Il n'a pas la langue dans la poche et ne pense pas forcément comme Monsieur tout le monde ! C'est le moins que l'on puisse dire d'Omar Farkhani, Président de l'Ordre National des Architectes, et récemment élu Président de la Confédération des Ordres Professionnels. La fibre militante, il l'a dans l'âme. Personnage singulier, il peut être également un redoutable adversaire. «Je suis un Imazighen, ce qui signifie homme libre. On ne peut ni le corrompre, ni lintimider». Il est donc de cette race de personnes difficiles à cerner et pourtant il n'est pas que ce qu'il semble être. Son univers n'est pas uniquement meublé de débats et de problématiques liées au métier d'architecte Ce n'est là qu'un aperçu minimaliste d'Omar Farkhani. Rifain de souche, (d'ailleurs son nom de famille renvoie à la région de Farkhana près de Melilia), issu dune famille nombreuse de classe moyenne, Omar est un enfant réservé, évitant les problèmes. «Je me suis bien rattrapé depuis», lance-t-il avec un sourire malicieux. Enfant, il est familier du monde de la BD et de ses héros, qui ont contribué à former sa fibre militante. Vivant au sein dune famille unie, il est élevé par un père qui préconise la liberté de pensée et la liberté tout court. Mais à condition de réussir à lécole. «Mon père nous a appris à être dignes et désintéressés. De son vivant, il na jamais cherché à faire fortune». Petit, ses loisirs vont de la natation au karaté, en passant par le foot pratiqué dans les terrains vagues à Casablanca (tous disparus aujourdhui). «Nous jouissions de plaisirs simples et pas coûteux ». Cette philosophie de la vie ne le quittera jamais. Ainsi, pour Omar Farkhani lEtre prédominera toujours sur lAvoir. A l'école, Omar, enfant, se contente dassurer le «service minimum», et ce n'est qu'après le Bac qu'il va mettre le turbo. Il n'a pas réellement réfléchi à ce qu'il voulait faire plus tard de sa vie, mais disons qu'une chose le motivait : partir, traverser la mer et voir ce qui se passe de l'autre côté du monde. Et c'est ainsi quil décide dintégrer lune des meilleures écoles darchitecture et part en 1976 sinstaller à Paris. Le choix détudier larchitecture est un pur hasard. «Je suis passionné par mon métier darchitecte et durbaniste qui me comble sur tous les plans (intellectuel, artistique, technique, social ) tout en me permettant dexercer, de manière constructive, mes devoirs de citoyen». Lors de sa vie estudiantine, Omar Farkhani découvre ce vaste espace intellectuel et culturel quoffrent Paris et lEurope : liberté dexpression, grands mouvements culturels, sociaux et politiques de lépoque. Paris va le subjuguer à tel point quil y passera 13 ans avant de décider de regagner le Maroc «en pointillés». «A la fin de mes études, jai continué à travailler dans des cabinets darchitecture et jhésitais vraiment à rentrer au Maroc. Javais en mémoire un Maroc qui ne correspondait pas à ce que jétais devenu et jétais réticent à me défaire de cette liberté dexpression et cette liberté intellectuelle quoffrait Paris». Alors, Omar Farkhani va multiplier les séjours au Maroc. Ce nest quau début des années 1990 quil regagne définitivement le Maroc. Il sinstalle rapidement à son propre compte. «Je ne voulais pas devenir fonctionnaire car javais en tête que les fonctionnaires étaient corrompus. Mais je me suis rendu compte que je métais lourdement trompé : la plupart des fonctionnaires sont honnêtes. Malheureusement, une poignée de corrompus porte préjudice à lensemble». Les débuts au Maroc sont difficiles et même durs. Changement de pays rime aussi avec changement de mentalité, de comportement : «Je suis parti en France jeune et donc très tôt jai baigné dans cette société française relativement cartésienne. Je revenais au Maroc pour me retrouver dans une tout autre logique, dautres valeurs Jen ai tellement souffert que cela mavait souvent donné envie de repartir». Aujourdhui, il ne regrette pas dêtre revenu au bercail. Bien au contraire, il ne quitterait le Maroc, pour rien au monde. «Le Maroc est un Eldorado pour ceux qui veulent entreprendre dans tous les domaines. Le pays présente des opportunités pour ceux qui ont la réelle volonté dagir, de changer et révolutionner leur environnement. Le Maroc a acquis une liberté dexpression et daction très large. Alors quen France ou en Europe, il existe cette espèce de saturation et dimpression que tout a déja été fait. Au Maroc, tout est à faire». Naturellement, Omar Farkhani est très rapidement propulsé au-devant de la scène. Le militantisme dont il fait preuve lui vaudra la confiance de ses confrères qui lont mandaté à plusieurs reprises pour les représenter. Et cest probablement ce côté militant médiatisé que lon connaît le plus de lui. Mais il serait injuste de résumer ainsi sa personnalité. Artiste et intellectuel dans lâme, comme beaucoup de ses confrères, il déplore la rareté des commandes architecturales. « Les clients sont plus souvent demandeurs de constructions que darchitecture». Grand dévoreur de livres, il adore fouiner dans les librairies. Pour lui : «lire un livre cest converser avec les plus brillants esprits de tous les temps». En 2007, Omar Farkhani est décoré du Ouissam national du Mérite de lOrdre dofficier. Contrairement à ce que lon pourrait croire, Omar Farkhani nadhère à aucun parti politique : « Il y a une dizaine dannées, jai vécu une expérience décevante au sein dun grand parti dans lequel jai constaté un énorme fossé entre les discours et la pratique sur le terrain. Ceci dit, cet architecte urbaniste suit de près la politique. Normal, vu ses responsabilités. Et ce qui est à son honneur cest quil ne sacrifie jamais au « politiquement correct». Il salue ainsi linitiative dAli Al Himma en qui il voit un « fils du peuple » qui a su bousculer lEstablishment politique. Ou encore un autre fils du peuple, Miloud Chaâbi, «self made man» qui, à partir de rien, a bâti un empire. Mais la personne à laquelle il voue peut-être le plus dadmiration est lathlète marocain Saïd Aouita. «Cest un homme à qui lon ne rend pas suffisamment hommage et pourtant, cest le premier à avoir démontré quun Marocain peut occuper la première place mondiale et y rester longtemps. En collectionnant les titres mondiaux, il a fait sauter un énorme verrou psychologique et a ouvert une brèche : tout devient possible à un Marocain animé de la volonté nécessaire! Et justement, le grand défi des Marocains aujourdhui est davoir confiance en eux-mêmes et en leurs capacités». Lui-même en est un peu la preuve vivante. Enfant ordinaire, devenu adulte, il a su, sans renier ses valeurs, changer sa vie et essaye autant que faire se peut de contribuer à changer son environnement !