Au centre culturel de Kénitra, des passionnés de musique se retrouvent pour préparer un hommage à la Méditerranée en musique, un échange musical entre l'Orient et l'Occident. La soprano Johanne Cassar, la violoncelliste Ingrid Schoenlaub, le joueur de oud Yacir Rami et le pianiste Sodi Braide ont présenté leur spectacle «Qissat 'awda (Chronique d'un retour)», à l'Institut français de Kénitra en avant-première, jeudi 19 février. La Méditerranée a inspiré une multitude d'artistes, qu'ils soient peintres, musiciens, cinéastes ou écrivains. Aujourd'hui, sa lumière exceptionnelle interpelle Johanne Cassar, la soprano, et sa compagnie Coloratura, qui ont à cœur de jeter des ponts entre le Maghreb et l'Europe, de faire se rencontrer Orient et Occident, musique arabo-andalouse et tradition classique européenne. Une résidence inspirée par le compositeur Henri Tomasi, pour qui la Méditerranée représentait une source d'inspiration inépuisable et un idéal humaniste plus qu'une zone géographique, avec un hommage aux grands, Manuel de Falla et Maurice Ravel, sans oublier la touche arabe et kabyle du talentueux compositeur algérien Salim Dada. Le tout avec des textes, un piano, un oud, un violoncelle et une voix. Un voyage au bout de soi La résidence commence par un travail colossal de répétitions et de recherche à Paris. Tous les musiciens ont travaillé de leur côté, avant de se retrouver, il y a quelques semaines à Kénitra, pour mettre leur travail en commun et laisser la magie opérer. «C'est un projet un peu particulier. Le but est de lier la musique occidentale classique à la musique orientale, de les faire se rencontrer. On a une formation un peu particulière avec piano, violoncelle, oud et voix», explique Johanne Cassar, soprano qui a vécu 10 ans à Marrakech, enfant. Née dans le Sud de la France, elle arrive au Maroc à tout juste 3 mois où elle reste jusqu'à l'âge de 10 ans avec ses parents, pieds-noirs d'Algérie. «C'est un pays qui me touche beaucoup, et avec lequel j'aimerai garder un contact. Je voulais créer un spectacle autour d'un retour au pays. J'avais envie de retourner en musique vers cette lumière qui m'a marquée», continue la chanteuse qui a commencé le violon et la chorale à tout juste 8 ans. Elle décide de devenir professionnelle dès l'âge de 16 ans. Diplômée de la Guildhall School of Music and Drama de Londres (diplôme obtenu avec distinction) ainsi que du Conservatoire supérieur de Paris (premiers prix de chant lyrique et chant baroque), elle est lauréate du concours Muses 2003 (Opéra de Nice), présidé par Dalton Baldwyn, ainsi que du Guildhall Trust 2008 et 2009. Un bagage qui ne comble pas encore cette envie de faire autre chose avec la musique classique, au-delà des belles robes et des beaux spectacles. «La compagnie a deux objectifs : on aime jouer la musique classique dans des endroits inattendus, qui ne «collent» pas. Elle revêt un côté social très présent. On joue dans des prisons, des maisons de retraite, des écoles... On organise des soirées pour lever des fonds afin de financer des projets contre la famine, pour l'éducation», continue la cantatrice qui voit la musique classique mourir à petit feu en France. «La musique classique en France se porte mal. Il y a de moins en moins de subventions, les gens perdent leur statut d'intermittents du spectacle, il y a de moins en moins de place pour la création. Mais comme dans toute chose négative, il faut trouver le positif, trouver ce qui nous anime intérieurement». Ce qui l'anime, c'est cette musique fédératrice des peuples. Elle, qui se sent plus Française que Marocaine, ne veut pas laisser cette sensibilité au pays et souhaite l'utiliser pour approfondir le dialogue entre l'Orient et l'Occident. Un travail possible grâce à la musique... La musique, pont entre l'Orient et l'Occident «Nous faisons coexister les traditions musicales des deux cultures, car il me semble primordial aujourd'hui de tisser des liens entre nous. Nous organisons d'ailleurs une répétition publique avec un petit échange, pour des enfants, afin de les sensibiliser à la musique», explique Johanne Cassar, qui a déjà joué à trois reprises au Maroc et qui est venue à de nombreuses reprises revoir famille, amis et attaches au pays. Lorsque le projet «Méditerranée, terre et voix» est validé par l'Institut français, tout un travail de fond a dû être fait car le lien entre l'Orient et l'Occident en musique n'est pas si évident que cela. «On est de tradition écrite, la musique orientale est de tradition orale. On va improviser, on va aller sur les chemins orientaux. Le joueur de oud va suivre nos partitions. Il y a un travail à faire sur les voix, l'harmonie», explique la musicienne, qui se retrouve en résidence avec la talentueuse violoncelliste Ingrid Schoenlaub, technicienne hors pair, ayant une capacité d'improvisation qui continue de bluffer la soprano. Formée par Philippe Muller au Conservatoire national supérieur de Paris et Frans Helmerson à la Musikhochschule de Cologne, son approche instrumentale et musicale se nourrit aussi du mouvement dansé, qu'elle aborde avec la danseuse Wilfride Piollet. Elle participe au projet aux côtés d'un pianiste qu'elle connaît bien : Sodi Braide, né à Newcastle, en Angleterre, et qui commence le piano à 3 ans. Il poursuit ses études musicales au Nigeria d'abord, son pays d'origine, et ensuite en France, au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris, dans les classes de Jacques Rouvier et Gérard Frémy, ainsi qu'à l'Ecole normale de Paris avec Françoise Thinat. Le quatrième musicien, qui apporte la touche orientale, est Yacir Rami, musicien et compositeur né il y a un peu plus de 30 ans à Salé, et qui s'initie à son instrument à travers la musique arabo-andalouse dès l'âge de 11 ans. En 2008, il fonde avec Mouhidine Loukili le duo «Bassamat» et en 2010 le quartet Khatawat (flûte, oud, percussions et contrebasse), avec Naïssam Jalal, qui mêle les sonorités de son Maghreb natal, les musiques arabes et iraniennes et des sons plus modernes influencés par le Jazz. Il est d'ailleurs le joueur de oud officiel d'Oum. Un quartet de choc, qui tisse des liens forts entre les musiques classique et orientale à travers des textes en différentes langues, à savoir la darija, l'espagnol, l'italien, le hébreu ou le yiddish, sublimés par les voix parlées d'Emma Colberti et de Pablo Ramos Monroy. «Les langues européennes et arabes sont différentes. Il faut une technique. Il y a une incompatibilité des sons, la musique arabe nous «ramène» dans la gorge alors que la technique classique veut que le son provienne d'en haut. J'essaie de travailler sur cela, j'essaie d'adapter, de chanter plus grave, de trouver d'autres résonateurs», confie Johanne Cassar. Un parcours musical à travers la Méditerranée, sa richesse et sa passion, en musique qui commence à Kénitra. Une résidence qui souhaite se développer afin de devenir un spectacle itinérant, allant -pourquoi pas- à la rencontre du monde entier. Un spectacle aussi universel qu'un certain «Retour à Tipasa» d'un certain Camus, qui avait initié ce lien entre l'Orient et l'Occident grâce à sa plume unique. Place aux notes de musique pour résonner plus fort, plus loin.