonne ? PJD, c'est le moment ou jamais ! Le parti de la lampe peut se targuer d'être la formation la plus crédible de l'échiquier politique national. Pour preuve, c'est le parti qui a souffert le moins du phénomène de la transhumance que les partisans du parti de la lampe n'ont cessé de combattre avec énergie. Aucune défection de taille, à part quelques crises internes vite maitrisées. D'ailleurs le parti ne semble nullement préoccupé par le débauchage de ses élites. Au parti de la lampe, on croit dur comme fer que c'est le moment ou jamais. Raison pour laquelle, les conditions du déroulement des opérations électorales semblent le plus intéresser les partisans de Benkirane. Mais il n'est pas exclu que cette stabilité attire de nouveaux opportunistes prêts à parier sur le parti de la lampe. L'Istiqlal résiste Logiquement, le parti de l'Istiqlal aura, en principe, à souffrir de la loi du vote sanction pour sa gestion du gouvernement depuis 2007. Si le parti peut compter sur un renouvellement de sa direction et de faire peau neuve, Abass El Fassi et compagnie auront du souci à se faire. Même si le nomadisme politique semble bien réussir au parti qui malgré quelques pertes, a pu se ressaisir en accueillant quatre transfuges issus de l'alliance PADS/PSU, du MP et de l'UC. Au final, le parti d'Allal El Fassi a relevé son effectif à la Chambre des représentants pour atteindre 54 membres et affiche donc une bonne santé. Un autre avantage qui peut susciter la convoitise de nouvelles élites, à la recherche de vaches grasses, c'est la machine électorale du parti, l'une des plus rodée de l'échiquier politique et son «maillonnage territorial» qui seront d'un apport important au Parti. Le PI aura en tout cas l'occasion de prouver que 2007, c'était tout sauf une surprise ! FFD, une question de survie Voilà une coalition qui a le plus pâti du nomadisme parlementaire. Le Mouvement populaire a commencé la législature de 2007 avec 41 membres, pour se retrouver en 2011 avec une trentaine de parlementaires, 33 exactement. Une perte de 14 membres même si le MP a pu récupérer 3. Même son de cloche au niveau du parti du livre, le PPS qui a perdu 8 députés sur les 17 qui ont accédé au parlement sous son étiquette. Du coup, les partis membres de cette coalition, jouent actuellement leur survie politique. Dans l'optique de changer la tendance, les FFD tentent une opération de recrutement digne de ce nom. La coalition a récemment procédé au lancement d'une campagne portes-ouvertes à l'adresse des nouvelles élites qui sont «disposées à s'impliquer dans l'action politique noble». Objectif, ouvrir les portes de la coalition, «par le biais de ses structures territoriales et de masse, devant tous ceux qui désirent s'engager dans l'action politique et noble, et mettre ainsi en œuvre les valeurs de citoyenneté pour servir au mieux les intérêts du pays». Une manière politiquement morale d'intégrer de nouvelles élites, à condition que la stratégie fonctionne. L'USFP joue sa dernière chance Le parti de la rose garde encore en mémoire les très mauvais souvenirs des législatives de 2007, avec «un score qui ne reflétait pas la popularité du parti», selon ses militants. La transhumance s'est réduite à un jeu à somme nulle pour le parti formant la coalition gouvernementale qui ne s'est pas montré très disposé à recruter parmi les autres formations. La logique de l'ouverture vers d'autres catégories de militants et d'acteurs politiques ne va pas laisser le parti compter uniquement sur ses ressources propres, surtout s'il veut être une composante essentielle du futur Parlement et rééditer le même scénario qui l'avait conduit à la tête du gouvernement il y a plus de 13 ans. La grande discrétion des leaders du parti, liée à leur fonctions au sein de l'Etat, ne va pas certainement pas durer longtemps à l'approche des échéances électorales avec une course à la présidence du gouvernement que le parti compte faire avec ses propres cadres et un cadre idéologique plus hermétique qu'auparavant.