Créé en 1919 dans le cadre du premier plan d'aménagement de Casablanca, le parc de la Ligue arabe n'est plus que l'ombre de lui-même. Le projet de réhabilitation du parc remonte aux années 2000. Depuis, il est au point mort. Une convention entre la wilaya et la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement est attendue. Le parc de la Ligue arabe n'est plus que l'ombre de lui-même. Présumé être le plus grand jardin public de Casablanca, un poumon d'une métropole de 5 millions d'habitants, il devient plutôt un espace d'une saleté répugnante. Un point de rencontre de consommateurs de drogue et d'ivrognes de tout poil. Cet espace naguère verdoyant s'est transformé en un vrai dépotoir d'immondices qu'on balance au vu et au su de tous à longueur de journée, festin pour les meutes de chiens errants qui viennent y puiser de quoi assouvir leur faim. Quelques terrains de foot sont improvisés au milieu du parc, où tous les après-midis, des jeunes viennent jouer au football, provoquant des tourbillons de poussière dans le ciel. Des amoureux, faute d'un lieu approprié, y viennent pour se bécoter, s'ils ne sont toutefois pas débusqués et chassés par des gardiens de la paix. Çà et là, bravant cette atmosphère peu réjouissante, des personnes d'âge mûr sont absorbées par leur jeu de pétanque, des sportifs et des promeneurs y viennent, en l'absence d'un endroit plus accueillant, pour se dégourdir leurs jambes. Alors que le centre de la ville blanche connaît des transformations notables : réaménagement de plusieurs boulevards (Anfa, Zerktouni, Al Massira Al Khadra, 2Mars…), démarrage du nouveau-venu moyen de transport en commun, Monsieur Tramway (sans parler d'une corniche entièrement métamorphosée, du centre commercial Morocco mall…), le plus grand parc de la ville créé dès 1919, n'est pas encore sorti de son délabrement. Or, c'est une urgence, et les autorités de la ville doivent prendre sa réhabilitation au sérieux, d'une main de fer, parce qu'il s'agit d'abord d'un patrimoine historique et architectural d'une ville à préserver, et parce que, ensuite, la réhabilitation du parc ne pourrait que s'inscrire, et être en harmonie, avec les grands projets qui structurent le centre-ville comme la prochaine réalisation du Grand Théâtre de Casablanca, la nouvelle gare ferroviaire Sidi Belyout, la réhabilitation de l'ancienne médina… Face à la désolation que connaît ce parc, les Casablancais ne restent pas les bras croisés, la dernière initiative en date est le lancement d'une page avec comme titre «Sauvons le parc de la Ligue arabe» sur le réseau social Facebook, une manière de sensibiliser et d'attirer le maximum d'adhérents. Et le conseil de la ville et la wilaya de Casablanca dans tout cela ? Quand vont-ils réagir pour ressusciter ce parc et lui rendre sa beauté ? Et que fait Casa-mémoire pour le préserver des convoitises immobilières ? Selon le président de cette dernière, Rachid Andalousi, «oui, par la force des choses, le parc de la Ligue arabe est devenu un patrimoine de la ville, il y a eu d'ailleurs des tentatives pour ériger un immeuble sur cet espace, et on s'y est opposé. Oui, sa réhabilitation s'impose, mais franchement on n'est pas au parfum de ce qui se trame au niveau du Conseil de la ville». Appelé au début parc Lyautey, sa construction s'inscrit dans un plan urbanistique digne d'une grande ville D'abord un aperçu historique de cet espace vert, d'une superficie de plus de 30 ha. Doté géographiquement d'une très bonne situation, le parc longe une partie du centre-ville puisqu'il s'étend de l'ancienne médina jusqu'au quartier Palmiers, et sur sa largeur il va du bd. Brahim Roudani au bd. Hassan II. Fondé en 1919, il fait partie, d'après les dessins de l'architecte Albert Laprade, du plan Prost, du nom d'Henri Prost (directeur du service spécial d'architecture et des plans des villes qui résida au Maroc de 1914 à 1924), l'architecte français choisi par Lyautey en 1914 pour produire le premier plan d'aménagement de Casablanca et une réglementation originale et innovante en matière d'urbanisme. Henri Prost, lit-on dans le site Casa-mémoire, «s'inspire des expériences allemandes et américaines : zonage, occupations des sols, gabarits, alignements, remembrements. La mise en pratique de ces nouvelles règles ne pourra se faire, en France, qu'après la Première Guerre mondiale, faisant de Casablanca une référence». C'est dire que le parc de la Ligue arabe (appelé au début parc Lyautey) est une œuvre qui s'inscrit dans le cadre de tout un plan urbanistique digne d'une grande ville moderne, et sa construction devance même les quartiers européens qui se sont développés tout autour. Selon quelques livres d'histoire d'architecture casablancaise, c'est un contingent de prisonniers allemands qui avait creusé les deux grandes tranchées où sont plantés jusqu'à nos jours les fameux palmiers-dattiers qui représentent le principal intérêt et toute la splendeur de cet espace vert. Selon une autre version, le lieu abritait à l'origine un camp militaire, évacué par la suite pour laisser place à ce jardin à la française où se mélangeaient en toute harmonie des plantes importées de colonies françaises d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Jusqu'aux années 1960-70, le parc était un lieu de pique-nique et de promenades pour les familles des quartiers populaires (Aïn