Le débat sur l'abolition ou non de la peine de mort s'anime : une proposition de loi est soumise au Parlement par un réseau de parlementaires réclamant l'abolition. Une autre proposition de loi émane du PJD, elle est contre l'abolition mais pour la réduction des chefs d'inculpation entraînant la peine capitale. Deux condamnations à la peine capitale ont été prononcées par les tribunaux du Royaume en l'espace d'un mois. La première, à Agadir, le 24 octobre 2013, contre le violeur et le tueur de Fattouma G., une fillette de moins de trois ans, ignoble crime commis à Taroudant le mois de mai de la même année par un trentenaire, divorcé et père d'une fille ; la deuxième, à Casablanca, le 27 novembre dernier, contre le violeur et l'assassin de Meryem, une fillette de 8 ans, dont le corps a été découvert découpé à Mohammédia en 2012. Les deux crimes étaient monstrueux : enlèvement, viol d'enfants, meurtre prémédité. Les condamnations à mort ont été accueillies avec satisfaction par les familles et une grande partie de l'opinion publique, horrifiée par ces actes crapuleux et qui craint pour ses enfants. Les tenants de la peine de mort se frottent les mains, pour eux justice a été rendue. Mais il y a un autre camp, celui de l'abolition de cette peine, à l'instar de «la Coalition contre la peine de mort au Maroc» (regroupant quelque 11 ONG) qui, tout en dénonçant avec fermeté «les crimes crapuleux perpétrés contre les deux enfants», affiche son inquiétude de voir les tribunaux marocains continuer à prononcer cette sentence. Ces deux nouveaux condamnés à la peine capitale rejoignent 111 autres qui croupissent dans les couloirs de la mort. Ils attendraient comme eux leur exécution, qui peut intervenir en toute légalité à n'importe quel jour, à n'importe heure. Même si le Maroc n'a plus exécuté de condamné depuis 1993, il garde encore dans sa législation cette peine: pas moins de 361 chefs d'inculpation dans l'arsenal pénal marocain peuvent envoyer devant le peloton d'exécution (voir encadré). Le Maroc refuse même de signer, et ce, depuis 2007, le moratoire de l'ONU, objet d'un vote chaque année, relatif à la non-exécution de la peine capitale, même si dans la pratique il n'exécute plus. Et, non exécuté, un condamné à mort vit toujours avec angoisse l'attente de la mort qu'il est souvent tenté de la précipiter lui-même dans la solitude de son cachot. Plusieurs questions restent posées : pourquoi le Maroc refuse de signer les moratoires de l'ONU alors qu'il n'y a plus d'exécution depuis plus de 20 ans ? Qu'attend le Maroc pour abolir de sa législation la peine capitale, du moment qu'il adhère à la philosophie des droits de l'Homme dans son acception universelle, et qu'il a adopté une Constitution (celle de 2011) déclarant dans son article 20 que «le droit à la vie est un droit premier de tout être humain» ? Il faut dire qu'abolir ou non la peine de mort n'est pas le sujet majeur qui préoccupe les Marocains, comme par exemple les questions de la santé, l'enseignement ou l'amélioration des conditions de vie. Mais le débat n'en est pas moins présent ces derniers temps. Il y a d'abord ce large réseau d'ONG qui réclame l'abolition de la peine capitale des lois marocaines, et qui s'appuie sur la philosophie universelle des droits de l'Homme, réseau soutenu par le réseau mondial «pour l'abolition de la peine de mort», et par l'Union Européenne. Cette philosophie a été résumée le 10 octobre dernier, date marquant le 11e anniversaire de la Journée mondiale contre la peine de mort, par un trio d'humanistes célèbres, dont Robert Badinter, le père de l'abolition de cette peine par la France en 1981: «Les Etats doivent condamner les meurtriers et prévenir la criminalité, mais ils ne doivent en aucune manière reproduire leurs actes. Il n'est pas envisageable de construire une société moderne et juste sur l'idéologie de la mort, ou de croire rendre justice en ayant recours à la loi du talion». Sept groupes parlementaires des huit sont d'accord pour l'abolition de la peine de mort Ensuite, l'appel à l'abolition n'est plus le domaine exclusif de la société civile, un réseau de parlementaires contre la peine de mort au Maroc est né en février 2013. Il mobilise tous ses efforts pour rallier à cette cause le maximum de députés, de l'opposition comme de la majorité, car «c'est un combat qui transcende les clivages politiques», nuance Mohamed Ameur, député USFP et membre du bureau de ce réseau de parlementaires. Dernier acte de son travail: lundi 25 novembre 2013, fort de ses 210 parlementaires (des deux chambres), il dépose une proposition de loi, laquelle va être incessamment discutée par la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme à la Chambre des représentants avant d'être soumise en séance plénière. La pression ne fléchit pas : les 11 et 12 décembre, une grande conférence internationale sur l'abolition de la peine de mort s'est tenue à Rabat, organisée par ce même réseau de parlementaires marocains, sous le thème «La loi pénale et la peine de mort». «C'est une façon d'augmenter la pression et de rallier d'autres parlementaires à notre réseau, car abolir chez nous la peine de mort relève désormais du possible», indique Khadija Rouissi, vice-présidente de la Chambre des représentants et coordinatrice du réseau. Les initiateurs de ce dernier sont en effet optimistes, pour eux «la proposition de loi pour l'abolition de la peine de mort sera votée en toute logique avant la fin de la législature. Ce qui nous encourage, c'est la tendance générale dans le monde. Plusieurs Etats ont vaincu toutes les résistances et ont réussi à le faire, pourquoi pas nous?», s'interroge M. Ameur. Encore faut-il rallier le plus grand nombre de députés à cette proposition, dont certains du PJD, pour pouvoir la voter. Déjà, le réseau abolitionniste a renforcé ses rangs par des parlementaires de la majorité, ceux du PPS et du Mouvement populaire. Force est de reconnaître que l'argumentaire de ces derniers tient la route, et les abolitionnistes appellent d'abord le Maroc à voter positivement au moratoire de l'ONU qui appelle à la non-exécution. «Il est accepté par le Maroc de facto, il faut qu'il le soit de jure», recommande notre interlocuteur. Trois arguments sont déployés par ce camp des abolitionnistes pour étayer leur appel : il y a d'abord la recommandation de l'Instance équité et réconciliation qui a appelé l'Etat marocain à abolir la peine capitale dans son rapport final et qui a eu la faveur de S.M. Mohammed VI ; il y a ensuite l'article 20 de la Constitution de 2011 qui stipule que le droit à la vie «est un droit de tout être humain» ; et il y a enfin cette tendance mondiale en faveur de l'abolition «à laquelle le Maroc ne peut échapper», estiment les abolitionnistes. Leur argumentaire se réfère aussi à un autre registre : la peine de mort est un échec de la justice, elle est «inefficace face au crime, injuste, jamais à l'abri d'erreurs et cependant irréparable», ne cessent-ils de rappeler. Outre l'erreur judiciaire, la peine de mort est loin de dissuader d'autres criminels d'accomplir leurs actes. Deux autres avantages pour les abolitionnistes : le soutien dont ils jouissent auprès des réseaux des parlementaires à travers le monde. Le 10 octobre dernier, un séminaire sur la peine de mort avait réuni à Paris, à l'Assemblée nationale française, les parlementaires de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient, avec la participation de Khadija Rouissi, coordinatrice du réseau des parlementaires marocains. Ce dernier, avait déclaré Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères, est «unique en son genre dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA)». De quoi galvaniser encore la position des abolitionnistes marocains, d'où la deuxième corde. «Si le Maroc franchit ce cap, il sera le premier pays de la région Afrique du Nord et du Moyen-Orient à le faire, ce qui va conforter sa position diplomatique dans le monde et avoir la faveur des puissances européennes», se félicite M. Ameur. Le PJD veut la réduction de 75% des chefs d'inculpation entraînant la peine de mort Maintenant, que dit l'autre camp ? Pour la vérité, disons que la proposition de loi des abolitionnistes au Parlement marocain est venue, en fait, contrecarrer une autre, émanant cette fois-ci des parlementaires du PJD, parti qui a toujours été contre l'abolition de la peine de mort. D'emblée, Mohamed Benabdessadek, député PJD qui suit de près ce dossier, nous déclare que son parti n'est ni pour l'abolition ni pour le maintien de la peine capitale telle qu'elle dans la législation marocaine. «Nous défendons une position médiane, qui défend en même temps les intérêts de la victime et de sa famille et ceux du coupable. On ne peut prendre l'article 20 de la Constitution en l'isolant de l'article 21», clame t-il. Que dit cet article? Que tous les Marocains ont «droit à la sécurité de leur personne, de leurs proches et de leurs biens. Les pouvoirs publics assurent la sécurité des populations et du territoire national dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis à tous». Si l'on comprend bien les propos de M. Benabdessadek, les abolitionnistes sont du côté de l'agresseur, les anti-abolitionnistes se placent du côté de la victime. La proposition de loi tire sa substance de la chariâ (loi islamique) : le Maroc a une identité musulmane, qui veut dire que la condamnation à mort pourra être évitée si les ayants droit de la victime le déclarent ouvertement. «Cela, avant nous, le protectorat l'avait compris quand il a édicté la peine de mort dans le premier code pénal marocain», rappelle le député PJD. Une chose est sûre, les parlementaires de ce parti savent que le camp de l'abolition se renforce à travers le monde, et qu'il faut introduire des changements dans la législation pénale marocaine. Pour eux, les chefs d'inculpation entraînant la peine de mort devront être d'abord réduites de 75% dans le code pénal: pas de peine de mort par exemple pour les délits politiques et d'opinion et la tentative de crime grave ; oui pour la peine de mort pour les crimes de sang avec préméditation. Sur un plan plus procédural, la proposition de loi du PJD prévoit que la peine de mort ne sera possible que s'il y a unanimité parmi les magistrats qui jugent l'affaire, au lieu de la majorité (3 sur 5) actuellement. Une autre circonstance atténuante, pour contrer l'un des arguments des abolitionnistes: «L'exécution n'aura lieu que dix ans après le jugement, pour s'assurer qu'il n'y a pas d'erreur judiciaire», tient à préciser M. Abdessadek. Vieille querelle qui date de la nuit des temps que celle qui oppose les abolitionnistes à ceux qui sont pour le maintien de la peine de mort, sauf qu'en cette deuxième décennie du XXIe siècle, 140 pays l'ont abolie de droit, 58 seulement la maintiennent. Le Maroc sera-t-il le premier pays arabe à le faire ?