Les Espagnols délocalisent une partie de leur production au Maroc. 2 500 ha sont plantés aujourd'hui contre 200 ha seulement en 1990. Les récoltes marocaine et européenne coïncident dans le temps. Une baisse des prix à l'export est à craindre. La fraise, ce fruit qui a séduit de nombreux agriculteurs dans le Nord du Maroc, depuis un certain temps, se porte bien cette année encore. La production va probablement augmenter de 15 à 20 % et, bonne nouvelle pour le consommateur, les prix ne vont pas crever le plafond. En effet, le retard d'un peu plus d'un mois dans l'éclosion qui devait intervenir à la mi-décembre, va faire coïncider les récoltes européenne et nationale. Du coup, l'abondance attendue, à l'export comme sur le marché local, devrait assurer un bon équilibre entre l'offre et la demande. Les agriculteurs redoutent même une baisse de prix qui pourrait peser sur leurs comptes d'exploitation. Aujourd'hui, la culture de la fraise couvre entre 2 300 ha et 2 500 ha dans le Gharb, principale zone de production. La récolte s'élève, bon an mal an, à quelque 100 000 tonnes par campagne pour une productivité se situant entre 30 et 50 tonnes à l'hectare, rendement comparable à celui de l'Europe, selon les experts de l'Etablissement autonome de contrôle et de commercialisation des exportations (EACCE). La fraise est plus menacée par la mévente que par les aléas climatiques Comment les exploitants agricoles ont-ils succombé aux charmes d'un fruit dont ils n'ont adopté la culture que depuis 1995, et comment, surtout, ont-ils développé en si peu de temps, un savoir-faire aussi impressionnant ? Commençons par la réponse à la deuxième question, résumée en quelques mots par un professionnel étranger venu s'installer au Maroc, il y a huit ans. Pour Gérard Métairie, «cela tient à la technologie et, bien entendu, à la technicité des Espagnols qui ont été les premiers à se lancer dans la culture de la fraise dans le Nord du Maroc. Moi qui suis Français ainsi que mes partenaires sommes venus un peu plus tard». Un bénéfice de 70 000 DH à l'hectare par bonne saison Quant à savoir comment la fraise a conquis les agriculteurs et les exploitants de la région, il y a lieu de noter que, d'abord, cette culture n'est pas totalement nouvelle puisque, vers 1975, 100 ha de fraise étaient cultivés dans le Loukkos. Cependant, l'évolution des dernières années montre un subit et formidable engouement pour la culture de ce fruit. En 1990, seuls 200 ha y sont dédiés. En 2001/2202, ce sont 1 890 ha qui donnent 70 000 tonnes et la dernière campagne voit la courbe des surfaces plantées monter considérablement, atteignant 2 370 ha pour une production de 90 000 tonnes, selon le ministère de l'Agriculture et de la Réforme agraire. Cependant, le fruit a émigré progressivement d'Europe vers le nord du Maroc sous l'impulsion des Espagnols. En effet, la culture de la fraise est traditionnellement française, mais les coûts de production, notamment celui de la main-d'œuvre, l'ont rendue non concurrentielle. Elle a alors glissé vers l'Espagne qui a dû réduire ses superficies d'exploitation dès qu'elle a intégré l'Europe. Les agriculteurs et les industriels du Royaume ibérique traversèrent la Méditerranée en quête d'espaces de plantation à proximité du plus grand marché du monde. Ils n'eurent pas de mal à convaincre les agriculteurs marocains de l'intérêt à planter la fraise, vu le rapport à l'hectare qui avoisine et peut même dépasser, dans des conditions optimales, les 70 000 DH. Haj Yahi est un bon exemple de reconversion culturale. Voilà comment il résume son expérience : «J'ai acheté mes 71 ha en 1978 et j'ai commencé par planter des bananiers et des avocatiers. Dans les années 80, l'hectare était à 200 000 DH dans la région de M'nasria. Aujourd'hui, on peut en acquérir autant qu'on veut à 80 000 DH. J'ai découvert que l'eau n'était qu'à 5 mètres mais j'ai dû creuser 65 mètres pour avoir un débit satisfaisant de 30 l/seconde. Quelques déboires liés notamment à l'absence de normes marocaines pour éviter que le Maroc ne continue à être l'exutoire naturel des mauvais produits européens. Bref, en 1995, je me convertis à la fraise et, pour éviter d'être dépendant des aléas de la commercialisation, je suis en train de mettre à niveau mon usine de conditionnement, de conservation et de surgelage». Haj Yahi et d'autres agriculteurs sont d'accord pour penser que si le Marocain a vite appris à produire, il reste beaucoup de chemin à faire pour qu'il apprenne à vendre. Or, il se trouve que le plus gros risque présenté par la culture de la fraise ne porte pas sur les aléas climatiques, puisque c'est une culture d'irrigation qui résiste au froid. Le spectre des professionnels, c'est la mévente ou la baisse des prix, pour un produit très périssable. Du reste, cet agriculteur paie les services d'un haut cadre belge pour pénétrer de nouveaux marchés. Il faut croire qu'il y arrive en partie puisqu'il a pu placer, l'année dernière, une partie de ses produits en… Chine. Si les grands exploitants agricoles en sont venus à la fraise, pour les petits, dont la surface de culture se situe entre 5 à 10 ha, c'est la fraise qui est venue à eux. En effet, les entrepreneurs espagnols qui prennent en charge la commercialisation, pour les convaincre de planter le fruit, financent en grande partie leur campagne sous forme d'avances, qu'il s'agisse d'intrants, de traitement du sol, de frais de transport, etc. Il faut savoir qu'un seul hectare a besoin de 55 000 plants pour assurer une bonne productivité. Rien que pour cette opération, l'investissement se monte à 44 000 DH, sans compter le plastique pour recouvrir la culture, la cueillette… Au total, il faut 180 000 DH pour exploiter un hectare. Et contrairement à d'autres régions du Maroc, comme Agadir pour la tomate, les producteurs ont du mal à constituer des associations pouvant s'ériger en centrales d'achat, capables d'explorer les marchés, d'assurer une logistique ou des équipements en matière de conditionnement, de transport… Outre les gros problèmes d'organisation professionnelle, les problèmes des exploitants de la fraise s'appellent dépendance d'intermédiaires peu transparents, absence de diversification variétale, capacité de stockage réduite (500 t/jour alors qu'il en faudrait le double)…