Vendredi 10 juin, Abdelatif Mennouni, président de la commission consultative de la révision de la Constitution, a rendu sa copie au roi Mohammed VI. Les dés sont donc jetés et l'heure est à la mobilisation pour l'ensemble de la classe politique. Les partis et les centrales syndicales devront bientôt avoir accès au texte du projet de la nouvelle Constitution afin de procéder aux dernières concertations. En attendant, les grandes lignes sont déjà connues. Evoquées devant les chefs des partis lors de leur rencontre avec Abdellatif Mennouni, celles-ci semblaient non seulement favoriser l'éclosion d'une nouvelle élite politique qui sera issue des urnes, mais aussi influencer sur les desseins des futures alliances qui vont conditionner la course au siège de la Primature. L'USFP a été parmi les premiers partis à réagir à cette nouvelle donne qui apparait comme étant la plus urgente dans les calculs des formations politiques, durant cet intervalle qui précède la présentation officielle de la nouvelle constitution. «Les chantiers que la nouvelle Constitution ne peuvent répondre à la demande du changement espéré que s'ils sont accompagnés de profondes réformes politiques, constituant une plateforme saine permettant l'application des dispositions de la nouvelle Constitution et garantissant les conditions d'une véritable transition démocratique rétablissant la confiance des citoyens en leurs futures institutions», indique un communiqué signé par le bureau politique de l'USFP. Les sages du parti de la rose ne se sont donc pas trompés d'enjeu pour cette nouvelle étape. L'USFP, qui a déjà à son actif plusieurs appels au boycott des précédents référendums constitutionnels, ne veut pas réitérer la même attitude, comme l'ensemble des partis qui n'ont donné, jusqu'à présent aucun signe d'un désaccord profond avec l'esprit de la mouture préparée par la commission de Mennouni. L'autre parti au pouvoir, l'Istiqlal, s'est même permis de dévoiler certaines nouvelles dispositions qui vont dans le sens d'une refonte radicale des règles de la compétition politique. Le parti du Premier ministre actuel, pour ne pas dire sortant, a ainsi indiqué que «le futur Premier ministre qui sera choisi au sein de la formation qui aura remporté les élections législatives nommera les ministres et, éventuellement, les démettre de leurs fonctions. Le chef du gouvernement pourra également demander la dissolution du parlement; de même, les motions de censure ne seront plus admises comme moyen de retirer la confiance au gouvernement». Nouvelle étape L'imbrication de l'élargissement des attributions de la primature et les scenarii des futures alliances qui seront inévitables pour obtenir la majorité absolue au sein du Parlement font que les partis gardent un œil vigilant sur leurs stratégies futures d'alliances, beaucoup plus que sur la mobilisation de leurs bases électorales pour faire aboutir le «oui» lors du référendum. Des alliances qui ne semblent plus conditionnées par les cadres de référence des partis, mais qui obéissant à des schéma plus complexes. On imagine mal, en effet, que l'actuelle coalition sera reconduite lors des prochaines élections. Mais cela ne signifie pas non plus que certaines de ses composantes seront probablement décisives dans la traduction du nouveau pacte politique que la constitution de 2011 veut imposer. C'est l'avis du PPS, dont l'ancien secrétaire général Moulay Ismaïl Alaoui, appelle à un consensus entre «les partenaires politiques les plus influents dans le pays, dans le cadre d'un nouveau contrat politique». L'idée qu'il a exprimée devant le 8e congrès rejoint celle contenue dans le communiqué de l'USFP et qui insiste sur la phase de la transition démocratique «en tant qu'étape avancée dans le processus démocratique en vue d'entamer une nouvelle étape de l'exercice de la pratique démocratique saine et normalisée, ce qui implique de conforter l'option démocratique moderniste avec des objectifs nationaux, politiques et sociaux, clairs et définis d'une manière consensuelle», explique le leader désormais historique du PPS. Plusieurs détails, non encore confirmés, montrent que le législateur a voulu resserrer l'étau sur plusieurs pratiques qui ne permettaient pas d'avoir une vue claire des