Omar Farkhani, président de l'Odre national des architectes du Maroc 200 architectes volontaires se sont relayés, depuis plus d'un mois, dans la région d'Al Hoceïma pour auditer l'état du bâti après le séisme qu'a connu la région. La Gazette du Maroc a intérogé leur président, Omar Farkhani, sur la nature de leurs actions pour recueillir le point de vue de la profession sur les événements d'Al Hoceïma et bien évidemment sur le discours royal prononcé le jeudi 25 mars sur les lieux mêmes du séisme devant les habitants de la région. La Gazette du Maroc : Comment le corps des architectes réagit-il au dernier Discours royal d'Al Hoceïma ? - Omar Farkhani : la profession a été réconfortée par le discours qui a réaffirmé avec force la nécessité de professionnaliser l'acte de bâtir, y compris en milieu rural. Il a aussi clairement exprimé la détermination royale à mettre un terme au laxisme des pouvoirs publics et élus locaux qui, par négligence, incompétence ou intérêts douteux hypothèquent dangereusement la sécurité et la quiétude des citoyens. Le corps des architectes suivra avec un intérêt particulier la mise en œuvre des Directives royales, notamment celles concernant les textes de lois qui seront incessamment présentés au Parlement. À votre avis, ces textes vont-ils renforcer le pouvoir des techniciens et plus particulièrement celui des architectes ? - Le nouveau cadre réglementaire renforcera la professionnalisation du secteur dans lequel le corps des architectes joue effectivement un rôle très important. Dans ce sens, il est nécessaire que l'autorité morale de l'architecte soit renforcée autant que sa responsabilisation. En tous les cas, la profession, à travers ses instances nationale et régionale, a parfaitement saisi le Message royal. Elle œuvrera sans relâche à la mise en œuvre efficace des directives du Souverain, en étroite concertation avec les autres intervenants du secteur. L'acte de bâtir est une œuvre collective qui nécessite l'implication et l'adhésion de tout un chacun. Justement, comment peut-on définir la responsabilité des architectes par rapport à ce qui s'est passé dans la région d'Al Hoceïma ? - Curieusement, on ne parle des architectes que quand il faut les responsabiliser. À Al Hoceïma, nous avons constaté que la majorité des bâtiments ne bénéficie pas d'un suivi régulier des travaux de construction. On fait rarement appel aux professionnels, architectes et ingénieurs. Donc de fait, leur responsabilité ne saurait être engagée. Par contre, sans vouloir chercher des boucs émissaires, l'implication passive de certaines administrations chargées du contrôle des chantiers ne peut être passée sous silence. Et cela n'est pas propre à la région d'Al Hoceïma. À cet égard, le discours royal est on ne peut plus clair. En quoi consiste alors l'action que vous avez menée à Al Hoceïma ? - Dès le lendemain du séisme, l'Ordre national des architectes du Maroc a installé une cellule d'assistance technique dans la région d'Al Hoceïma. Cette cellule a été constituée par des architectes marocains et quelques confrères étrangers de l'ONG ( Architectes de l'urgence ) venus spécialement de France et d'Algérie. Le travail de la cellule consistait à réaliser un diagnostic de l'état du bâti dans la région afin d'évaluer l'ampleur des dégâts, de comprendre les causes précises des effondrements et de préparer un plan d'intervention pour la reconstitution de la région touchée par le séisme. Notre objectif était aussi de tirer les leçons de cette tragédie pour mieux nous préparer dans l'avenir à faire face à ce type de catastrophe. Dans quel cadre institutionnel ce travail a-t-il été conduit ? - L'action de l'Ordre des architectes, qui a mobilisé près de 200 architectes volontaires jusqu'à présent, a été menée en étroite concertation avec le ministère de l'Habitat et de l'urbanisme, à travers notamment l'Agence urbaine de Taza, Al Hoceïma et de Taounat qui a agi sous la supervision personnelle du ministre. Le travail réalisé a aussi bénéficié du soutien total des autorités locales pour nous faciliter le travail d'investigation engagé sur le terrain. Pourtant, on avance qu'aux premiers jours du séisme, les tergiversations des autorités locales ont pratiquement entravé l'action des secours ? - En ce qui concerne les architectes, j'affirme clairement que le soutien et l'encouragement des autorités, et notamment de la wilaya et son staff technique dirigé par le wali, ont joué un rôle déterminant dans la réussite de notre action. Mobiliser 200 architectes pendant plusieurs semaines coûte cher. Comment a été financée cette mission ? - Par les architectes eux-mêmes. L'action menée s'est faite bénévolement dans un total esprit de civisme et de solidarité envers les citoyens d'Al Hoceïma. Nous nous sommes en fait inscrits dans le formidable élan de solidarité nationale qui a animé notre pays lors de cette catastrophe. Les architectes encadrés méthodologiquement par l'Ordre national des architectes se sont totalement pris en charge matériellement. Ils sont venus volontairement à Al Hoceïma, avec leurs propres moyens de locomotion, munis de leurs ordinateurs, leurs téléphones portables, leurs appareils photos numériques et même leurs tentes et leurs sacs de couchage pour ceux qui n'arrivaient pas à trouver un lit à l'hôtel ou chez l'habitant.L'Agence urbaine a mis à la disposition de la cellule d'assistance technique ses locaux à Al Hoceïma ainsi que tout son staff technique et administratif qui s'est dépensé sans compter pratiquement 24h/24h.Nous avons également pu disposer de voitures prêtées par les agences urbaines d'autres régions. Quel a été précisément le rôle des architectes de l'urgence ? - Nos confrères