Entré en vigueur en février 2004, le code de la famille serait dépassé en 2014. Les féministes réclament quelques amendements pour le rendre adéquat avec la nouvelle Constitution. Dix ans, déjà ! Le code de la famille, adopté en décembre 2003 et entré en vigueur en février 2004, qui avait tant enthousiasmé le mouvement féministe marocain et les défenseurs des droits humains est en train de prendre des rides. Du moins, certaines voies revendiquent son toilettage complet à la lumière de dix années de pratique, pour le rendre d'abord adéquat avec le nouveau dispositif constitutionnel et les nouvelles lois adoptées par le Maroc, et pour ensuite améliorer le rendement d'une magistrature qui n'a pas toujours interprété le texte actuel selon la philosophie qu'il a voulu instaurer. Nos juges seraient, selon le mouvement de défense des droits de la femme et nombre d'avocats, trop conservateurs pour pouvoir rendre des jugements équitables, leur lecture du texte serait étriquée. On se rappelle de l'euphorie qui a accompagné l'adoption de ce texte en 2003 : l'ancienne Moudawana qui datait de 1958, malgré plusieurs liftings, véhiculait une conception réactionnaire de l'Islam et consacrait l'hégémonie de l'homme à tous les échelons. Le nouveau texte est venu instaurer de nouveaux rapports entre la femme et l'homme et révolutionner une législation rétrograde qui n'était plus en phase avec l'évolution globale que connaissait le pays après l'intronisation du Roi Mohammed VI. Cela, toutes les femmes le reconnaissent, l'actuel texte était une avancée notable : une famille placée sous la responsabilité conjointe des deux époux, la notion de «l'obéissance de l'épouse à son mari» est abandonnée, la femme n'a plus besoin de tuteur pour se marier, l'âge légal du mariage passe de 15 à 18 ans, une autorisation pour la seconde épouse désormais difficile à obtenir, une répudiation soumise à l'autorisation du juge, la femme a droit elle aussi à demander le divorce, en cas de divorce celui qui a la garde des enfants conserve le domicile conjugal…Toutes ces dispositions étaient applaudies. Dix ans après, cela ne semble plus être le cas. «L'actuel texte est même en contradiction avec la Constitution de 2011 qui instaure une égalité parfaite entre la femme et l'homme, quelques discriminations y sont flagrantes», martèle Khadija Rouggany, avocate au barreau de Casablanca et militante des droits de la femme (voir entretien). Pour étayer son propos, elle se réfère au préambule de cette Constitution qui déclare que le Maroc est attaché aux droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus, et, surtout, à l'article 19 qui stipule que «l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume…» Mariage des mineurs, l'exception devenue la règle: 40 000 autorisations en 2011 Alors, que faut-il changer, que faut-il garder dans ce texte ? Ce n'est pas seulement le code actuel qui doit subir des modifications, selon nos interlocutrices, mais aussi les mentalités des juges qui interprètent et appliquent la loi, celles des greffiers de justice chargés du suivi de cette application. Maintenant, il n'y a plus que la société civile qui réclame une refonte de ce code, mais l'USFP, aussi, est entré en ligne, à travers son Premier secrétaire, Driss Lachgar, qui est favorable à l'interdiction de la polygamie, et à la révision de la législation sur l'héritage pour le rendre plus démocratique entre l'homme et la femme. Cette prise de position a été exprimée fin décembre lors de la séance inaugurale du 7e congrès de l'Organisation des femmes ittihadies, une première qui va sûrement peser dans la balance. Pour la révision proprement dite, plusieurs articles sont dans le collimateur du mouvement féministe. Il y a d'abord l'article 20 du code qui fixe l'âge du mariage légal à 18 ans, mais qui dispose en même temps que le juge de famille peut faire des exceptions et peut autoriser le mariage en deçà de cet âge à condition de motiver et justifier sa décision. «L'exception est devenue la règle, les juges ont pris de la liberté dans l'interprétation de ces exceptions et autorisent à tout bout de champ le mariage des mineurs. Pour couper l'herbe sous les pieds des juges, il faut abolir ces exceptions», demande Malika Jghima, présidente à Casablanca du bureau de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Les chiffres sont là : selon Anaruz, le réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de violence, en 2011 il y a eu 39 031 actes de ce type de mariage contre 34 777 en 2010, soit une augmentation de 12,23% et l'équivalent de 12% de l'ensemble des actes de mariage contractés cette même année. Il y a ensuite l'article 40 relatif à la polygamie. Le législateur a beau verrouiller la procédure pour la rendre impossible, beaucoup d'hommes continuent de «recourir à des méthodes frauduleuses pour avoir une seconde épouse. L'idéal pour nous serait d'interdire carrément cette polygamie», recommande pour sa part Atefa Tinjerdine, présidente à Rabat du bureau de la même ADFM. Là aussi, les chiffres sont éloquents : la polygamie est en hausse de 11,40% en 2011 par rapport à 2010, 1 104 mariages polygames autorisés contre 991. Chiffre dérisoire, dans l'absolu, quand on sait qu'en 2011, toujours selon les estimations du ministère de la justice, 325 415 actes de mariage ont été contractés. Il faut dire que la procédure est tout de même si laborieuse qu'elle dissuade les plus volages des maris. Troisième disposition du code jugé obsolète actuellement, celle relative à la tutelle du père à l'égard de ses enfants. L'article 236 du code stipule, en effet : «Le père est de droit le tuteur légal de ses enfants, tant qu'il n'a pas été déchu de cette tutelle par un jugement. En cas d'empêchement du père, il appartient à la mère de veiller sur les intérêts urgents de ses enfants». Pourquoi ne pas instaurer carrément une égalité de droit entre le père et la mère pour qu'ils deviennent tous les deux tuteurs de leurs enfants sur un pied d'égalité ?, se demandent les féministes. Pour n'importe quelle formalité administrative, carte nationale, passeport, voyage à l'étranger, inscription à l'école, c'est le père qui est le tuteur. «Ce n'est pas normal, c'est discriminatoire, c'est inconstitutionnel», accusent les défenseurs des droits de la femme. Garde des enfants, emprisonnement du mari…, d'autres points problématiques Même protestation concernant la disposition du code sur la garde des enfants. Pourquoi la femme divorcée est-elle déchue de la garde de ses enfants une fois qu'elle se remarie ? «Il y a une injustice, et une discrimination là aussi», s'insurge Mme. Rouggany. Bien sûr, l'article 173 du code de la famille oblige la personne qui a le droit de garde à avoir quelques valeurs, comme la rectitude et l'honnêteté, la capacité d'élever l'enfant, le non-mariage…, ce qui est normal en soi. Soulignons au passage que cette garde ne tombe toutefois pas automatiquement en cas de remariage de la mère si l'enfant n'a pas dépassé l'âge de sept ans ou si sa séparation de sa mère lui cause un préjudice… Il n'y a pas que ces articles qui posent problème, d'autres incohérences émaillent ce code qu'il faudra corriger, réclament les femmes : tel est le cas par exemple quand le mari est en prison. La loi donne le droit à la femme de réclamer le divorce judiciaire, sans aucun doute, mais avec des conditions que n'apprécient pas les femmes, stipulées par l'article 106 : «Si l'époux purge une peine de réclusion ou d'emprisonnement supérieure à trois ans, l'épouse peut demander le divorce judiciaire après un an de détention. En tout état de cause, l'épouse peut demander le divorce après deux années de détention de son conjoint». Ce qui irrite certaines féministes c'est quand les rôles sont inversés. Le code ne parle pas de l'épouse en prison, et donne, de facto, «toute la liberté à l'époux de demander le divorce et de se remarier», s'étonne cette autre militante des droits de la femme. Toutes ces modifications semblent légitimes, pense-t-on, mais résoudraient-elles pour autant le problème majeur soulevé d'ailleurs par toutes les femmes interrogées : la loi sera-t-elle bien appliquée, avec l'équité et l'égalité souhaitées ? Les plus belles lois du monde, aussi parfaites soient-elles, ne valent rien sans un appareil judiciaire indépendant, des juges formés aux valeurs des droits de l'Homme et au respect de l'égalité des sexes. Et c'est ce qui exaspère au plus haut point le mouvement de défense des droits de la femme. Là se pose un problème structurel à notre magistrature : elle est machiste et encore imprégnée d'une culture et d'une mentalité qui tranchent avec l'esprit novateur de l'actuel code de la famille. Amender le code et l'actualiser est une chose, bien l'appliquer tout en respectant son esprit novateur en est une autre.