Avec des produits de moins en moins compétitifs tant à l'export que sur le marché local, l'agroalimentaire n'est pas au meilleur de sa forme. Ce que l'on peut qualifier comme un secteur stratégique pour le Maroc est aujourd'hui relégué au second plan face à des métiers mondiaux érigés comme priorités par les stratégies sectorielles. Si la réflexion concernant le sauvetage de ce secteur en naufrage est d'ores et déjà en cours au sein des départements ministériels, la Fédération nationale de l'agroalimentaire ne compte pas rester les bras croisés. La Fenagri qui vient de reconduire à sa tête le binôme Amine Berrada Sounni, DG d'Aiguebelle et Saïd Moudafi, PDG de Mondelez Maroc, prépare ses dossiers et dispose déjà d'une action claire à l'horizon 2016. La Fédération se fixe pour commencer deux objectifs primordiaux : D'abord, une révision de la politique industrielle de l'Etat pour le secteur qui se traduira par un contrat-programme actuellement en cours de réalisation. Ensuite, une évaluation objective des conséquences des accords de libre -échange signés. Rattraper le temps perdu Pour le contrat-programme, «un appel d'offres sera prochainement lancé pour choisir un cabinet afin d'établir un diagnostic du secteur industriel agro-alimentaire, un benchmarking et une proposition de stratégie de développement du secteur», souligne Amine Berrada Sounni, président de la Fenagri. A noter que les termes de référence ont été préparés par une commission composée du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, du ministère de l'Agriculture et de la task force agro-alimentaire Fenagri/CGEM. La signature du contrat-programme pour le secteur industriel agro-alimentaire est toujours annoncée pour début 2014. En attendant, la Fenagri commencera par lancer une enquête auprès de ses membres pour identifier les besoins et les services attendus de la Fédération. Un effort de veille devra également être fourni. En ce sens, la fédération s'engage à mettre en place son propre baromètre trimestriel de la conjoncture afin de disposer d'informations sur les évolutions récentes et les perspectives à trois mois, perçues par les industriels (activité, emplois, investissements, concurrence). En outre, la Fenagri, qui semble consciente du retard accumulé jusqu'ici, entend plancher sur la visibilité du secteur. En ce sens, celle-ci ambitionne d'organiser le SIAL (Salon international de l'agroalimentaire) Afrique à Casablanca et de tisser des liens avec des fédérations de l'agro-alimentaire d'autres pays (ANIA en France par exemple) afin de profiter des échanges d'expériences. Pour le président de la Fenagri, le secteur n'a d'autres choix que de récupérer le temps perdu et pour cause, «les enjeux portés par le secteur de l'agro-alimentaire sont stratégiques pour la stabilité du pays». L'industrie se trouve aujourd'hui au centre de thématiques telles que la sécurité alimentaire, l'approvisionnement en produits de première nécessité, la volatilité des prix des matières premières, la transformation des matières premières périssables et la création de valeur ajoutée. Stopper les exportations en vrac Du côté de la compétitivité à l'export, le secteur a beaucoup souffert de l'ouverture des frontières dans le cadre des accords de libre -échange. L'accord le plus décrié est sans doute celui dit «quadra» qui lie le Maroc à la Tunisie, la Jordanie et l'Egypte. «Dans le cadre de cet accord, les exportations sont restées stables et les importations augmentent pour notre secteur. Certains secteurs sont menacés par l'ouverture liée aux ALE conclus avec les pays arabes», commente Berrada Sounni, président de la Fédération. Celle-cicompte mener une évaluation de l'impact des mesures non tarifaires appliquées par les pays avec lesquels le Maroc a des accords de libre-échange. La problématique des obstacles non tarifaires constitue aujourd'hui l'un des principaux obstacles à l'amélioration de l'export. Une étude sera également menée en vue de déterminer pourquoi les exportations marocaines se font encore pour l'essentiel en vrac (cas des conserves de fruits et légumes et de l'huile d'olive) ou sous des marques de distributeurs (cas des conserves de poissons). Pour rappel, seuls 12% de la production locale est exportée et 72% des exportations sont constitués de conserves de fruits et légumes et de poissons. «Aujourd'hui, le potentiel d'exportation à grande échelle est fort limité à l'exception de quelques produits : confiserie, couscous, fromage fondu, etc..», regrette Berrada Sounni. Pour y remédier, la Fédération entend mieux rapprocher Maroc Export. Les services de la Fédération ont d'ores et déjà démarré les travaux de réalisation d'un catalogue des produits agro-alimentaires marocains. Le secteur veut également améliorer son positionnement au sein des commissions de la CGEM (commerce extérieur et compétitivité) en étant membre de la plateforme CGEM-gouvernement et en participant au comité de pilotage de l'étude sur la compétitivité des entreprises marocaines. Il est à noter que l'un des principaux défis qui attend le secteur concerne l'amélioration des synergies à engager avec les autres fédérations composant le secteur. En