algériens et français ont mis à notre disposition leur expertise relative à l'action en situation d'urgence et de catastrophe. Grâce à leur assistance, la cellule technique a pu être mise en place dans un temps record. Ils ont aussi joué un rôle important dans la mise en œuvre rapide de la méthodologie d'investigation sur le terrain et de traitement de l'information. En bref, ils nous ont permis d'être très réactifs et rapides. Comment les architectes ont-ils été accueillis par les sinistrés ? - Une relation de confiance s'est rapidement instaurée entre les architectes volontaires et les victimes. Au-delà de la dimension technique de notre travail, nous avons constaté chez les habitants de la région un besoin irrépressible de parler et de s'exprimer et surtout d'être écoutés. À l'évidence, le traumatisme dû au tremblement de terre, entretenu par les répliques est profond. Les sinistrés auront besoin de temps pour l'oublier. C'est pour cela que dans notre travail, nous avons accordé autant d'attention à la dimension humaine et psychologique qu'à la dimension technique. Quels sont les autres intervenants du secteur de la construction qui ont été présents à Al Hoceïma ? - Les ingénieurs géomètres topographes, les bureaux d'études, les bureaux et laboratoires de contrôle étaient tous présents et ont apporté leur contribution à l'action menée par les architectes. Est-ce que les promoteurs immobiliers ont aussi participé à cette opération ? - Pas à ma connaissance. À présent, quel diagnostic établissez-vous de la situation ? - Les premières investigations ont rapidement orienté notre action vers le monde rural qui a été beaucoup plus touché que les centres urbains. Dans cette région, seul Imzouren a connu des effondrements d'immeubles importants. Al Hoceïma et les autres centres urbains ont été pour l'essentiel épargnés. Alors comment expliquer toutes ces tentes dressées dans les places publiques pour abriter les habitants d'Al Hoceïma ? - C'est dû à un effet de psychose provoqué par le séisme et entretenu par les répliques. Les habitants ont eu peur de rentrer chez eux. Quelle a été exactement l'ampleur des dégâts ? - À Imzouren, le centre urbain le plus touché, à peine 6 % environ des constructions se sont effondrées ou sont destinées à la démolition. Mais en milieu rural, 70 % des constructions ont subi ce sort. Ce qui est considérable et c'est ce qui explique le nombre important de morts enregistrés à la campagne. Mais ce que vous dites est surprenant. À la campagne les constructions sont moins élevées qu'en ville. Elles sont construites en un seul niveau alors que dans les centres urbains, elles peuvent atteindre jusqu'à 5 niveaux comme à Al Hoceïma qui n'a pas souffert structurellement. De plus les paysans sont réputés pour leur maîtrise de l'art de bâtir ? - Le séisme d'Al Hoceïma a mis fin à ce mythe. Les paysans ne savent plus construire comme auparavant. Plus précisément l'évolution des techniques et l'introduction de nouveaux matériaux de construction dans l'habitat rural a entraîné une perte du savoir-faire. Aujourd'hui, ce ne sont plus les techniques traditionnelles de construction qui sont utilisées. Ce sont des procédés «bricolés» importés des centres urbains et non maîtrisés. Je m'explique : ce sont les dalles de toitures lourdes, sans structures porteuses solides (sans piliers et sans fondations) qui ont entraîné malheureusement la mort d'un grand nombre d'habitants. L'évolution des techniques de construction et de leur mise en œuvre s'est faite sans professionnalisme. Il a fallu le désastre d'Al Hoceïma pour qu'on découvre que le milieu rural a autant besoin d'architectes et d'ingénieurs que les centres urbains. Pensez-vous que les habitants de la région ont bien saisi cette réalité ? - Oh que oui. Tous les témoignages abondent dans ce sens. Non seulement ils ont compris, mais ils sont demandeurs d'expertise. Toutefois, cette expertise doit être mise en œuvre de manière pragmatique, efficace et non pas bureaucratique. Il ne s'agit pas sous prétexte de contrôle d'alourdir les procédures administratives d'obtention des autorisations de construire et de permis d'habiter. Il faut trouver des formules souples qui permettent la sécurité des constructions grâce à une assistance architecturale et technique appropriée et non coûteuse, sinon gratuite pour les plus démunis. Vous voulez dire que le corps des architectes est prêt à travailler bénévolement pour le monde rural ? - Pas seulement pour le monde rural. Partout où il y a des populations démunies qui ont besoin de leur aide, y compris en milieu urbain. Le formidable élan de solidarité et la mobilisation massive des architectes ces dernières semaines à Al Hoceïma ne laisse aucun doute à ce sujet. Nous espérons que tous les autres intervenants du secteur emboîteront le pas aux architectes avec autant de conviction, à l'instar de certains collègues ingénieurs qui nous ont accompagné lors de cette action. En définitive, quels sont les enseignements que vous avez tirés de vos interventions après le séisme qu'a connu la région ? - Ce n'est pas le séisme qui a tué, mais plutôt la mauvaise qualité des constructions réalisées sans respect des règles les plus élémentaires requises dans le domaine, et sans intervention effective des professionnels du bâtiment. Avec le drame d'Al Hoceïma, la qualité et la sécurité ne sont plus des notions abstraites derrière lesquelles se cachent de pseudo considérations politiciennes ou économistes. La professionnalisation de l'acte de bâtir est une nécessité vitale qui a pour enjeu non seulement la qualité du cadre bâti, mais tout simplement la survie des habitants. En cela, le Discours royal se passe de tout commentaire.