Plus de 2 millions d'incidents de paiement en stock et plus de 550000 interdits de chéquiers au Maroc. De plus en plus de commerçants n'acceptent plus d'être payés par chèque, quitte à renoncer à une partie de leur chiffre d'affaires. Les affaires de chèques impayés s'entassent dans les tribunaux de commerce et de première instance. A fin novembre dernier, elles ont constitué la moitié des procédures judiciaires enclenchées (www.lavieeco.com). Hormis les crimes et les délits de droit commun, elles représentent 80% de l'activité des juridictions correctionnelles. Le phénomène s'aggrave d'année en année, et les différentes parties prenantes tentent tout pour l'atténuer. La dernière action en date est celle de Bank Al-Maghrib qui a créé un service de centralisation des chèques irréguliers. Il donnera aux commerçants et aux entreprises un accès à un fichier central des chèques irréguliers. Objectif : leur permettre de détecter les émetteurs de chèques en bois et ainsi limiter le nombre des incidents de paiements. A fin 2014, 726 886 chèques ont été rejetés sur 28,3 millions émis selon le dernier rapport du Groupement pour un système interbancaire marocain de télécompensation (GSIMT). Le taux de rejet, tous motifs confondus, se situe alors à 2,57%, en aggravation de 12 points de base par rapport à 2013, sachant que la situation s'était améliorée en cette année. En effet, le taux de rejet avait gagné 17 points de base pour atteindre 2,34%, correspondant à près de 655 000 chèques rejetés, soit l'équivalent de près de 22 milliards de DH sur un montant de chèques émis de 945 milliards de DH. La situation s'est aggravée depuis, et le taux de rejet au 1er semestre se maintient à son niveau de 2014 avec plus de 375000 chèques impayés sur les 14 millions émis. Le motif principal du rejet demeure l'insuffisance de provision avec un taux de 1,42%, suivi de l'endos irrégulier avec 0,3% et de la signature non conforme avec une part de 0,28%. Le reste des motifs, à savoir le rejet technique, l'absence de la date et du lieu d'émission, l'opposition au paiement ou encore le rejet technique représentent les 0,57% restants. C'est dire que la réputation du chèque est toujours ternie. Il n'y a qu'à voir le stock des incidents de paiement ou encore le nombre des interdits de chéquiers au Maroc pour comprendre que le chèque n'est plus une valeur sûre de paiement. En effet, l'encours des incidents de paiement cumulé à fin 2013 (dernier rapport disponible de BAM) s'est élevé à 2,4 millions de cas correspondant à une valeur de 60 milliards de DH. Ils sont en hausse de 4,8% en nombre et de 10,5% en valeur par rapport à 2012. Ce qui a alourdi le nombre d'interdits de chéquiers au Maroc de 4,2%, à 559 318 personnes. Notons que 90,5% de ces interdits de chéquiers sont des personnes physiques. Si le nombre d'incidents de paiement ou encore des interdits de chéquiers est en augmentation continue, c'est parce que le chèque demeure l'instrument de paiement le plus utilisé dans les transactions. Il se place en tête des opérations réalisées à fin 2013 avec une part de 37%, suivi des virements avec 25% et du paiement par carte avec 13,3%. Le reste est réparti à hauteur de 15,4% pour les prélèvements et 3,3% pour la lettre de change normalisée. En valeur, les chèques représentent 57% des opérations transactionnelles avec un montant moyen de 34 000 DH. Le montant moyen du chèque impayé, lui, s'établit à 24 555 DH. Pour se prémunir contre ce phénomène, de plus en plus de commerçants (stations-service, boutiques de prêt-à-porter ou d'électroménager…) n'acceptent plus les chèques dans le cadre de leurs transactions commerciales quotidiennes. «Ils n'ont certes pas le droit de refuser un chèque vu qu'aux yeux de la loi il est considéré comme un moyen de paiement à vue comme un autre. Mais cette pratique est devenue courante vu l'absence de moyens de contrôle et la volonté de se prémunir contre les défauts de paiement», affirme un avocat. Certains commerçants