effet, ce secteur s'apparente à une nébuleuse ou plusieurs filières agissent et où chacune dispose de ses propres caractéristiques, ses propres besoins et priorités. Tout l'enjeu est d'arriver à faire converger les intérêts divergents, tout en s'adaptant à la double tutelle (ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, ministère de l'Agriculture) qui entrave souvent l'action des industriels. Q/R Amine Berrada Sounni Président de la Fenagri Les ECO : Vous venez d'être reconduit à la tête de la Fenagri. L'un des défis auxquels devra faire face votre fédération est de mettre en cohésion les intérêts de toutes les filières du secteur. Comment atteindre cet objectif? Amine Berrada Sounni : Notre mandat étant reconduit avec une large adhésion, le premier objectif a été de réunir un conseil d'administration plus étendu qui intègre les entreprises de différents secteurs et des principales fédérations professionnelles. En effet, le premier facteur de réussite est de créer un lieu d'expression des intérêts de chacun. Je persiste à croire à la transversalité de nombreux dossiers. Si certains problèmes ne débouchent pas sur un consensus des différents secteurs, c'est qu'il faudra les retravailler ensemble, pour mieux comprendre les points de vue de chacun. Identifier un problème, c'est déjà le premier pas pour le résoudre. Face à nos concurrents (Egypte, Turquie...) nous ne faisons pas le poids. Comment expliquez-vous ce retard et comment y remédier ? La CGEM a lancé en mai une étude sur la compétitivité des entreprises marocaines avec Valyans. L'étude donnera rapidement des éléments factuels approfondis. Pour l'agro-alimentaire, plusieurs facteurs peuvent expliquer le déficit de compétitivité : la taille du marché national, la productivité horaire de la main d'œuvre, la faible intégration amont/aval du secteur, l'absence d'association des parties prenantes à la conception de la réglementation et de la normalisation, la multiplicité des intervenants dans les circuits de commercialisation des matières premières ... Pour réduire ce retard, il faut d'abord convaincre les institutionnels et les opérateurs économiques qu'ils jouent dans la même équipe et cela est un réel changement de paradigme. Le secteur souffre d'un problème d'intrants, notamment à cause de la flambée des prix des matières premières à l'international. Comment le secteur a-t-il réagi ? L'industrie agro-alimentaire transforme des matières premières produites localement si possible. Si elles n'existent pas dans le pays et afin de satisfaire les attentes des consommateurs, ces matières premières sont importées. La loi de finances 2013 a abaissé les droits douane à l'importation de nombreux intrants, ce qui va dans le bon sens. Encore faut-il que les matières premières produites localement soient à un prix compétitif et correspondent au cahier des charges de l'industriel. Ce point nécessite un travail entre l'amont et l'aval pour comprendre et tenir compte des attentes du marché, qui est le seul à décider. Face à l'insuffisance des intrants disponibles à des prix compétitifs, les industriels sous-utilisent leur capacité de transformation. L'hypothèse d'une TVA «patriotique» fait-elle l'unanimité au sein du secteur, notamment chez les importateurs ? Que préconisez-vous ? En tant qu'industriels, nous souhaitons que le débat ait lieu sur la TVA appliquée aux produits agro-alimentaires. Si l'existence d'une TVA élevée sur les produits de 1re transformation ne permet pas le développement de ce segment alors que, dans le même temps, le Plan Maroc Vert a pour objectif de produire plus de matières premières, nous pouvons légitimement nous interroger sur la valeur ajoutée créée sur le territoire marocain à partir de ces matières premières. Les industriels de la 1re transformation sont convaincus de cette démarche et la Fenagri est une fédération d'industriels. Le CETIA se redresse Après une période très difficile en début de mandat, le Centre technique des industries agroalimentaires (CETIA) a réussi à rééquilibrer ses comptes grâce à des économies au niveau du fonctionnement et une réduction des effectifs. En mai 2013, le CETIA ne comptait plus que 7 personnes contre 11 en janvier 2011. L'année 2012 a été marquée par la décision d'investir pour mettre à niveau le laboratoire de microbiologie. Un investissement de plus de 2MDH a été réalisé avec un financement du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies pour 60%. Le plan de financement a été bouclé par la recherche de fonds auprès d'institutionnels. Les industriels ont financé 5% de l'investissement. Le nouveau laboratoire est en fonctionnement depuis mars 2013. Aujourd'hui, la Fenagri compte faire du Centre technique des industries agroalimentaires un outil du ministère de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies et du ministère de l'Agriculture afin de conforter sa pérennité. Il est à noter que la mise en place de ce centre était censée soutenir la compétitivité des industries du secteur agroalimentaire grâce notamment à la réalisation d'une veille réglementaire et normative, d'un appui technique et d'analyses physico-chimiques, microbiologiques et sensorielles.