Une circulaire du procureur général de la Cour de cassation a rappelé aux représentants du ministère public de ne recevoir «aucune instruction ni recommandation de parties autres que la présidence du parquet». 50 ans de soumission au ministère de la Justice, ça marque ! Alors que la passation historique des pouvoirs entre le département gouvernemental et le procureur général près la Cour de cassation avait laissé entendre que la nouvelle indépendance du parquet était le résultat d'un «consensus national» où régnait une entente cordiale entre l'ancienne et la nouvelle tutelle, le ton d'une circulaire de Mohamed Abdennabaoui marque le début d'une tension avec l'Exécutif. Le procureur général de la plus haute juridiction du royaume, théoriquement nouveau patron du ministère public, s'est adressé le 4 janvier dans sa lettre aux procureurs en leur ordonnant de «refuser toute instruction émanant d'autres parties [que lui], qu'elle soit écrite ou orale et même si elle ne concerne qu'une demande d'information sur des dossiers judiciaires ou affaires portées devant les ministères publics». En cause ? Une autre circulaire du ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, qui se voulait explicative du décret de réorganisation judiciaire. Sauf que dans les destinataires, Aujjar a ajouté les «procureurs et procureurs généraux». D'aucuns au sein de la Cour de cassation considèrent que, malgré le nouveau régime juridique encadrant le parquet, les réflexes de l'ancien système demeurent. Et l'une des principales raisons est le pouvoir de notation des magistrats du parquet qui appartenait au ministre de la Justice et leurs avancements et promotions en dépendaient. Un mécanisme qui a freiné le glissement d'autorité hiérarchique sur laquelle se base le nouveau statut du ministère public. Ce dernier prévoit en effet que les magistrats du parquet ne soient plus nommés par le ministre de la Justice, mais par le procureur du roi près la Cour de cassation. L'article 20 édicte aussi que les procureurs soient sous «l'autorité et le contrôle du procureur général près la Cour de cassation et de leur supérieur hiérarchique». Le texte dispose ensuite que les procureurs doivent se conformer aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques seulement lorsqu'elles sont écrites, en conformité avec la loi, et émanant de l'autorité à laquelle ils sont subordonnés en conformité avec les conditions et les procédures établies par la loi. Cependant, certaines dispositions de la réforme restent encore floues. «Il faut que la mouture précise que les procureurs sont indépendants et autonomes dans leurs prises de décisions et que les instructions qu'ils reçoivent de leurs supérieurs hiérarchiques doivent être compatibles avec des critères et des politiques de poursuite établis et cohérents, respecter les principes d'équité et de transparence et ne peuvent pas être motivées politiquement», nous explique un procureur du tribunal correctionnel de Casablanca. Il ajoute également qu'il «n'est pas souhaitable que des organes extérieurs donnent des directives aux procureurs dans une affaire précise» et que «telles directives devraient être officiellement consignées et rigoureusement limitées afin d'éviter toute ingérence ou pression indue». Et alors que les magistrats du siège peuvent être inamovibles, les juges du parquet sont exclus de cette protection. La totalité des procureurs contactés estime que pour autant que les procureurs continuent à être considérés comme des membres de la magistrature (ils sont lauréats de l'Institut supérieur de la magistrature comme leurs confrères du siège), les dispositions constitutionnelles applicables aux magistrats du siège devraient également être applicables aux procureurs. Afin de les protéger contre des révocations ou des procédures arbitraires dans l'exercice de leurs fonctions, en particulier le travail relatif aux enquêtes et poursuites sur les violations des droits de l'Homme, les procureurs doivent bénéficier des mêmes garanties d'inamovibilité que les juges. L'absentéisme, le vieux réflexe «Certains responsables du ministère public quittent leurs lieux de travail pour se présenter à des réunions et rencontres ou pour la participation à des commissions ou conférences (...), sans que la présidence du ministère public n'en soit avisée au préalable» a en outre fait remarqué la circulaire du 4 janvier. Selon Abdennabaoui, ce comportement «impacte d'une part, l'efficacité de l'appareil judiciaire et porte atteinte aux règles hiérarchique des structures du parquet». Le procureur général près la Cour de cassation veut ainsi faire comprendre que de nouvelles règles seront appliquées. Il a appelé ses subordonnées «à ne quitter leurs bureaux que lorsque les invitations portent le visa de la présidence qui devra désormais être informée de toutes les invitations reçues par les fonctionnaires avant de les autoriser à s'y rendre, en tenant compte de leurs obligations professionnelles».