alliances, comme le nomadisme. Le nouveau mode de scrutin qui sera fixé par le nouveau texte ne favorisera pas certainement l'éclosion des petites formations politiques et par conséquent la lutte contre l'éparpillement des sièges devrait donner une nouvelle tournure au jeu des alliances. Plusieurs hypothèses commencent déjà à circuler à propos des futurs leaders qui pourraient avoir la lourde tache de se charger de la Primature et faire l'unanimité au sein d'une majorité forte et homogène. Les partis préfèrent pour le moment ne pas se projeter dans les scenarii et pensent que l'assimilation des dispositions de la nouvelle constitution est la clé de la réussite de la transition. Salaheddine Mezouar : Le favori Nombre d'observateurs voient en lui le favori pour la course à la Primature. Une position que le leader du Rassemblement national des indépendants (RNI) assume non sans une certaine jubilation. D'aucuns disent que l'actuel ministre de l'Economie et des finances attend depuis longtemps son heure. L'accélération récente de l'agenda politique est venue lui dérouler le tapis rouge. En effet, le congrès du RNI a été ajourné et Salaheddine Mezouar ne risque plus de se faire doubler par les autres ténors de son parti tels que Aziz Akhannouch ou l'ancien leader Mustapha Mansouri. Plus encore, le RNI et son secrétaire général sont désormais courtisés par nombres de partis qui voient en eux des alliés opportuns dans le contexte actuel. Il y a eu d'abord le Parti authenticité et modernité (PAM) qui voyait dans le parti fondé par Ahmed Osman l'allié idéal pour barrer la route au Parti justice et développement (PJD). Ce dernier a aussi récemment tenté une approche, même si les signaux semblent contradictoires. Toujours est-il que voir Mezouar porté à la Primature à la faveur d'une alliance avec l'un des grands partis est plus que probable en attendant le verdict des urnes. Adil Douiri : L'Istiqlalien nouveau L'ancien ministre du Tourisme et l'un des maîtres à penser de la Vision 2010 pour ce secteur vital pour le royaume peut aussi briguer le poste de Premier ministre. Il faudrait pour cela que son parti, l'Istiqlal (PI), arrive encore une fois en tête des suffrages, ou au moins forge une nouvelle alliance d'importance, ce qui ne sera pas forcément aisé vu le bilan peu reluisant que l'actuel gouvernement aura à défendre lors des législatives anticipées. Toutefois, s'il y a quelqu'un qui peut justement se désolidariser de ce bilan c'est bien le cofondateur de la banque d'affaires Casablanca Finance Group. En effet, il n'a pas fait partie de l'équipe exécutive sortante, et a préféré en 2007 vaquer à la création d'un fonds d'investissement transversal -Mutandis-, sans doute pour faire signifier qu'il aspirait déjà à la Primature. Adil Douiri a même réussi à faire de l'ombre aux ministres issus de son parti à travers l'alliance des jeunes économistes istiqlaliens en mettant en avant des propositions concrètes jugées pertinentes par les observateurs. Il incarne donc la nouvelle génération du PI et pourra faire jouer son ascendance, il est le fils de Mhamed Douiri qui a été plusieurs fois ministre et le petit-fils d'Ahmed Balafrej lui-même ancien Premier ministre, vu que c'est un élément important au PI. Cependant, il devra se méfier de Karim Ghellab, autre candidat potentiel du PI à la Primature, même si ce dernier serait vraisemblablement appelé à garder son poste étant donné l'importance des chantiers qu'il doit mener à bout tels que la logistique. Abdelilah Benkirane : L'outsider Tribun populiste et trublion s'il en faut, le secrétaire général du Parti justice et développement a récemment déclaré, lors d'un débat télévisé, qu'il était prêt à assumer la responsabilité de la Primature si son parti arrivait en tête lors des prochaines législatives. Depuis, il n'a cessé d'envoyer des signaux, rassurant notamment au sujet de son attachement à la monarchie. Lors d'un récent voyage en Turquie, il a cherché conseil auprès du Premier ministre islamiste Recep Tayyip Erdogan sur le modèle à suivre pour assumer l'étiquette islamiste tout en se prévalant du modernisme. Il a ensuite été en Tunisie où il a cette fois porté les habits de donneur de leçons à destination de la formation islamiste de