acceptant les chèques recourent à des astuces avant de livrer la marchandise à leurs clients. Ils leur proposent ainsi de différer la livraison le temps d'encaisser le chèque ou du moins de vérifier, par leurs moyens, la disponibilité de la provision dans le compte du client. D'autres vont même jusqu'à mentionner que «seuls les chèques certifiés sont acceptés». Ce qui suppose que la provision est bloquée dans le compte de l'émetteur du chèque et permet au bénéficiaire d'encaisser son dû rapidement puisque ce type de chèques a une durée limitée, fixée à 20 jours suivant la date de son émission. Pour le rejet d'un chèque, les vices de forme précèdent les motifs de fond Notons qu'en cas de rejet d'un chèque, la banque cherche d'abord les vices de forme avant les motifs de fond. Si par exemple un chèque accumule deux vices, à savoir une signature non conforme et une absence de provision, il sera rejeté en raison du premier. Cela n'empêche pas le bénéficiaire d'intenter une action en justice contre l'émetteur du chèque pour défaut de paiement. Mais avant cela, il doit être muni d'un certificat de refus de paiement délivré par la banque devant comporter le ou l'ensemble des motifs de rejet. Cela dit, même si le premier motif du rejet d'un chèque est le manque de provision, le chargé de clientèle peut ne pas le signaler. En fait, tout dépend de la relation de confiance qui lie le banquier à son client. Il peut ainsi l'inviter à régulariser sa situation durant le jour même, avant la fermeture de l'agence bancaire, ou proposer au bénéficiaire de revenir un autre jour, le temps que l'émetteur alimente son compte. Si aucune relation particulière ne les lie, le dossier est directement déclaré au service central des incidents de paiement et l'émetteur est automatiquement déclaré par Bank Al-Maghrib comme interdit de chéquier pendant une période de 10 ans. Tant que sa situation n'est pas régularisée, il ne lui sera plus possible d'émettre des chèques, mis à part ceux qui lui permettent le retrait de fonds ou encore les chèques certifiés. Dès qu'il est fiché sur le système informatique de sa banque, et de toutes les autres banques également, elle lui envoie une lettre d'injonction qui doit inclure le montant du chèque rejeté, la banque présentatrice et le rang de l'incident. Elle l'oblige aussi à lui restituer ainsi qu'à toutes les autres banques dont il est client, les formules de chèques en sa possession et en celle de ses mandataires. Toutefois, la banque ne manque pas de lui proposer des solutions pour régulariser sa situation et lui présenter la preuve pour pouvoir ainsi lever cette interdiction de chéquier. Mais d'abord, le client doit payer une amende fiscale à la perception allant de 5% du montant du chèque pour le premier incident, à 10% pour le deuxième et 20% à partir du troisième défaut de paiement. Il doit conserver le quitus remis par la perception pour ainsi le présenter à la banque, accompagné de la preuve du paiement du chèque. Cette preuve peut prendre trois formes différentes. La première consiste en la remise du chèque original, objet du montant impayé. La deuxième est la remise du relevé bancaire du client comportant la constatation du règlement. L'émetteur peut également présenter une déclaration sur l'honneur effectuée par le bénéficiaire, qui atteste que la somme a bel et bien été réglée et qu'il n'existe aucun litige entre les deux parties (3e preuve). Cela dit, il existe une quatrième et dernière preuve, très rarement utilisée et méconnue du grand public et même de certains banquiers. En fait, le banquier met, pour le compte de son client, la somme équivalente au chèque dans un compte indisponible, comme pour ce qui est du blocage de compte suite à une opposition sur chèque. De cette façon, le compte est considéré comme étant alimenté et la situation redressée. Cela devrait nécessiter évidemment la signature d'une attestation de la part de l'émetteur en vue de débloquer cette somme dans les plus brefs délais.