À elles deux, elles emploient 120.000 personnes. Et pourtant, les zones industrielles d'Aïn Sebaâ-Sidi Bernoussi, cœur économique du Royaume, ne sont pas pour autant bien loties. Les entreprises de ce quartier industriel qui font 50 milliards de DH se battent depuis plusieurs années pour ne pas se voir obligées de quitter leurs sites de production. Criblée de maux depuis plusieurs années, la zone industrielle (Z.I.) de Sidi Bernoussi tente de sortir la tête de l'eau. Depuis trois ans, les industriels fondent leurs espoirs sur un projet de convention élaboré sous l'égide du Fonds Hassan II et qui prévoit de nombreux chantiers pour mettre à niveau cette zone industrielle, en état de délabrement. Et pourtant, elle constitue le cœur de l'économie du pays, employant des milliers de personnes et représentant des marques et des produits à forte valeur ajoutée. À partir du centre-ville de Casablanca, il faut compter au moins un quart d'heure pour atteindre la Z.I. de Sidi Bernoussi. L'investisseur doit traverser une dizaine de kilomètres avant d'arriver sur site. Sur le chemin, beaucoup d'entrepôts délabrés et abandonnés, des bacs de stockage rouillés, un amoncellement de ferrailles et des traces à peine visibles d'anciennes enseignes et vestiges d'usines. Ici, l'environnement s'est dégradé au fil des années au grand dam des industriels. Ce qui explique quelques fermetures d'usines. Les principales remontent aux années 97-98. Les industriels regroupés au sein de l'association Assinaa de Aïn Sebaâ les expliquent par les pressions d'un syndicalisme «très virulent». À elle seule, cette zone regroupe plus de 860 unités industrielles et emploie plus de 80.000 personnes. Presque tous les secteurs d'activités y sont représentés : agro-industrie (Cosumar), huileries (Lesieur), produits pharmaceutiques, travaux publics, électronique… Une saturation rapide Aujourd'hui, malgré tout, les industriels semblent revenir à de meilleurs sentiments. L'adressage qui faisait défaut est redevenu une réalité : les plaques indicatives et les rues ont désormais des noms. «Initialement, le quartier industriel se limitait aux Roches Noires et à Aïn Sebaâ. Le développement important de l'activité industrielle a entraîné une saturation de ces zones. Les terrains les plus proches étaient ceux de Sidi Bernoussi, encore agricole. Du coup, une zone industrielle s'est constituée de fait, sans étude ni planification», explique un élu de la Commune de Sidi Bernoussi. S'il y a un sujet récurrent dans les discussions avec les «locataires» de la zone, c'est surtout celui du feuilleton amer de la défunte General Tire. Autrefois fleuron industriel, elle en a traumatisé plus d'un. Plus récemment, des textiliens ont été contraints de mettre la clé sous le paillasson. Parallèlement, et contre toute attente, de nouvelles unités s'implantent en dépit de la rareté du foncier. Des propriétaires d'usines fermées préfèrent garder le terrain sous la main en prévision de projets urbanistiques et de velléités spéculatives. Du coup, les prix flambent. Mais il en faut plus pour dissuader l'arrivée de nouveaux investissements, les plus récents dans la logistique (Atlantic Logistic), le SAV automobile (Hyundai, Volkswagen, Madiva…), l'entreposage ou encore l'automatisme industriel avec Centrelec. Un peu plus loin, Maersk, Toyota et Peugeot-Citroën s'y sont également installées ces dernières années. Manifestement, ces opérateurs anticipent sur la réhabilitation annoncée du littoral en optant pour un créneau (logistique et entreposage) complémentaire à la production. Plus loin se profile la Z.I.de Bernoussi, une zone dédiée par excellence à la production. Si Sidi Bernoussi est concurrencée par une ou deux zones sur la concentration industrielle, elle reste le plus vaste et le plus ancien parc industriel du Maroc. Elle regroupe la plupart des sièges sociaux des plus grosses entreprises du pays. Depuis le redécoupage préfectoral de fin 2003, elle ne comprend plus Zenata mais englobe Sidi Moumen, Ahl Loghlam, Karia et Beaulieu. Avec plus de 1.000 ha et 600 unités industrielles, la zone emploie près de 50.000 salariés. Le textile et le cuir s'accaparent la part du lion (40%), vient ensuite la chimie avec 30%, suivie de l'agro-industrie (20%) ou encore de la mécanique et de l'électronique avec 10%. La frontière entre les deux zones (Aïn Sebaâ et Sidi Bernoussi) est quasi imperceptible. Ici, si l'état de délabrement est beaucoup plus avancé que le site d'Ain Sebâa, la Z.I.tente de se faire une cure de jouvence. Nous empruntons l'artère transversale principale A de la Z.I. de Sidi Bernoussi pour rallier une autre route principale, le Bd Chefchaouni. Le visiteur qui s'était rendu dans la zone trois ans auparavant se serait certainement cru en plein rêve. Les trois artères principales ont été complètement rénovées. Avant, il était quasi-suicidaire de les traverser. Le jalonnement et l'adressage ne sont plus défaillants. La zone ne donne plus cette impression d'un vaste champ en friche. À partir du Bd Chefchaouni, nous faisons une incursion sur le Bd Fatime Bent Akkali Maa Alaynin, qui vient d'être goudronné et au bord duquel des ouvriers s'affairent pour jalonner la chaussée de trottoirs. «Il ne reste plus que les petites routes à réfectionner ainsi que certaines chaussées à faire. Mais au-delà des routes, il reste beaucoup de chantiers à lancer comme par exemple le recasement des bidonvilles», renseigne Dounia Oudghriri, directrice de l'association des opérateurs économiques des zones industrielles de Sidi Bernoussi (Izdihar). Il y a presque 10 ans, face aux difficultés de la zone industrielle de Sidi Bernoussi, pourtant reconnue comme le poumon économique du pays, plusieurs chefs d'entreprises pionniers décidaient d'unir leurs efforts pour défendre les intérêts communs de leurs entreprises et de celles de l'ensemble de la zone. Dans la Z.I.de Bernoussi, seul un chantier sur les trois a abouti. Il s'agit de l'amélioration des infrastructures urbaines de la zone industrielle (voirie, signalisation, éclairage public, assainissement, transport en commun, gestion des déchets). Le deuxième chantier, celui de la mise à niveau énergétique et environnementale des entreprises de la zone, amorce un début de solution. Les industriels, avec l'aide des bailleurs de fonds, ont misé 15 millions de DH sur les 26 millions nécessaires pour éradiquer leurs émissions de CO2, réduites à 10.000 tonnes l'année dernière. Mais il suffit de regarder autour de soi pour constater que les industriels ont du pain sur la planche avant de trouver une solution à leur troisième chantier, celui de la résorption des poches de bidonvilles. De nombreux ouvriers y habitent d'ailleurs, ce qui rend difficile toute tentative de recasement. La pléthore de bidonvilles représente une grande entrave au développement des activités. Au milieu de la zone, des vaches, chèvres et moutons broutent et paissent en paix. À côté, des gargotes et des buvettes de fortune ont baissé leurs rideaux en cette période de Ramadan. Il faut dire que les activités annexes comme les cafétérias et autres commerces de restauration rapide, cafés, snacks font défaut. Une dizaine de bidonvilles Plus grave encore, des bonbonnes de gaz et autres réchauds à proximité d'unités industrielles spécialisées dans la pétrochimie. C'est dire que rien ne prédestinait le site à devenir une zone industrielle. On parle de 10 bidonvilles représentant 1.000 ménages. La plupart de ces bidonvilles datent de la période du protectorat, comme en témoigne leur dénomination (Jeanne, Joseph, Valentin, etc.), en référence aux propriétaires terriens de l'époque. Le caractère privé des terrains sur lesquels ils sont établis, longeant souvent de manière extraordinaire les unités industrielles (en épousant des formes géométriques étonnantes), et la précarité des conditions d'habitat semblent à priori donner raison aux industriels qui souhaitent leur déménagement. En référence aux chiffres du recensement de 1992, ce confinement des bidonvilles à la limite des installations industrielles est probablement une contrainte à l'expansion géographique de ceux-ci ; même si l'on relève des écarts légers en ce qui concerne le nombre estimatif de ménages (un millier) et la «naissance» de deux bidonvilles, certes de faibles tailles, Joseph 2 (Jouhala) et Bouhrim. Toutefois, certains habitants, en l'occurrence les ouvriers de la zone, revendiquent le droit à la propriété comme « retraite méritée» auprès des industriels. Mais les industriels déjà implantés ne baissent pas les armes. Ils font jouer leur lobbying via des associations professionnelles (Izdihar, Assinaa, Azim, CGEM…) pour donner un nouvel élan à leur cadre de travail.