Le 26 avril dernier, le gouvernement cédait devant la rue et achetait la paix sociale en signant un accord, qualifié de généreux par les observateurs, avec les syndicats. Revalorisations salariales pour le secteur public et augmentation du SMIG et du SMAG pour le secteur privé sont les principaux cadeaux offerts aux centrales syndicales lors de ce dialogue social version 2011. Au-delà des supputations sur cette générosité et ses motivations, qui ne sauront échapper à la conjoncture marquée par l'exacerbation des revendications sociales dans le Maroc de l'après-20 février, la question qui se pose est: qui en payera la facture ? Nul doute que ce ne sera pas le gouvernement actuel, qui vit d'ailleurs en ce moment, ses derniers jours. C'est donc au prochain (ou plutôt les prochains) gouvernement(s) d'assumer le prix de la paix sociale. La prochaine équipe exécutive devra trouver des solutions pour équilibrer les finances publiques qui n'ont pas tardé à se détériorer sous l'effet conjugué de la facture sociale et de la rallonge destinée à la Caisse de compensation. Elle devra aussi faire face à l'impact de ces mesures sociales sur les agrégats macroéconomiques du royaume. Une simulation édifiante Aujourd'hui, c'est dans ce sens que le Haut commissariat au plan (HCP) publie une simulation de l'impact de l'augmentation des salaires du personnel de l'administration publique et du SMIG et du SMAG dans le secteur privé. Une simulation que les équipes d'Ahmed Lahlimi ont voulu mener à l'aune de la consommation, de l'investissement, des échanges extérieurs, de l'emploi et surtout du solde budgétaire et de la croissance du produit intérieur brut. Il en ressort un impact notable et différencié selon que l'on prenne en compte les augmentations salariales qui touchent le public ou celles qui concernent le privé. Ainsi, «l'augmentation des salaires du personnel des administrations publiques améliorerait le revenu des ménages et relancerait l'activité économique par son impact sur la demande. Cependant, elle induirait une détérioration des équilibres macroéconomiques interne et externe», explique-t-on du côté du HCP, avant d'étayer : «Sur le plan des équilibres interne et externe, la hausse de la demande domestique aurait un effet multiplicateur en faveur des importations, accentuant le déficit commercial. Elle assurerait par ailleurs des recettes fiscales supplémentaires sans toutefois compenser l'impact sur le déficit budgétaire dû à la hausse des salaires des fonctionnaires». En clair, si cette hausse soutiendra la consommation, elle aura un impact néfaste sur les soldes budgétaire et commercial du royaume. Pour ce qui est des hausses du SMIG et du SMAG dans le privé, logiquement leur impact touchera directement les entreprises. «L'augmentation des salaires dans le secteur privé induirait une hausse des coûts de production, réduisant les capacités d'offre des entreprises. La hausse du SMIG et du SMAG provoquerait ainsi une hausse des prix à la production et une réduction du taux de marge bénéficiaire», note le rapport, avant d'ajouter : «L'investissement s'inscrirait dans une baisse en accentuation, allant de 0,03% en 2011 à 3,47% en 2015». Pire, «le PIB connaîtrait une diminution et le manque à gagner en termes de croissance économique serait de l'ordre de 0,13% en 2012 pour atteindre 1,26% en 2015». En agrégeant les deux augmentations, le PIB commencerait à en être grevé à partir de 2013 pour coûter à l'économie nationale près d'un point de croissance en 2015. Le désaveu masqué du HCP In fine, en affichant, sous forme de simulation, l'impact négatif de ces mesures sociales, le HCP signe un désaveu à peine masqué à ces mesures et met en lumière le caractère non réfléchi du cadeau gouvernemental. Plus encore, puisqu'une telle simulation est possible, on se demande comment le gouvernement n'a pas pu penser à la commander aux équipes de Lahlimi avant de signer cet accord avec les syndicats. Le ministère de l'Emploi avait certes lancé une étude sur l'augmentation du SMIG et une autre sur l'impact du SMIG, mais d'évidence elles n'ont pas été complètement prises en compte. Et pour cause, la hâte qui a marqué les négociations lors du dialogue social et