Les premiers effets des nouvelles modalités de fixation du Prix public de vente des médicaments tardent à se faire sentir sur ce marché pharmaceutique. Industriels et officinaux dévoilent leurs chiffres. Beaucoup de bruits pour rien ? Le fameux décret n°2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du Prix public de vente (PPV) des médicaments fabriqués localement ou importés, appliqué en juin 2014, a eu un effet limité sur la baisse des prix des médicaments. Abdelmadjid Belaïche, DG de l'Association marocaine de l'industrie pharmaceutique (AMIP) et de Mohammed Chattou, pharmacien économiste, ont présenté au 7e Colloque national de la pharmacie organisé le 23 et 24 janvier dernier à Marrakech des chiffres prudents. Contrastes Sur les neuf premiers mois de ventes (directes+indirectes) en 2014, le marché pharmaceutique privé a enregistré une hausse de 2,8% et en même temps, il régresse en valeur de 4,7%, selon l'AMIP. Le nouveau système, concocté par le département de Lhaussaine Louardi (photo), instaure quatre tranches de prix (voir tableau p.5). La tranche 1 concerne les médicaments avec un prix inférieur à 166 DH. Selon les calculs réalisés par Chattou sur la base de 3.870 spécialités vendues dans le secteur privé, les prix ont baissé de 5,53% chez l'industriel sauf que le PPV n'a pas été impacté. Ce prix de vente chez les pharmaciens reste inchangé malgré la révision à la hausse de la marge des pharmaciens. Dans la deuxième tranche de prix (entre 166 à 588 DH), l'impact est nul chez l'industriel comme chez le pharmacien. Dans la troisième tranche (entre 588 à 1766 DH) et la quatrième tranche (supérieur à 1766 DH), le Prix fabricant hors taxe (PFHT) est inchangé. Par contre, chez les pharmaciens, les prix de ces médicaux onéreux devront enregistrer une «baisse progressive du PPM -3,50% à -25,50%», prévoit Chattou. Ces évolutions auront un effet contrasté sur le CA des industriels, des grossistes-répartiteurs et des officinaux. Dans le cas des premiers, la baisse est estimée à 10%. Les industriels se rattrapent sur la tranche 4 qui concerne les médicaments coûteux. Le CA des industriels a connu un bond de 49% dans cette catégorie. Chez les grossistes répartiteurs, une baisse de 11% a été constatée par l'expert de l'AMIP. Seuls les officinaux enregistrent une évolution positive de 8% durant les neuf mois de 2014. «Ces chiffres vont à l'encontre des scénarios catastrophes annoncés par les opposants à cette réforme qui avançaient une baisse du CA de 30% des pharmaciens», observe Abderrahim Derraji, fondateur de pharmacie.ma. Les officinaux s'attendent tout de même à une année 2014 «difficile». Le CA serait en baisse de 5,5% en moyenne, et ce malgré une marge brute d'exploitation en hausse. Fiscalement, les pharmaciens craignent d'être pénalisés. «Il faut s'attendre à une augmentation mécanique de l'IR; qui fait suite à une augmentation de cette marge brute», prévoit Chattou, l'économiste pharmacien. Cette tendance risque de favoriser les produits à forte marge avec un grand potentiel de rotation au profit des produits à faible marge, dont les ventes sont difficiles. «Incertitudes» Ces chiffres préliminaires devront être confortés ou relativisés dans les prochaines semaines. Les chiffres de l'IMS health 2014, entreprise américaine proposant des études et du conseil pour les industries du médicament et les acteurs de la santé, ne seront disponibles que fin janvier. En attendant, l'AMIP tire les leçons de la révision de modalités de fixation des prix. «Les impacts à évaluer sont ceux du passage du PPM au PPV et non pas ceux des baisses des prix des Médicaments, prévient Belaïche de l'AMIP. Car les impacts ne se limitent pas aux effets des baisses des prix, elles les dépassent largement». Les industriels recensent plusieurs effets observés avant juin 2014 parmi eux : le coup de frein sur les commandes directes et sur les investissements, la peur des pharmaciens quant au devenir de leurs stocks, les ruptures de stocks et les licenciements dans l'industrie. Pour l'AMIP, ce climat «d'incertitude» a eu un impact sur les chiffres d'affaires, sur les nouvelles marges, en plus d'un coût logistique et des frais liés aux reétiquetages. Vu les chiffres présentés par l'AMIP lors du congrès de Marrakech, ces conséquences surtout sur le CA sont à relativiser. Sur le moyen et le long terme, l'AMIP s'attend à des «rattrapages des baisses de prix par des augmentations des volumes puis l'atteinte d'un point d'équilibre suivi d'une augmentation des CA». Avec ce nouveau système de fixation des prix, industriels et pharmaciens se voient aussi obliger de repenser leur comptabilité. Le PPV en vigueur depuis juin s'applique aux médicaments destinés à la médecine humaine (princeps, générique), fabriqués localement ou importés et ayant une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Ce système complexe est basé sur un benchmark international. Le prix d'un médicament se compose de trois éléments, le Prix fabriquant hors taxe (PFHT), les marges de distribution des grossistes répartiteurs (11% du PPV) et des pharmaciens (57% pour les médicaments de moins de 166 DH et 47% pour les médicaments dont le prix varie entre 166 et 588 DH) et la TVA (7%). Dans les cas des tranches 3 et 4, les pharmaciens ont une marge forfaitaire respective de 300 et 400 DH. L'agenda de la «big pharma» Le colloque de Marrakech a été l'occasion pour l'AMIP de se pencher sur les principaux défis à relever par le secteur pharmaceutique au Maroc. Ils sont au nombre de deux. D'abord la nécessité de développer les médicaments génériques et les médicaments de biotechnologie et leurs biosimilaires. Ensuite, encourager l'export. «Une belle percés a été réalisée en Afrique subsaharienne», se rejoint l'AMIP. Ce regroupement lorgne désormais les marchés du Golfe et d'Europe. Côté distribution, ces professionnels aspirent à restaurer leur monopole pharmaceutique et la récupération de nouveaux produits comme les dispositifs médicaux dans le circuit de distribution.