Ils sont particulièrement dépendants du ministère de la justice, malgré les nouvelles dispositions constitutionnelles. Les procureurs ne bénéficient pas de l'inamovibilité, contrairement aux magistrats du siège. La réforme de la justice, malgré ses atermoiements, est en marche. Et parmi les professions les plus concernées par le processus, mais aussi la plus silencieuse, il y a les procureurs du Roi, les membres du parquet. Une institution mystérieuse qui suscite à la fois crainte et admiration. Et ce n'est pas un hasard puisque les procureurs sont la pièce maîtresse du système judiciaire, notamment dans son côté pénal. «Les procureurs jouent un rôle crucial dans l'administration de la justice, la représentation et la préservation de l'intérêt public, et la protection des droits des victimes. Cela suppose l'existence d'une autorité forte, impartiale et indépendante en charge d'enquêter sur les infractions et de poursuivre leurs auteurs», explique le professeur Thami Lasry dans son cours de procédure pénale. Et d'ajouter : «Au sein même de cette autorité, chaque procureur doit être habilité à remplir ses obligations professionnelles de manière indépendante et objective». Sauf que cette description, théorique, ne reflète pas la réalité ni le vécu des procureurs. En effet, les magistrats du parquet sont tout particulièrement dépendants du pouvoir exécutif du fait du rôle prépondérant du ministre de la justice dans leur carrière, et l'autorité hiérarchique qu'il exerce sur eux. Par exemple, le pouvoir de notation des magistrats du parquet «appartient au ministre de la justice à l'égard des procureurs généraux du Roi près des Cours d'appel», selon le statut de la magistrature actuel. Leur avancement et promotion dépendent de cette notation. En outre, selon l'article 56 de ce statut qui date de 1974, le changement d'affectation des magistrats du parquet «est prononcé par dahir, sur proposition du ministre de la justice, après avis du Conseil supérieur de la magistrature». Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas d'un avis contraignant. Le ministre peut passer outre. Selon le rapporteur des Nations Unies dans son analyse du statut des magistrats, «les autorités marocaines doivent réformer le statut des magistrats du parquet en profondeur, notamment en mettant fin à la subordination des procureurs au pouvoir exécutif et en uniformisant le statut des magistrats du parquet et celui des magistrats du siège». Aussi, alors que les magistrats du siège peuvent être inamovibles, les juges du parquet sont exclus de la protection de l'inamovibilité. La totalité des procureurs contactés estime que pour autant que les procureurs continuent à être considérés comme des membres de la magistrature (ils sont lauréats de l'Institut supérieur de la magistrature comme leurs confrères du siège), les dispositions constitutionnelles applicables aux magistrats du siège devraient également être applicables aux procureurs. Afin de les protéger contre des révocations ou des procédures arbitraires dans l'exercice de leurs fonctions, en particulier le travail relatif aux enquêtes et poursuites sur les violations des droits de l'Homme, les procureurs doivent bénéficier des mêmes garanties d'inamovibilité que les juges. Des dispositions floues dans le projet de statut de la magistrature A ce titre, une majorité des professionnels du droit (avocats notamment) et de la société civile défendent des garanties effectives de l'indépendance du parquet vis-à-vis de l'Exécutif. La dernière mouture du projet de loi relatif au statut des magistrats garantit certains droits. Elle prévoit que les magistrats du parquet ne soient plus nommés par le ministre de la justice, mais par le procureur du Roi près la Cour de cassation. L'article 20 du projet de loi prévoit aussi que les procureurs soient sous «l'autorité et le contrôle du procureur général près la Cour de cassation et de leur supérieur hiérarchique». Le texte dispose également que les procureurs doivent se conformer aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques seulement lorsqu'elles sont écrites, en conformité avec la loi, et émanant de l'autorité à laquelle ils sont subordonnés en conformité avec les conditions et les procédures établies par la loi. Cependant, certaines dispositions de la réforme restent encore floues. Selon le rapporteur des Nations Unies : «Il faut que la mouture précise que les procureurs sont indépendants et autonomes dans leurs prises de décisions et que les instructions qu'ils reçoivent de leurs supérieurs hiérarchiques doivent être compatibles avec des critères et des politiques de poursuite établis et cohérents, respecter les principes d'équité et de transparence et ne peuvent pas être motivées politiquement». Il ajoute également qu'il «n'est pas souhaitable que des organes extérieurs donnent des directives aux procureurs dans une affaire précise» et que «telles directives devraient être officiellement consignées et rigoureusement limitées afin d'éviter toute ingérence ou pression indue».