« Depuis l'adoption du Code de la famille en 2004, la réconciliation conjugale était théoriquement encouragée, mais reste peu effective en l'absence d'un cadre formalisé. Devenue obsolète, l'impact de son « absence » est de plus en plus sensible », nous explique Bouchra Abdou Directrice de l'Association Tahadi pour l'Egalité et la Citoyenneté (ATEC), en marge du colloque national organisé par cette ONG jeudi 27 février 2025 à Casablanca sur le thème « La médiation familiale... Vers un modèle au service de la stabilité de la famille marocaine ». Un vide juridique D'après Bouchra Abdou, ce colloque s'inscrit dans la continuité des discussions sur la révision du Code de la famille. « En particulier la cinquième recommandation de la commission chargée de cette réforme, qui préconise la création d'une instance non judiciaire de conciliation et de médiation, intervenant en premier lieu, sauf en cas de divorce par consentement mutuel, et ayant pour mission essentielle la réconciliation des époux et trouver un terrain d'entente sur les conséquences du divorce », détaille la directrice de l'ATEC. « Si la loi prévoit bien des tentatives de conciliation supervisées par le juge, celles-ci restent insuffisantes et souvent inefficaces », note de son côté maître Zahia Amoumou, avocate au barreau de Casablanca et activiste féministe. Plaidant pour la mise en place d'une structure indépendante, l'avocate estime que « le juge ne peut jouer le rôle de médiateur, car son champ d'action est limité par la loi. Aussi, le type de médiation actuel oublie souvent ou passe au second plan l'intérêt et le bien être de la femme », argumente l'activiste. La création d'un mécanisme de médiation adapté et efficace a été vivement recommandée La famille en premier Rassemblant des experts institutionnels et des activistes de la société civile, « le colloque tente en effet d'approfondir le débat tout en formulant des recommandations pour l'élaboration d'un mécanisme de médiation familiale efficace et adapté afin de garantir la pérennité de la famille marocaine », soutient Bouchra Abdou. Cette dernière rappelle par ailleurs que l'objectif premier reste de prévenir la rupture définitive et de réduire les conflits post-divorce, notamment pour protéger les enfants. « En 2016, Parmi les 114. 352 affaires de divorce et de séparation traitées par les tribunaux marocains, 20.278 ont fait l'objet d'une tentative de médiation » note Khalid Toumi, Chef du service des associations des droits de l'homme à la délégation ministérielle chargée des droits de l'homme. Un chiffre éloquent qui démontre la nécessité du renforcement du dispositif de réconciliation en faisant valoir en premier l'intérêt suprême de l'enfant comme le soutient Toumi qui plaide pour « une institutionnalisation de la médiation afin d'offrir aux couples un espace neutre et constructif ». De son côté, Wafaa Louda, représentante du Ministère de la Justice et chef du service des affaires familiales estime que « Le thème de la médiation familiale s'inscrit dans la dynamique sociétale accompagnant le chantier de révision du Code de la famille. « Les mécanismes de sa mise en œuvre seront définis dans le texte amendé qui sera annoncé, afin de s'aligner sur les propositions dévoilées par la commission chargée de la révision du Code. L'objectif est d'activer ces mécanismes de manière à servir les intérêts de toutes les composantes de la famille marocaine dans son ensemble », précise Louda. Même sens de cloche du côté de Bouchra Abdou qui insiste sur l'importance d'élaborer un mécanisme qui respecte l'intérêt de toutes les composantes de la famille : l'époux, l'épouse et l'enfant. « C'est crucial pour nous en tant qu'activistes des droits de l'Homme », insiste la directrice de l'ATEC. La violence, ligne rouge Ceci dit, tous les intervenants du colloque s'accordent sur le fait que la médiation ne doit pas être imposée dans les cas de violences conjugales. Sondos Ben Hallam, du Conseil National des Droits de l'Homme, prévient : « Il faut éviter que la médiation ne devienne un outil de pression sur les femmes victimes de violences en perpétrant les inégalités. Elle doit rester une option pour les couples en conflit, mais pas un passage obligé ». Concernant les médiateurs qui se chargeront de cette mission délicate, Bouchra Abdou insiste sur leur qualification et sur la pluralité des profils pour une approche pluridisciplinaire. « Les médiateurs devraient bénéficier d'une formation conforme aux normes internationales, leur permettant de comprendre efficacement les lois et d'interagir de manière appropriée », note l'activiste. Pour Sondos Ben Hallam, il faut s'inspirer de certaines expériences internationales réussies en citant le modèle français qui impose la médiation avant le divorce et l'organise dans des centres situés au sein des institutions judiciaires. Recommandations « Le modèle canadien adopte une approche axée sur le soutien psychologique et social des familles, où la médiation ne se limite pas à l'aspect juridique mais prend également en compte la communication émotionnelle et sociale », détaille Ben Hallam. Cette dernière fait par ailleurs une mention spéciale de l'expérience suédoise pionnière en matière de médiation familiale, en la rendant gratuite et obligatoire avant toute procédure légale. « Un élément clé sur lequel nous insistons : la gratuité de la médiation pour garantir un accès équitable, ne pas éprouver les couples en conflits et couper le chemin aux « opportunistes » qui risquent d'y voir une aubaine », conclut la directrice de l'ATEC. Une recommandation parmi 24 autres formulées par les participants au bout de cette journée de travail et dont l'essentiel reste de rendre la médiation obligatoire avant de saisir la justice afin de privilégier les solutions amiables. Etendre la médiation à tous les types de conflits familiaux, y compris le divorce et la garde des enfants, créer des centres spécialisés réunissant des experts juridiques et sociaux, formation spécialisée des médiateurs selon des normes internationales, intégration de la médiation dans les politiques publiques, détacher totalement l'instance de médiation familiale du système judiciaire afin d'éviter tout chevauchement, la thérapie cognitivo-comportementale, encourager la formation universitaire en médiation et promouvoir la recherche et la spécialisation académique dans ce domaine sont autant de pistes indiquées par le colloque pour résoudre les conflits familiaux et réduire les taux de divorce qui explosent.