Essaouira, alias Mogador, c'est 100.000 ha de superficie dont 50% d'espaces forestiers. Pour les étrangers, celle que l'on surnomme «la cité des alizés» est bien connue pour deux choses, ses vents et ses gnaouis. Pour les Souiris, la réalité est tout autre : ces joueurs de guembris et ces crotales qui tournoient de la tête et envahissent les rues de la cité le temps d'un événement sont loin de leur quotidien. Il y a encore quelques mois, Essaouira était, pour ceux qui la vivaient en dehors de ses festivités, une sorte de grand village qui n'a de ville que le nom. Et pour cause : problèmes d'assainissement, d'eaux pluviales, manque d'infrastructures urbaines – en particulier dans la nouvelle ville –, absence de tissu industriel et donc problème de chômage... En bref, Essaouira, la ville qui fait rêver les touristes et inspire les artistes, manquait de s'essouffler. Cette situation dure depuis trop longtemps pour ces citoyens qui trouvent refuge dans le commerce ou pour les plus jeunes sur la route... direction un avenir probablement meilleur. «Les jeunes sont obligés de quitter la ville pour trouver du travail», nous confie un employé du musée Sidi Mohamed Ben Abdallah. Ça, c'était en 2010. Aujourd'hui, si les vents sont toujours au rendez-vous des voyageurs de passage par l'ancien port portugais, il raisonne comme un air de satisfecit dans ces brises marines. Qu'est-ce qui a changé ? À première vue pas grand-chose. Derrière les grandes murailles qui protègent l'ancienne médina de 40 ha, les commerçants et artisans sont toujours là, halant les chalands à leur passage. C'est d'ailleurs là qu'est réunie plus de 60% de l'activité économique de la ville d'Essaouira. Activité, rappelons-le, essentiellement commerciale. Un peu plus loin, au-delà de Bab Essabaâ (La porte du Lion), lorsqu'on longe la plage et dépasse la brochette d'hôtels étoilés, la zone extra-muros : 160 ha de résidences, de côte, mais aussi de ville nouvelle. C'est là que vivent aujourd'hui une grande partie des Souiris, entre ces murs en béton aux fenêtres en fer forgé renforcé. On est bien loin des façades blanches aux portes et fenêtres bleu azur que l'on connaît de l'ancienne Mogador. Toutefois, au bas de ces devantures pseudo-modernes, on observe des chaussées en terre et en cailloux, des égouts en fuite, voire quasi absents, au même titre que les lampadaires et les trottoirs. Une ville moderne qui n'en a pas vraiment l'air. C'est du moins ce à quoi avaient droit les habitants de la nouvelle ville jusqu'à fin 2010. Voilà donc ce qui a changé ou plus exactement ce qui est en train de changer à Essaouira. Avec l'arrivée d'un nouveau bureau au siège de la ville en 2009, une étude a été lancée pour prendre la mesure du chantier, qui a donc officiellement commencé en 2011, pour s'achever d'ici fin juillet. C'était donc ça cet air de satisfecit, celui des habitants qui retrouvent depuis quelques mois une vie «plus» décente avec un réseau d'assainissement aux normes, des chaussés goudronnées et des trottoirs bétonnés. Le chantier n'en est qu'à ses débuts, mais les premières couches de bitume encouragent déjà les plus jeunes à envahir les rues de la petite ville. Enveloppe globale du projet : 450 millions de DH, un budget de trois ans (2011-2013) auquel auront contribué les ministères de «l'Intérieur et celui de l'Habitat, ainsi que la préfecture et la province d'Essaouira», précise l'actuel maire de la ville, Mohamed El Ferrah. De l'avis de celui-ci, les premiers effets des travaux se font d'ailleurs déjà sentir : «les taxis qui se plaignaient auparavant de la difficulté de circuler au centre ville sont en train de changer leurs véhicules». Les bosses de cailloux, qui bloquaient le passage et empêchaient même les véhicules hospitaliers de passer, sont désormais aplanis. Pourquoi autant de laisseraller dans ce cas ? Est-ce par manque de moyens ou plutôt d'initiative ? Pour El Ferrah, la réponse est simple : «pour les deux raisons !», mais «il faut reconnaître que la ville n'a pas de moyens», se défend notre interlocuteur. Une situation qui n'est pas nouvelle, certes, d'autant qu'à l'arrivée du responsable au siège de la ville, «les caisses avaient à peine généré 7 millions de DH. C'est à peine suffisant pour assurer le maintien des infrastructures déjà existantes, l'achat de matériel...». Toutefois, «à force de gestion des budgets et des recettes », le maire raconte avoir réussi à «drainer en 2010, un budget de 12 millions de DH de marge». La liste est longue Si le budget accordé conjointement par le ministère de l'Intérieur et de l'Habitat sert à la remise à niveau de la ville, le chantier en question ne concerne pas uniquement les quelques lampadaires plantés sur des trottoirs bétonnés bordant des chaussés uniformément goudronnées. En effet, le chantier est encore plus grand. La zone industrielle à elle seule, qui s'étend sur près de 7 ha de terrain en est l'un des plus importants. «Une étude sur la réintégration de la zone industrielle dans le tissu urbain de la ville est en cours de finalisation», nous confie El Ferrah. Prévue en collaboration avec l'agence urbaine, cette étude prévoit le déménagement de l'ancienne zone industrielle, désormais laissée à l'abandon, vers l'intérieur de la «nouvelle» ville. Les quelques unités de production et conserveries qui ont survécu à la crise et à la rareté des moyens seront transférées vers la zone d'activité économique, direction Diour Al Arab. C'est également là que seront transférés les services municipaux de la ville, «l'idée étant de faire de ce qu'il reste de cette ancienne zone industrielle un espace touristique et habitable puisqu'elle est située non loin de la mer», ajoute El Ferrah. À l'horizon 2012-2013, c'est un ravalement de façade que la mairie de la ville ambitionne pour la ville des vents. Si l'on en croit le maire, «trois études en cours sont en phase de finalisation». La première porte sur la mise en oeuvre d'une Charte urbaine de la ville, l'objectif étant d'uniformiser l'espace urbain d'Essaouira. Qui sait, peut être que finalement les fenêtres en bois bleu azur reviendront colorer les murs blancs chaulés de la nouvelle ville. En attendant, il faudra également attendre les conclusions de l'étude relative à la rénovation urbaine et la troisième portant sur l'auscultation des bâtiments. Tout un chantier qui témoigne, il faut le reconnaître, d'une véritable prise de conscience entre les murs de l'administration de la ville, un «réveil» qui s'accompagne cette fois-ci d'une mise en oeuvre pratique, voir pragmatique. Au milieu de ces vents marins, la cité des alizés semble retrouver son souffle.