J'ai déjà alerté les lecteurs dans cette même tribune sur le caractère récessif de la politique monétaire et sa vocation à amplifier la crise. En dépit d'une inflation quasi inexistante, la banque centrale marocaine s'obstine à ne pas réduire drastiquement son taux directeur, ou du moins le fait tardivement et modérément (-50 points de base en 3 ans). Elle refuse l'idée même d'une politique monétaire non conventionnelle. Elle affiche une volonté indéboulonnable d'appliquer à marche forcée la réglementation prudentielle de Bâle III, sans évaluation partagée avec les professionnels de la banque et les économistes de son adaptabilité à l'environnement national, de ses dommages collatéraux et du planning de mise en œuvre. Par cette obstination, ce refus et cette volonté, l'institut d'émission a accentué la déprime économique de 2014 et risque d'entraver sérieusement la reprise attendue en 2015. Les banques centrales des grandes zones économiques de la planète ont évité l'écueil de l'orthodoxie monétaire érigée en dogme, malgré des conditions économiques infiniment plus complexes. Leurs monnaies sont convertibles et librement négociables sur les marchés internationaux des changes, les exposant aux sanctions des agences de rating et des fonds spéculatifs. Leur dette publique est détenue en grande partie par des investisseurs étrangers, à l'affût du moindre différentiel du couple rentabilité/risque pour qu'ils procèdent à des arbitrages massifs. Faut-il rappeler que le dirham n'est pas librement convertible et que sa valeur est déterminée par Bank al Maghrib suivant un panier de monnaies auquel il est adossé ? Faut-il rappeler aussi que la dette publique marocaine demeure pour l'essentiel nationale, les banques et les institutionnels domestiques en détenant plus des trois quarts? Les banques centrales ont donc toutes mené des politiques monétaires extrêmement volontaristes, usant à la fois des taux directeurs et des mesures non conventionnelles. L'exception de la BCE, qui est liée par des statuts contraignants et réfrénée par une farouche opposition allemande, a disparu la semaine dernière. Mario Draghi en a été le fossoyeur. Les risques déflationnistes, la faible reprise économique et la pression des peuples sur les gouvernements, ont fini par avoir raison sur l'intransigeance de la Chancelière Angela Merkel et de son redoutable ministre des Finances Wolfgang Schäuble. La révolution monétaire qui a eu lieu dés 2008 aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, au Canada et, depuis peu, dans l'Euroland, porte un nom : c'est le "quantitative easing" (QE). Cette politique monétaire d'assouplissement quantitatif consiste à monétiser la dette (mécanisme de la "planche à billets"), lorsque l'arme des taux est épuisée (proches de zéro ou négatifs) et que la déflation/récession devient menaçante. La banque centrale décide dés lors de racheter des titres d'Etat et de financer ces acquisitions par une création monétaire, qui gonfle artificiellement son bilan. Le programme QE de la BCE annoncé le 22 janvier dernier, dépassera les 1100 MM€ à l'horizon de septembre 2016. Il repose sur des achats mensuels sur le marché secondaire de la dette de l'ordre de 60 MM€, dont 50 MM€ de dettes souveraines et 10 MM€ de rachats de crédits titrisés (ABS) et d'obligations sécurisées (covered bonds). Pour arracher l'accord des allemands sur le QE, Mario Draghi a fait une concession de taille : limiter à 20% seulement la part des dettes acquises qui sera mutualisée au niveau de la BCE, afin de réduire le partage des risques au strict minimum. Les banques centrales des Etats membres porteront l'essentiel du programme. Elles rachèteront leurs dettes souveraines et s'exposeront frontalement au risque de taux. Les banques centrales française, italienne, espagnole et portugaise, seront les plus exposées. Quels enseignements la banque centrale marocaine devrait-elle tirer des expériences monétaires européennes, américaines ou asiatiques ? Ils sont au nombre de quatre. Premièrement, le QE sera meilleur pour l'économie marocaine que l'attentisme monétaire dont fait preuve Bank al Maghrib depuis 2012. Son effet sur la masse monétaire et les anticipations d'inflation sera positif. Deuxièmement, le QE réduira le coût de la dette publique et permettra au gouvernement de dégager de nouvelles marges de manœuvre budgétaires, à affecter prioritairement à l'investissement et au désendettement. Troisièmement, le QE ne peut être efficace que s'il vient concomitamment nourrir une double intervention de l'Etat : une politique de réformes structurelles et une relance des budgets d'investissements publics et de la consommation nationale. Quatrièmement, les mécanismes de transmission de la politique monétaire doivent être améliorés. La transmission via les banques se déroule au Maroc dans des conditions peu satisfaisantes, comme en témoigne l'évolution des taux débiteurs et des encours crédits. Les tensions sur la liquidité bancaire se sont pourtant atténuées, suite aux rentrées exceptionnelles de devises (1 MM€ empruntés par le Trésor sur le marché international de la dette, rapatriement de 9 MM DH de capitaux liquides amnistiés, encaissement de 13 MM DH de dons des pays du CCG). Ce qui démontre bien que la carence en termes de perspectives économiques et de confiance, demeure le point nodal de la croissance. Les banques sont réticentes à prêter aux PME et aux ménages, dont la demande de crédit est atone et la volonté d'investir réduite. Le QE n'a de sens que s'il lève cette réticence et cette défiance. L'Etat n'aura d'autre choix que de compter sur le sens de la responsabilité des opérateurs bancaires, pour transmettre à l'économie réelle les effets d'une révolution monétaire. Mohammed Benmoussa Economiste, et chef d'entreprise www.mohammedbenmoussa.com