«L'an dernier, je me suis blessé physiquement, mais également moralement et spirituellement». Celui qui, en plus de 20 ans de carrière, n'aura annulé que deux concerts -dont celui prévu en 2010 au Maroc- se confond en excuses lorsqu'il rencontre «enfin» les médias nationaux et étrangers venus le rencontrer lors du 17e Festival des musiques sacrées de Fès. Ces excuses se mêlent à l'émotion palpable sur le visage de Ben Harper, d'être enfin présent dans cette ville pour la première fois et qui est synonyme de la découverte de tout un continent. L'Afrique, cette terre de laquelle il est si proche de part la musique, et qu'il n'aura pourtant jamais eu l'occasion de visiter jusqu'à présent. Ces racines, c'est à travers la musique qu'il les a en partie découvertes. Mémorable «J'ai joué trois fois en Californie avec un groupe de Gnaoua, et j'ai chanté un morceau avec eux». Cette expérience ne laissera pas Ben Harper sans emprunte puisqu'aujourd'hui encore il en parle, une étincelle au fond des yeux. «J'aime le rythme marocain», avancera-t-il lorsqu'on l'interroge sur ses connaissances de la culture locale. La réponse ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd, puisque le directeur du festival, Faouzi Skali, proposera d'emblée à Ben Harper une collaboration prochaine pour une création avec des artistes marocains. «Inchallah», ajoute Skali. En attendant, l'artiste a l'esprit à la préparation de son concert. «Nous nous apprêtons à travailler dans quelques heures et cela demande beaucoup de temps», précisera-t-il. Il n'est pas encore sur scène que les vibrations de cette figure emblématique de la «spiritual music» gravitent déjà autour de lui et laissent présager un concert mémorable. On ne s'était pas trompé. Spectaculaire. C'est le terme qui résume le mieux ce que nous aura offert Ben Harper, en cette soirée du dimanche 12 juin à Bab Al Makina. Du jamais vu dans les précédentes prestations de l'artiste à travers le monde. Ce soir là, Ben Harper ne se contente pas de porter la ville dans son cœur, il l'embarque sur scène. En effet, après un concert d'une heure et demi au cours duquel le musicien multipliera les guitares tantôt slide -couchée sur ses genoux, les cordes vers le haut-, tantôt normale, le compositeur s'improvise également chef de chorale et appelle à la barre une ribambelle de spectateurs fiers de pouvoir chanter à ses côtés «Waiting on an Angel». Emu, mais par-dessus tout humain, Ben Harper a donné de lui, sans concessions, lors de ce concert qui imprègnera pour longtemps les pierres de la muraille de la médina. Et pour cause, car il ne s'est pas contenté de chanter, le Benjamin Chase Harper. À peine installé sur scène, il enchaîne près d'une dizaine de minutes de solo à la guitare slide. Il survolera par la suite ses différents albums, accompagné de ses guitares : «lt's a live time», «With my own two hands», «I will not be broken»... tout cela en acoustique. Au bout de quelques titres, l'artiste reprend son souffle en déclarant sa flamme à son public marocain venu nombreux. «C'est un réel plaisir d'être ici avec vous. Le reste de ma vie peut désormais commencer», s'exclame-t-il à la foule. Ce sera avant qu'il ne reprenne le tube composé avec les Blind Boys of Alamaba «Give it to the Lord», que la star chante... sans micro. D'un coup Ben Harper lâche tout, s'avance sur le bord de la scène et hurle les paroles de la chanson élevant sa voix, donnant ainsi à la foule toute sa force, toute sa passion pour la musique. Ce soir là, l'artiste, depuis toujours engagé, aura fait entendre son message à la lune qui l'éclairait. Il aura peut être eu une année de retard, mais ce qui est sûr, c'est qu'il est «venu, a vécu et vaincu», et fut conquis. Gourmand, voire carrément boulimique, le public n'a pas laissé le célèbre guitariste s'éclipser après son tour de chant. Hurlant au rappel, les milliers de spectateurs, debout face à la scène, ont eu raison du programme «officiel» et obtiennent une seconde tournée durant laquelle Ben Harper enflammera les planches à coup de «Burn one down», «Power of the Gospel» ou encore «Want to love me» qu'il chantera d'ailleurs en Djellaba. S'il a fini son concert en remerciant les spectateurs «d'avoir porté cette musique à la vie», ceux-là le remercieront à leur tour... d'exister ! «Après ma venue à Fès, rien ne sera plus jamais pareil»: Ben Harper, Guitariste, auteur, compositeur et chanteur américain Les Echos quotidien : Votre visite au Maroc est également votre première venue sur le continent. Qu'est-ce que cela vous inspire, d'autant que votre musique est essentiellement tirée du répertoire afro-américain ? Ben Harper : C'est une expérience très particulière qui me tient d'ailleurs énormément à cœur et je regrette de ne pas avoir pu venir l'année dernière. Toutefois, ce que je peux vous dire de ma venue à Fès, c'est que dès mon arrivée samedi après-midi, j'ai marché dans les ruelles de la médina (ému). Je crois avoir vu au moins une dizaine de places différentes en ce petit laps de temps. Je vous assure qu'une fois rentré chez moi, les choses seront totalement différentes. Ma conception de la vie s'en trouvera véritablement changée. Après ces deux jours passés à Fès, rien ne sera plus jamais pareil pour moi. Quel est votre lien avec l'Afrique et quel regard portez-vous sur ce que vit actuellement le continent ? Je me sens très attaché à l'Afrique. C'est un lien très fort et à la fois secret. Pour moi, il y a une sorte de mystère qui entoure ce continent parce qu'il m'est très difficile aux Etats-Unis d'en savoir plus sur la culture africaine, de trouver des liens concrets. La musique est ce lien pour moi et elle m'aide en cela. Ce qui se passe aujourd'hui dans la région me touche énormément, car le sang humain reste du sang humain. En tant qu'homme, artiste et père, je ne supporte pas de voir ça. Comment expliquez-vous le fait qu'album après album, la musique de Ben Harper soit toujours aussi universelle, bien que vous ayez traversé des champs musicaux assez différents, passant du blues, au funk ou encore le gospel ? Je pense que je suis quelqu'un qui a eu beaucoup de chance (sourire). Je le pense vraiment. Oh mon Dieu, vous vous rendez compte que je suis quand même né dans un petit village en Californie... de l'autre côté de la vallée. Je joue de la guitare à la manière du slide, ce qui est très différent de ce qu'on connaît d'habitude. Si ma musique a réussi à traverser les frontières, je pense avant tout que c'est parce qu'elle est sincère mais aussi parce qu'elle se transmet à travers la passion. Je n'ai pratiquement jamais été diffusé sur les radios d'ailleurs... Je crois que ma musique s'est transmise grâce aux hommes... et à Internet également. C'est quelque chose qui, à mon avis, s'est construit au fur et à mesure. Ce n'est pas venu tout seul, il a fallu traverser un long chemin pour y arriver, mais je suis heureux du résultat.