Un carnet de chèques ? Non, merci. La loi semble faire sien cet anathème contre le chèque. Elle évoque un droit au compte bancaire, et non au chèque (qu'il faut réclamer), et pour cause ! L'émission d'un chèque sans provision a été pénalisée par la loi N° 15-95 formant code du commerce au Maroc. Ce texte prévoit un certain nombre de mesures concernant le tireur, le banquier et le bénéficiaire. Le tireur subit une interdiction bancaire d'émettre des chèques pendant 10 ans. Cette interdiction est déclarée à Bank Al-Maghrib. Elle concerne tous les comptes du tireur dans les établissements de crédit. Toutefois, le code, à la différence de l'ancienne convention bancaire de 1989, donne la possibilité au tireur de régulariser à tout moment sa situation et obtenir ainsi la levée de l'interdiction. En effet, le texte de 1989 limitait la faculté de résiliation à 20 jours. Toutefois, le nouveau code de commerce subordonne cette régularisation au paiement du chèque, ou la constitution d'une provision suffisante, et au paiement d'une amende fiscale égale à 5% pour le 1er incident, 10% pour le 2ème incident et 20% pour les incidents suivants. Afin d'assurer la publicité nécessaire à l'interdiction, la banque doit déclarer tout incident de paiement à Bank Al-Maghrib sous peine d'amende. Le tiré, c'est-à-dire tout établissement bancaire, doit adresser des lettres d'injonction de payer à ses clients, des attestations de rejet (certificats de non-paiement), avertir les mandataires du titulaire interdit qu'ils ne peuvent plus émettre des chèques sur ses comptes, exiger la restitution des chéquiers de l'interdit, vérifier que la personne réclamant un chéquier n'est pas interdite. Dans le cas d'inobservation de ces deux dernières obligations, le banquier sera tenu de payer les chèques émis. Le bénéficiaire reçoit une attestation de rejet de la banque (certificat de refus de paiement). Il peut alors adresser une injonction de payer par huissier pour procéder à une éventuelle saisie de ses biens. Il peut aussi, suivant le cas, se constituer partie civile au cours de la procédure pénale engagée contre le tireur dolosif et obtenir, en plus du montant du chèque impayé, des dommages-intérêts. Cependant, le code se distingue surtout par une logique didactique qui est appelée à faciliter son adoption par les juristes. Il prévoit trois catégories de mesures : préventives, dissuasives et répressives. Tout d'abord, le code met l'accent sur l'identification de l'émetteur par les banques au moment de la remise du chéquier pour éviter les fraudes. S'il s'agit d'une personne physique, son identification se fera grâce à la carte d'identité nationale (CIN) ou le numéro de la carte d'immatriculation pour les étrangers résidents. Les personnes morales sont quant à elles identifiées grâce au numéro d'immatriculation au registre de commerce, l'identification fiscale et le numéro de la patente. Une fois l'émetteur identifié, le chéquier lui est remis et c'est alors qu'il commence à courir des risques. Il peut tout d'abord se voir interdit de chéquier dès le 1er incident pendant 10 ans avec la possibilité de se racheter. Pis, le code se montre sévère si la victime du chèque en bois décide d'intenter des poursuites judiciaires. Aussi, l'émetteur interdit qui continue à signer des chèques en dépit de l'interdiction est passible d'un mois à deux ans d'emprisonnement et 1.000 à 10.000 DH d'amende. Mais au-delà de la loi, le chèque reste surtout une question de mentalité ; en témoignent les récents incidents au niveau du Parlement. Pas moins de huit demandes de levée d'immunité seront prochainement examinées par l'Assemblée, dont 5 ont trait à des émissions de chèques sans provision, a déclaré M. Radi à l'issue de la séance plénière qu'il a présidée. Il suffit pour cela que le chef du gouvernement décide d'introduire une requête auprès du Parlement. D'ailleurs, dans l'esprit du législateur, la nouvelle réglementation sur le chèque était surtout destinée à lutter contre un climat malsain qui gênait son développement en tant que moyen de paiement, embarrassait les banques et engorgeait les tribunaux. Reste que l'offensive médiatique qui a précédé l'adoption de la loi sur le chèque ne semble pas avoir atteint ses objectifs, puisque les incidents de paiement en rapport avec des chèques abondent, nous a affirmé un responsable de banque. Ceci est dû en partie au fait qu'il est toujours perçu et utilisé en tant qu'instrument de crédit. Toujours est-il que le système informatique dédié à la lutte contre les chèques sans provision est au point, Bank Al-Maghrib centralisant les incidents et les banques les lui signalant de leur côté assez rapidement. Aussi, l'un des handicaps que rencontre la législation sur le chèque est sa popularité. Le chèque est un instrument de paiement qui est utilisé par monsieur-tout-le-monde et subit donc les effets d'un taux d'analphabétisme assez important. Or, si nul n'est censé ignorer la loi, une application stricte du code de commerce tendrait à condamner purement et simplement l'utilisation du chèque par une grande frange de la société qui reste largement sous-bancarisée, voire hostile, à une quelconque responsabilisation.