130! C'est le nombre de signatures nécessaires pour l'obtention d'un permis de construire au Maroc. Ce nombre faramineux illustre parfaitement le degré de la lenteur administrative que vivent les Marocains, notamment dans l'immobilier et la construction. Une lenteur qui est constatée et vécue à tous les niveaux, celui des promoteurs en phase préalable à la construction et celui des acquéreurs. «Tout le monde se plaint, à juste titre, des lenteurs administratives extrêmes. C'est vraiment la croix et la bannière pour obtenir les autorisations requises», confirme avec amertume Omar Farkhani, président du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA). Néanmoins, il faut le dire, les conséquences de ce grave dysfonctionnement de l'administration dépassent le simple désagrément pour les concernés, en ayant des impacts significatifs au niveau macroéconomique. En effet, le rythme de réalisation des programmes immobiliers dépend en partie de la rapidité d'obtention des autorisations y afférentes, qui ne sont que très rarement livrées dans des délais «normaux», lestées par la redondance et le laisser-aller dans les procédures. «On ne commence à débloquer les financements que lorsque le dossier est complet, et dispose de toutes les autorisations, ce qui peut prendre du temps», nous explique Ahmed Rahhou, PDG du CIH. Course d'obstacles Or de ce rythme d'achèvement des chantiers dépendent les revenus des promoteurs, qui sont à la base des remboursements des financements qu'ils décrochent auprès des banques. Ces mêmes banques qui, dans le cadre de la gestion de leurs risques, allouent une enveloppe déterminée à ce type de projets. De ce fait, les financements des chantiers tournent dans un ensemble à somme nulle, le déblocage des nouveaux crédits dépendant des remboursements des précédents afin de maintenir l'encours au niveau adéquat. Résultat : l'économie ressent un resserrement du crédit bancaire, notamment en cette période de ralentissement et d'assèchement relatif des liquidités. «Tout le monde juge aujourd'hui que c'est excessif, tout en n'étant pas efficace, puisque les vrais contrôles ne sont pas effectués aux bons endroits, aux bons moments», poursuit notre expert bancaire, fin connaisseur des mécanismes qui régissent l'immobilier et la construction. Il faut dire que ce ne sont pas les cas de blocage qui manquent. Parfois, il y a des retards en cours de chantier, notamment dus à l'attente des autorisations pour des modifications sur plan. Il y a également le cas des autorisations finales, à savoir les permis d'habiter, et les éclatements des titres fonciers ainsi que leur assainissement. Le processus est complexe, puisque quelquefois, les promoteurs commencent à construire sur des terrains non encore assainis, généralement achetés à Al Omrane ou aux domaines de l'Etat. À cela s'ajoute la problématique des blocages en commissions d'octroi des autorisations, composées des représentants des agences et des communes urbaines. En clair, dans les commissions siègent un certain nombre de services, et si l'un d'entre eux est absent, la réunion est reportée. «C'est une aberration !», déplore Rahhou. «Si un membre ne se présente pas, il ne devrait plus avoir droit au chapitre ! Il faut instaurer des règles claires dans la gestion de ces commissions pour que l'avancement des travaux ne reste pas dépendant de la bonne volonté de chacun», insiste Rahhou, et la course d'obstacles n'est pas finie. Il reste encore le jeu des dérogations, puisque beaucoup de plans d'aménagement urbains ne sont toujours pas livrés, laissant les intervenants dans le flou. Les R+2 et R+3 pour commencer C'est évident, il y a un problème profond et généralisé. Maintenant, il y aurait des promesses de la part des autorités, qui semblent conscientes du problème, notamment au ministère de l'Habitat et de l'urbanisme et à la présidence du gouvernement. Les idées sont nombreuses et consistent d'abord à limiter le nombre d'intervenants au niveau des communes et des agences urbaines. Arrêtons-nous sur une proposition qui permettrait de résoudre une bonne partie du problème. Celle de responsabiliser davantage les architectes. L'idée proposée s'illustre dans l'aberration suivante. Pour un lotissement autorisé et achevé, chacun de ses lots doit une nouvelle fois faire l'objet de la démarche complète de revenir sur la fiche d'information à l'agence urbaine, de repartir à la commune pour dépose le plan, de repasser en commission, alors que toutes ces démarches ont déjà été effectuées dans le cadre du lotissement, à quelques exceptions près. Pour éviter toute cette redondance contre-productive, une fois que l'ensemble des éléments est connu, l'architecte, en engageant sa responsabilité, peut lui-même autoriser les mises en chantier, sans repasser par toutes les cases administratives. Par définition, l'architecte n'est pas un professionnel comme les autres. C'est un homme de métier, évoluant dans une corporation organisée, qui a une responsabilité quant aux exigences de l'art. À la charge des autorités de faire les vérifications et les contrôles a posteriori. Si l'architecte ou le maître d'ouvrage n'a pas respecté les plans, c'est sous leurs responsabilités, et peut engendrer des pénalités qui peuvent être lourdes, ou voire même la démolition du bien. «Le respect des normes peut se faire par les architectes, surtout que le passage par la profession avant de construire est obligatoire de par la loi marocaine. Faisons respecter les textes par les professionnels eux-mêmes !», estime Rahhou. «Il a été d'abord proposé que cette démarche soit appliquée sur des chantiers peu complexes comme des lotissements de R+2 et R+3, avant de pouvoir la généraliser pour tous types de projets», indique le président du CNOA. L'idée semble faire consensus, mais il est étrange de voir ces propositions rester au point mort. En attendant, un programme immobilier nécessite en moyenne 5 à 6 ans, soit le double de la «normale», qui est de 3 ans... point de vue Omar Farkhani, Président du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) Il est indéniable que pour obtenir des autorisations administratives, c'est vraiment la croix et la bannière. Tous les intervenants dans la filière de l'immobilier se plaignent de ces lenteurs administratives extrêmes. Maintenant, parmi les solutions proposées, la responsabilisation plus poussée des architectes est une idée qui nous paraît très bonne, à l'instar de ce qui se fait dans certains pays développés. Toutefois, c'est une mesure à double tranchant pour la profession, il faut donc qu'un suivi rapproché soit assuré afin que tous les rouages du processus suivent, notamment les maîtres d'ouvrage et les administrations associées. Il ne s'agit pas de lancer la balle dans le camp des architectes et de les laisser se débrouiller tout seuls. D'autre part, c'est une idée qui germe depuis pas mal de temps, et sur laquelle tous les concernés semblent être d'accord, sans pour autant qu'elle ne soit mise en application. Nous ne savons vraiment pas pourquoi il y a blocage sur une question qui fait consensus. En plus de faciliter les affaires des professionnels, l'application de cette idée permettrait de soulager l'administration pour qu'elle consacre plus de temps et de moyens à son cœur de métier, notamment en ce qui concerne les agences urbaines, pour qui la gestion de la «paperasse» n'est pas la vocation de base. Elles sont plutôt vouées à penser l'évolution de la ville et mettre en œuvre une stratégie urbaine. En définitive, l'idée est excellente et serait bénéfique pour l'ensemble de la filière et ses intervenants sans exception. Il faut simplement être prudent dans sa mise en œuvre.