Rached Ghannouchi. En tout cas, Abdelilah Benkirane ne cache pas sa volonté de faire sortir son parti de l'opposition et de l'immerger dans l'exercice effectif du pouvoir. Toutefois, pour y arriver, il faudra qu'il déjoue la diabolisation qu'il subit de ses adversaires politiques et notamment le PAM. Il faudra aussi qu'il réussisse à nouer une alliance opportune vu que le mythe d'un raz-de-marée du PJD a fait long feu et que depuis 2007 les membres du parti ne se font plus beaucoup d'illusion sur ce sujet. Alors quelle coalition pour décrocher la Primature avec l'Istiqlal proche dans le sens conservateur ou encore le RNI ? Cependant, si c'est cette dernière option qui est retenue, Benkirane devra sans doute concéder la Primature à Mezouar... Ahmed Réda Chami : L'hyperactif Infatigable bosseur, le ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies a su tirer son épingle du jeu lors de ce mandat. Emergence, Rawaj, Maroc Numeric, il a lancé des plans sectoriels et réussi à donner un coup de pied dans la fourmilière industrielle. Il peut se targuer de mener des chantiers transversaux, ce qui a l'avantage de lui donner une visibilité globale sur l'entreprise Maroc. Ahmed Réda Chami incarne surtout la nouvelle génération de responsables marocains, que d'aucuns ont baptisée «génération M6», qui rompt avec les dinosaures des partis ayant contribué au désamour des jeunes envers la politique. Toutefois, il devra justement batailler dur pour déboulonner les dinosaures de son propre parti, l'Union socialiste des forces populaires (USFP). En effet, Abdelouahed Radi ou encore Mohamed Elyazghi ne comptent pas se laisser déborder par la jeune garde du parti de la rose. Le premier, secrétaire général du parti, entend capitaliser sur son poste de président de la Chambre des représentants pour rester dans la course, même si son aura a perdu de son lustre et qu'il est conspué par les jeunes, y compris la jeunesse ittihadie. D'ailleurs, cela a poussé certains d'entre eux à sortir du parti pour chercher une nouvelle gauche comme le défendent Ali Bouabid et Omar Balafrej. In fine, les chances de Chami d'accéder à la Primature lors de la prochaine échéance restent minces et passent à la fois par un renouvellement express des élites de l'USFP et encore une fois par une alliance opportune. La surprise Nonobstant toutes les supputations, celui qui sera porté à la Primature devra la jouer fine pour à la fois faire valoir sa légitimité dans son parti et auprès de l'opinion publique et fédérer au-delà de son parti. Le jeu des alliances est une affaire délicate, surtout que celles-ci ne respecteront pas forcément la logique idéologique. Les lignes de démarcation bougent sans cesse en cette période d'effervescence et comme le disait François Mitterrand : «En politique, le pire des professionnels vaudra toujours mieux que le meilleur des amateurs». Aussi, les jeux ne seront-ils faits qu'au dernier moment et la porte est ouverte à toutes les candidatures, du moment que le candidat saura faire une relative unanimité autour de lui. Ainsi, de nouvelles têtes peuvent émerger et peut-être même des ralliements de dernière minute aux partis comme cela a été le cas pour certains ministres du gouvernement actuel. Le PAM pourrait aussi revenir sur le devant de la scène même si pour l'instant la retrait de son cofondateur, Fouad Ali El Himma, semble lui être préjudiciable à moins d'un retour surprise. Salah Elouadie serait alors un candidat potentiel au même titre que Mohamed Cheikh Biadillah. Toutefois, le premier est handicapé par sa personnalité tranchée et peu consensuelle et le second souffre quant à lui de son caractère effacé. Outre le PAM, d'autres partis plus petits pourraient avoir une carte à jouer lors des prochaines législatives anticipées. Ils devront tisser de larges alliances pour faire émerger l'un des leurs. Nabil Benabdellah, du PPS, Mohand Laenser, du MP, ou encore Mohamed Abyad, de l'UC, peuvent être des candidats probables, mais ils semblent plus dévolus à être candidats à des ministères plutôt qu'à la Primature. Enfin, la surprise qui sera la mieux accueillie par l'opinion viendra du parti qui saura faire émerger une nouvelle tête pour apporter du sang neuf au poste de chef de l'exécutif.