surtout dans la fragilité gouvernementale nourrie par la vindicte populaire a primé sur la rigueur. Désormais, les dés sont jetés et nul potentiel chef de l'exécutif ne peut revenir sur ce que les syndicats considèrent désormais comme l'un des plus grands acquis sociaux de ces dernières années, sous peine de subir d'emblée une levée de boucliers qui ne manquerait pas de le fragiliser d'emblée. Aussi, il reste à trouver les moyens de désamorcer ce qui s'annonce comme un boulet que les gouvernements marocains traîneront pendant les prochaines années. Plus encore, de telles mesures qui se veulent sociales devraient, encore une fois selon la simulation du HCP, coûter près de 100.000 emplois en 2015. Pour un gouvernement qui s'était fait un point d'honneur à en créer 250.000 par an, en perdre autant et ce, bien après son mandat, est une prouesse que le HCP n'a pas manqué de saluer à sa manière... Emploi-Chômage La grande hémorragie Le nerf de la guerre... Et comment! Puisque le HCP nous demande de nous préparer au pire, dès 2013 ! 15.940 emplois devraient ainsi disparaître sur cette même année, parallèlement à la baisse des investissements pour la création de nouveaux postes, aussi bien dans les secteurs public que privé. Pour le détail, une hausse simultanée des deux catégories de salaires entraînerait ainsi les mêmes pertes en 2014, avec 53.830 postes qui seraient supprimés, ainsi qu'en 2015, avec 96.890 postes qui passeraient à la trappe. La conséquence de tout cela est bien connue, la population au chômage devrait en effet gonfler, sous l'effet de la corrélation. À partir de 2013, près de 10.889 nouveaux chômeurs devraient apparaître sur le marché du travail. Ce nombre devrait tripler dès l'année suivante, pour atteindre exactement 36.754 nouveaux demandeurs d'emplois. Pis ! En 2015, c'est trois fois plus de nouveaux chômeurs qui devraient arriver sur le marché du travail, qu'il en y en aurait en 2014 : 66.140 ! La situation serait beaucoup plus ressentie sous le scénario d'une hausse des SMIG/SMAG, seulement dans le privé. En effet, les pertes d'emplois devraient commencer dès cette année selon les simulations du HCP, avec 1.500 postes supprimés. Ce chiffre devrait littéralement exploser, et l'hémorragie devrait s'aggraver en 2012. 12. 070 emplois seraient perdus, pour dépasser la barre des 100.000 sur les deux années qui suivent. Cependant, avec le scénario d'une hausse uniquement appliquée sur les salaires de la fonction publique, le HCP prévoit des dégâts beaucoup moins importants, voire nuls. Cela devrait au contraire favoriser une augmentation progressive des créations de nouveaux emplois, allant de 12.950 en 2011, à un peu plus de 20.000 sur les quatre prochaines années. Consommation La ruée vers les magasins Une augmentation cumulée des salaires dans la fonction publique et du SMIG/SMAG dans le privé, aurait un effet bonificateur sur la consommation, selon le HCP. Parallèlement à la hausse des revenus, le Marocain devrait ainsi consommer davantage, légèrement plus qu'il ne le fait déjà. Cet indicateur devrait ainsi croître de 1,01 à 1,83 % en 2012. Une année plus tard, ce sera la barre des 2% qui devrait être dépassée, pour une croissance qui se retrouverait en 2014 à un rythme annuel de 1,9 et 1,8 en 2015. Pris séparément, la hausse des salaires des fonctionnaires induirait de fait une amélioration - en dents de scie - allant de 0,79% sur l'année en cours, à 1,10% à l'horizon 2015. Quant au SMIG/SMAG, son amélioration devrait aussi avoir le même impact évolutif sur la consommation, estimé à 0,23% en 2011, 0,85% en 2013 et 2014, pour ralentir à 0,78% en 2015. Investissements La dégringolade effrénée Sur ce terrain, le cumul des augmentations de salaires dans le public et du SMIG/SMAG dans le privé, devrait creuser un gouffre de plus en plus profond au fil des cinq prochaines années. L'investissement devrait en effet, sur les deux premières années d'augmentation des salaires, connaître un sensible ralentissement de son rythme de croissance, allant de 0,27% à 0,10%, respectivement en 2011 et 2012. À partir de là, l'investissement plonge dans le rouge, avec une croissance qui s'inscrit irréversiblement dans le négatif. Il devrait ainsi