Chok, Derb Soltane, ancienne médina…), qui fuyaient le béton en quête d'un air pur, les quartiers avoisinants du parc n'en avaient pas besoin puisqu'ils habitaient surtout des villas. D'ailleurs, en termes d'espaces verts, il y avait la forêt Bouskoura, et les trois parcs les plus connus : les parcs de l'Hermitage, Murdoch, et celui de la Ligue arabe. «De loin, raconte ce sexagénaire, ce dernier était le plus entretenu et le mieux servi, on y venait par bus en famille du quartier Aïn Chok. Le terminus à l'époque se trouvait sur la place Mohammed V. Tout était à portée de main, parc, cinémas, shopping…». Ce parc avait un autre atout, il faut bien le souligner (comme celui d'ailleurs de l'Hermitage), il abritait le parc de jeux Yasmina donnant sur le bd. Moulay Youssef. Le projet prévoyait la démolition du parc Yasmina et la réalisation de nouvelles aires de jeux C'était le seul parc d'attraction au centre-ville, les parents y affluaient avec leurs enfants les week-ends pour tout le bonheur de ces derniers qui sautillaient comme des papillons au printemps entre balançoires et toboggans. Pour des raisons de mauvaise gestion, le parc connut un délabrement et resta fermé depuis 2011. En principe, en attendant sa démolition pour le remplacer par de nouvelles aires de jeux et de sport, dans le cadre d'un projet de réhabilitation du parc de la Ligue arabe, conçue depuis 2007, et dont les travaux devaient démarrer déjà il y a trois ans pour se terminer en 2014. Ce projet de réhabilitation du parc de la Ligue arabe n'est, en fait, pas nouveau, mais il date déjà du début des années 2000, avec l'unicité de la ville opérée à partir de 2003. Le nuage de pollution qui s'épaississait de jour en jour au-dessus de la ville avait sûrement provoqué un déclic : le Conseil de la ville de Casablanca, présidé par Mohamed Sajid, accoucha en 2004 d'un «programme de réhabilitation, restauration et création des espaces verts de Casablanca», une nouvelle division qui remplaça les 27 services «espaces verts» disséminés à travers les 27 communes. Laquelle s'est penchée alors sur la meilleure stratégie et le meilleur plan de sauvegarde des parcs historiques, d'une part, et la création de nouveaux parcs et jardins, d'autre part. Un travail d'investigation de six mois a été mené pour recenser les besoins en matière d'espaces verts, notamment pour les arrondissements qui en ont le plus besoin, et pour élaborer un plan d'action. Le montant de l'enveloppe consacrée à ce programme s'élève à 250 MDH. Le premier chantier lancé était la restructuration et la réhabilitation de l'ancien parc Murdoch (parc ISESCO), inauguré par S.M. Mohammed VI en 2006. Les travaux avaient coûté 4 MDH (voir encadré). Le second est le parc de l'Hermitage, dont le premier coup de pioche a été donné en décembre 2010, les travaux pour sa réhabilitation ont pris fin en 2011, et le parc renaît avec sa verdure et son animation. Coût: 30 MDH. La restructuration du parc de la Ligue arabe devrait en principe suivre, et devrait coûter, elle, 45 MDH. Etalée à l'origine sur 32 ha, sa surface a été réduite comme peau de chagrin au fil des années. Il n'en reste plus que 14 ha, le reste a été occupé soit par des locaux administratifs, dont ceux des Eaux et forêts, soit par des cafés, des clubs de tennis et de pétanque. Sans parler d'un immeuble près de l'église Sacré-cœur érigé sur une partie du parc. Il fallait donc pour la restructuration du parc, d'abord déloger les squatteurs et récupérer la superficie initiale. Un appel d'offres international a été même lancé, et trois entreprises ont été retenues dont Ateliers Lyon Paris. Depuis, le projet est au point mort. Pour quelle raison ? Impossibilité de déloger les squatteurs du parc ? Non-faisabilité du projet ? Interrogé, un responsable à la division des espaces verts de la ville de Casablanca affirme que lui-même n'en sait rien. Selon lui, la phase technique est terminée et tout le monde, depuis la fin de l'année dernière qui a vu une réunion, sur le projet, est dans l'expectative. «Tout dépend maintenant, ajoute notre source, d'une convention qui devrait être signée par la wilaya de Casablanca et la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement». Présidée par la princesse Lalla Hasnaa, cette fondation, il est vrai, fait des efforts considérables pour la protection de l'environnement, et l'un de ses grands projets (lancé en 2007) dont une bonne partie est déjà réalisée, est la sauvegarde et le développement de la palmeraie de Marrakech. Ce partenariat entre la fondation, le conseil de la ville et la wilaya de Casablanca serait-il le catalyseur pour lancer les travaux de réhabilitation du fameux parc? Une chose est sûre, la fiche technique du projet prévoyait à l'origine la transformation de la partie du bd. Moulay Youssef traversant le parc en rue piétonne, la démolition nécessaire des cafés érigés anarchiquement sur cette partie. Le but est de transformer le parc en une seule unité réservée aux seuls promeneurs piétons, avec, à côté, le fameux complexe sportif «La Casablancaise», qui sera lui aussi restauré pour le rendre plus accueillant. Reste à savoir si cette restructuration technique sera la même avec l'entrée dans le projet de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement. Pour l'instant, aucune date n'à encore été fixée pour le lancement des travaux.