La jurisprudence marocaine s'apprête à franchir un nouveau cap. Le caractère éparpillé des jugements et l'absence d'un fil conducteur qui unifie les motivations des jugements rendus par les tribunaux ont amené l'association «Droit et justice» à lancer un projet jusque-là ajourné, qui consiste à instaurer un nouvel ordonnancement des verdicts pour une plus grande visibilité pour les justiciables. En attendant de dévoiler les détails de ce projet inédit, les initiateurs du projet assurent qu'au «Maroc, la performance des tribunaux, les services judiciaires et la qualité des jugements restent un défi qu'il faut relever avec un courage politique, ainsi qu'une rigueur professionnelle et déontologique». «Dans le contexte de la nouvelle Constitution de 2011 et de la Charte nationale de la réforme du système judiciaire et face aux revendications des justiciables, magistrats, avocats et professionnels, ce projet a pour vocation de contribuer à une justice indépendante, efficace, intègre et de qualité», ajoutent plusieurs membres de l'association. La nouvelle initiative a été conçue avec le soutien de l'ambassade des Pays-Bas au Maroc et s'articule en deux volets. Le premier volet porte sur l'observation des performances des tribunaux. Cette observation, basée sur des questionnaires et des indicateurs sera faite par des avocats afin de mesurer la qualité de l'accueil et des services des tribunaux. «Le but est de tester les propositions de la Charte nationale et de proposer aussi des recommandations afin d'améliorer la performance du système et réduire la corruption et la marginalisation», indique le document d'orientation préparé par l'association. Le deuxième volet du projet a, quant à lui, pour objectif d'encourager les magistrats à produire des jugements et décisions de qualité : «Nous publierons donc certains jugements discutables avec commentaires après étude d'experts et d'avocats expérimentés. Nous procéderons aussi à la publication de décisions de qualité «exemplaire» sachant qu'elles devraient être la règle», insistent les initiateurs de cette initiative. Les objectifs du département de tutelle Le nouveau projet semble s'inscrire en continuité avec les mesures tracées par le ministère de la Justice dans le plan stratégique 2013-2017, qui veut passer à la vitesse supérieure pour cibler essentiellement le sommet de la hiérarchie des tribunaux : La Cour de cassation. La Haute cour a fixé 4 objectifs majeurs durant les 3 prochaines années: la promotion de l'efficience judiciaire, l'amélioration de l'efficacité de l'administration judiciaire de la cour, la qualification des ressources humaines et enfin l'ouverture sur la société civile et les institutions et organismes concernés. Plusieurs nouveaux mécanismes seront introduits progressivement pour rendre palpable le changement souhaité. C'est le cas des projets relatifs à la dématérialisation des procédures et de celui de «la cour numérique», qui s'occupera du traitement et de la gestion des litiges dans le but d'accélérer le processus de leur jugement. La divergence de la jurisprudence de la Haute cour chargée de trancher sur la forme et non sur le fond des litiges sera également en ligne de mire avec des efforts tendant à unifier l'interprétation judiciaire et atteindre la qualité des jugements. La mise en œuvre du nouveau projet profitera également de la baisse des dossiers en souffrance pour mieux se focaliser sur le fond des jugements au lieu de se contenter de se prononcer sur les vices de forme ou de non-respect des procédures invoquées par les requérants. Le respect des droits de la défense reste pour sa part l'une des priorités, accompagnée des exigences requises des magistrats en matière de délais de remise des rapports bi-annuels qui leur sont demandés et qui permettent d'agir en amont pour les litiges complexes qui concernent souvent la chambre commerciale, ou celle des affaires du statut personnel. Plusieurs questions restent également posées devant le département de la Justice, lesquelles réclament des solutions urgentes. C'est le cas du désengorgement des juridictions commerciales et du fait de pouvoir offrir une visibilité aux opérateurs durant la phase contentieuse. L'allègement des procédures avec des formules adaptables à la fois pour les PME et les grandes entreprises restent pour l'instant sans impact direct sur les divers indicateurs reflétant la confiance des opérateurs dans le recouvrement de leurs droits par voie judiciaire. Il est à noter aussi que plusieurs catégories de décisions seront ciblées et concernent surtout les affaires liées à l'expropriation, aux licenciements abusifs et au contentieux fiscal, qui ont besoin de plus de règles uniformisées.