Jusque-là, les programmes de logements sociaux consistaient à remplacer une baraque par un logement social, souvent pas très respectueux des normes. Pour les architectes, l'heure du débat a sonné. «On n'est pas heureux d'avoir raison !». Constat amer d'Omar Farkhani. Le président de l'Ordre des architectes marocains tirait la sonnette d'alarme, il y a quelques mois à Meknès à l'occasion d'un énième séminaire. Presque un détail…mais qui s'impose aujourd'hui brusquement, après le tremblement de terre qui a frappé la région du centre nord. Joint au téléphone, quelques heures avant de prendre l'avion pour Al Hoceima où est aussi attendue une importante logistique des Architectes de l'Urgence, association qui dispose d'une longue expérience dans les cas d'urgence et le traitement des séismes, M. Forkhani n'a pas voulu se lancer dans un débat, selon lui, encore « prématuré». «Avant de faire des jugements hâtifs, nous devons procéder d'abord à des évaluations générales. La dynamique de l'urgence et de la précipitation entraîne un certain laxisme ».C'est le sentiment général de la plupart des professionnels interrogés au lendemain du séisme d' Al Hoceima. Ce drame intervient au moment où le programme des 1. 000. 000 de logements d'ici 2010 bât son plein. Le ministre de l'Habitat l'avait annoncé dans ces mêmes colonnes : «2004 marquera le début de l'exécution des projets au rythme de 100 000 logements sociaux par an. «Encore faut-il, clame le président de l'Ordre des architectes, ne pas confondre entre «résoudre le problème de l'habitat et remplacer une baraque par un logement mal construit». L'expérience a montré que c'est dans ces logements mal construits que l'on déplore le plus de morts et non dans les bidonvilles. Pourtant le Maroc a mis en place, depuis le 22 février 2002, tout un arsenal en matières de normes. Baptisé «Code anti-sismique» le respect de ces dispositions reste conditionné, selon Yassir Berrada, président de l'Association Marocaine du Conseil et de l'Ingénierie de la Région du centre (Mohamedia, Casablanca et Beni Mellal), à un document administratif : «l'Attestation de conformité et de suivi des travaux» à fournir par le bureau d'études. En l'absence de ce document, il est difficile de faire progresser les nouvelles lois jusqu'aux prometteurs immobiliers lesquels poussent rarement l'analyse de la nécessité des normes sismiques au delà de la question vitale des surcoûts que cela engendrerait. S'agissant de cette approche, Salma Zirhouni, architecte de son état, relativise: «les normes demandent des aménagements spécifiques, lesquels induisent des coûts qui ne sont pas forcément supportés par les promoteurs immobiliers ». Devant la lenteur des procédures, les professionnels, architectes et bureaux d'études, en sont réduits souvent à un rôle de sensibilisation. «Chacun doit faire son travail. Autorités communales, associations professionnelles, on doit prendre les bonnes décisions prises à l'occasion des séminaires». Dans tous les cas, la qualité et la sécurité doivent passer au devant de toutes les considérations, rappelle M. Forkhani qui pense qu'il est nécessaire de lancer un débat national sur l'habitat comme ce fut le cas pour l'aménagement du territoire. «Peut-être en ce moment-là, le programme ambitieux des 100.000 logements sera infléchi vers autre chose». Prémices de ce débat nécessaire, la prochaine grande sortie de l'Ordre sera axée sur «l'habitat des plus démunis». En collaboration avec l'Union International des Architectes, qui regroupe 1,5 million de professionnels de 100 pays, ce colloque réservera une grande part aux différentes expériences dans le monde relatives à l'habitat social. Occasion de rappeler à certains professionnels, qu'en matière d'habitat, il y a des économies utiles et des économies qui tuent.