passer de -0,88% en 2013 à -3% en 2015. Par ailleurs, prise à part, la hausse des salaires des fonctionnaires ne devrait quasiment pas peser sur l'investissement, avec une stagnation de la croissance sur les cinq prochaines années. Par contre, sous le joug de la hausse des SMIG/SMAG, l'investissement devrait progressivement reculer. Il connaîtrait en effet une baisse de 0,03% en 2011, avant de s'aggraver à -1,41% en 2013 et -3,47 en 2015. Import-export La balance penche... dangereusement Le scénario présenté ici serait très loin d'être au goût d'Abdellatif Maâzouz, le ministre du Commerce extérieur. La hausse cumulée et simultanée des salaires dans le public et le SMIG/SMAG dans le privé devrait favoriser les importations et ralentir les exportations. Pour le premier indicateur, les effets se traduiraient concrètement par une croissance positive annuelle de plus en plus importante, allant de 0,8% en 2011 à 1,28% en 2015, en touchant le plus haut niveau à 1,6% en 2013. Sur le segment des exportations, les estimations du HCP indiquent une stagnation sur les quatre prochaines années, avant le petit plongeon de -1,10% en 2015. Au total, tout ce qui précède devrait mener à terme à une balance commerciale au déficit relativement grave en fonction des années, allant de -0,46% en 2011 à -0,85% en 2013 et -0,64% en 2015. Pris séparément, les scénarios supposés par le HCP suite à l'impact de la hausse des salaires de la fonction publique, et du SMIG/SMAG, montreraient la même aggravation du déficit commercial (-0,59% en 2015, résultant de la hausse des salaires dans la fonction publique). Revenu des ménages On gagnera plus... ! Les revenus sont logiquement les premiers impactés par une hausse des salaires. De ce fait, une hausse simultanée de ces salaires dans la fonction publique et du SMIG/SMAG dans le privé devrait booster substantiellement les revenus des ménages. Le rythme de croissance de ce dernier indicateur macroéconomique devrait ainsi être de l'ordre de 1,6% en 2011, avant de grimper rapidement à 3,6% dès 2012. Une fulgurante amélioration. Et c'est vraiment le cas de le dire lorsque l'on sait que le HCP prévoit le maintien de cette amélioration, avec des variations positives de plus en plus importantes à l'horizon 2015. Les statistiques parlent d'elles-mêmes et vont de 4,7% de progression de revenus des ménages en 2013 à 6% en 2015 ! Par ailleurs, sur la base d'une analyse séparée des impacts des deux types de hausse de salaires, les revenus des ménages devraient connaître les plus fortes hausses, en supposant le scénario d'une seule augmentation du SMIG/SMAG. Les rythmes de croissance devraient ainsi varier de 1,3% en 2012, 3,9% en 2014 et 4,4% en 2015. Par contre, dans le scénario d'une hausse des salaires, uniquement dans la fonction publique, il apparaît dans les estimations du HCP que les revenus des ménages devraient connaître une progression beaucoup plus lente, allant de 1,4% en 2012 à 1,5% en 2015. Prix Pour dépenser plus C'est une courbe ascendante, qui devrait évoluer dans le même sens que celle des revenus des ménages. L'amélioration simultanée des deux catégories de hausse de salaires dans le public et du SMIG/SMAG dans le privé devrait en effet porter l'inflation à un rythme progressif jusqu'en 2015. En chiffres, le coût de la vie devrait être plus élevé à partir de 2012, avec une croissance estimée à 1,6% par le HCP. Une croissance qui se maintiendrait en 2013 à 2,6%, avant de frôler en 2015 la barre des 4% de rythme annuel. Répartie en catégories de hausse, cette hausse des prix serait majoritairement tributaire de celle du SMIG/SMAG dans le secteur privé. En effet, les producteurs devront rattraper le manque à gagner provoqué par la hausse des charges salariales, en jouant sur l'augmentation des prix appliqués. En détail, la vie serait de plus en plus chère sous l'impact de cette hausse de revenus dans le privé, avec des variations de croissance allant de 1,3% en 2012 à 3,5% en 2015. Entre temps, l'inflation aura connu une hausse de 2,2% en 2013 et 2,9% en 2014. Par contre, sous l'effet unique de la hausse des salaires des fonctionnaires du public, les prix devraient quasiment stagner sur les cinq prochaines années